192 km réalisés du 2 au 7 juin 2021

75 741 km parcourus depuis le départ

Mercredi 2 juin 2021 :

Petit rythme aujourd’hui et surtout il est temps de reprendre l’école après une grosse semaine de vacances à Etosha. Des vacances qui n’étaient pas prévues car nous y étions entrés plein de bonnes intentions de faire l’école comme d’habitude quotidiennement. On avait juste décidé de décaler celle-ci à l’après-midi, à l’heure où les animaux sont le moins présents. Mais c’est plutôt le moment où nous en profitions pour nous reposer de nos grosses matinées commençant dès 7h20 sur les pistes…

Délicieux petit-déjeuner avec le bon pain chaud d’Audrey tartiné du Chocolanie d’Anaïs avec la bonne recette de ses copines à qui elle pense beaucoup.

Grosse matinée d’école donc pour Audrey et les enfants. De mon côté, je finalise le précédent blog. Et puis à midi, nous sommes rejoints sur notre bivouac de bord de route par une famille de voyageurs belges que nous avions rencontrés à Etosha. Eux comme nous ont leurs réserves alimentaires bien diminuées par 10 jours sans réapprovisionnement, mais en mettant en commun nos fonds de placards, nous parvenons à nous nourrir, et même à trouver des bières. Beau moment partagé avec An, Peter et leurs enfants Robbert et Eleonoor.

Route vers la ville d’Opuwo, une ville au niveau de vie tellement différent de ce que nous avons vu jusqu’à présent en Namibie. Nous voyons de nombreux Héréros et des Himbas dans les rues et les magasins, deux ethnies qui vont rythmer notre semaine.

C’est assez étonnant de faire ses courses à côté de femmes aux seins nus. Certaines pour venir en ville ont juste revêtu un soutien-gorge en tissu. Les enfants mendient dans la rue et sur le parking du petit supermarché où Audrey va remplir un caddie. Le choix y est beaucoup moins large qu’ailleurs. Les prix sont un peu adaptés au niveau de vie modeste du secteur. Mais il faut aussi se contenter de moins de diversité, de légumes sous plastique chers, et éviter les œufs ayant été pondus il y a deux mois… Sensation pas très agréable aussi dans les rayons du supermarché où des femmes mendient et des enfants tentent de mettre dans le caddie des articles alimentaires pour les récupérer après le passage en caisse. Nous ne trainons donc pas en ville et filons vers le nord en direction du Living Museum des Himbas. Nous avions déjà visité un musée vivant sur les Mafwe à notre arrivée en Namibie, et nous souhaitons renouveler l’expérience pour rencontrer les Himbas qui sont un peuple autochtone bantou, principalement situés dans le Désert de Kaokoveld, au Nord de la Namibie, à la frontière avec l’Angola. Ils sont apparentés aux Héréros, un autre peuple autochtone bantou originaire de l’ensemble des territoires de l’Afrique australe. Ce groupe ethnique des Héréros est constitué actuellement d’environ 320 000 personnes dont 164 000 vivent en Namibie, 135 000 en Angola et 21 000 au Botswana.

Parmi eux, nous souhaitons plus particulièrement donc partir découvrir la culture des Himbas, ce peuple à la peau ocre rouge mondialement connu. J’imagine que vous devez avoir en tête les images de l’émission télévisée « Rendez-vous en terre inconnue – Muriel Robin chez les Himbas » ! Alors nous, nous n’avons pas de rendez-vous car vous savez qu’on aime se laisser guider par le hasard des rencontres. Mais comment créer cette dernière sur cette piste poussiéreuse qui traverse le bush ? Comment le hasard va-t-il jouer ce soir alors que la nuit n’est pas loin de tomber ?

Je roule au pas sur la piste poussiéreuse en tôle ondulée depuis la sortie d’Opuwo. Nous saluons les locaux mais beaucoup de gamins mendient et courent après le camion en quémandant à manger ou de l’argent. Je m’arrête pour demander à un taxi collectif s’il connaît un emplacement pour qu’on y passe la nuit. Il me répond de le suivre. A l’arrêt suivant, je lui explique que quitte à avoir un emplacement, autant que ce soit si possible dans un village himba ! Il me renouvelle son invitation à le suivre sur la piste. Je distingue à peine son Toyota 4×4 où justement des Himbas sont entassés dans la caisse du pick-up.

Puis, au bout de 5 kilomètres, il quitte la piste pour s’engager sur une perpendiculaire bien caillouteuse et alors qu’on commence à apercevoir un hameau, il s’arrête et part à pied à la rencontre des villageois pour demander si on peut être leurs hôtes pour la nuit. Dix minutes après, il revient nous disant que nous sommes acceptés. Chouette ! Un vrai village de Himbas et pas un musée vivant, bien que les retours d’autres voyageurs du Ovahimba Living Museum voisin soient assez positifs et que ce dernier ne soit pas qu’un musée mais aussi un vrai village où vivent en permanence des Himbas.

Nous voici donc rendus là où nous espérions, en compagnie de ce peuple des femmes rouges. Un voyage en terre inconnue dans ce hameau de Ovinjange. Premiers échanges de sourires, timides et un peu mal à l’aise comme d’habitude quand vous arrivez chez des gens que vous ne connaissez pas. Mais nous sentons que notre présence ne gêne pas. Les jeux de jonglage que sortent Anaïs et Victor sont toujours un bon moyen pour déclencher les premiers rires. Heureusement, nous arrivons à échanger quelques mots en anglais, en particulier avec le jeune Mbaha et son ami Rote.

Mais la nuit tombe et nous sentons que les Himbas ne veillent pas car le village n’est pas alimenté en électricité. Aucune énergie solaire non plus. Quelques feux de bois s’allument devant chaque case de terre. Mais chacun de nous rentre chez soi, et nous ferons plus ample connaissance demain.

Petit mot historique sur les Himbas et leurs cousins les Héréros : ces deux peuples très ressemblants mènent une existence proche de celle de leurs ancêtres semi-nomades qui quittèrent la région des Grands Lacs africains et celle du Betschuanaland (le Botswana actuel) pour arriver ici, vers le 15ème ou le 16ème siècle. Plus anciennement, leurs ancêtres seraient originaires des rives du Nil Égyptien, et cousins du peuple Massaï. Leur nom, en langue héréro, signifie « mendiant ». Et c’est vrai que ce peuple de bergers vit de peu. Ils ont vécu comme chasseurs et cueilleurs nomades ici dans le nord-ouest de la Namibie, dans le Kaokoland près du fleuve Kunene, aujourd’hui fleuve frontière naturelle entre l’Angola et la Namibie, mais invisible aux yeux des Himbas. Mais en traversant le fleuve, ils seraient arrivés sur des terres déjà occupées, et les habitants chassèrent les Héréros. La plupart d’entre eux poursuivirent leur route jusqu’au centre de la Namibie. Seul un petit groupe, les Himbas, décida de s’installer dans le Kaokoland, qui signifie « terre lointaine ». Ils s’installèrent aussi dans la vallée de Swakop et sur le plateau central de la Namibie dans des prairies assez riches, élevant du bétail. Ils furent ainsi contraints d’adopter un style de vie semi-nomade en raison des luttes continuelles.

Au milieu du 19ème siècle, des heurts sanglants éclatèrent avec les Namas arrivant du sud. Puis attaqués et dépourvus de troupeaux, et pourchassés par les colons et l’armée coloniale allemande, ils se trouvèrent dans l’obligation de se replier en Angola. Pendant plusieurs décennies ils furent forcés de délaisser leur mode de vie traditionnel nomade pour travailler aux côtés des colons portugais. Pour survivre, ils pratiquèrent la chasse et la cueillette, occupation plutôt humiliante pour un peuple de pasteurs. Les Himbas ne sont donc autres que des Héréros, réfugiés après avoir été chassés de leur territoire.

En 1904, les Héréros se soulèvent contre la colonisation allemande de leur territoire. Ils sont alors victimes d’une répression féroce dirigée par le général Lothar von Trotha, auteur d’un ordre d’extermination à leur encontre. Ainsi, entre 1904 et 1911, la population héréro du Sud-Ouest africain passe de 80 000 à 15 000 individus, comme je vous l’avais expliqué dans mon dernier article où nous étions au pied du Plateau de Waterberg. C’est là que les Héréros, qui avaient trouvé refuge dans cet enclos infernal, avait été massacrés. 80% soit 50 000 membres de cette ethnie de bergers nomades rassemblés, avec femmes, enfants et bétail périrent. Des Héréros purent s’échapper, et fuir vers le Botswana et les sables brûlants du Kalahari, où Lothar von Trotha avait fait empoisonner les rares points d’eau. Ils se mirent à pratiquer une agriculture de subsistance et sont même devenus depuis de prospères éleveurs. Les survivants furent traqués et déportés dans six camps de concentration répartis sur le territoire namibien, battus à mort, torturés, pendus ou fusillés. En octobre 1904, deux mois après la tuerie du Waterberg, le général allemand poursuivit son action en prononçant son sinistre ordre d’extermination, pour en finir avec les derniers résistants.

A leur supplice s’ajouta celui du peuple des Namas, entré lui aussi en résistance dans le sud de la colonie : 10 000 d’entre eux furent tués à la même époque, la moitié de la tribu. À bien y regarder, cette tragédie contenait déjà les germes de la future idéologie nazie.

Le combat pour la reconnaissance de leur souffrance a juste été reconnu par l’Allemagne il y a quelques jours. Berlin a enfin reconnu, plus d’un siècle après, cette période comme un génocide et a accepté une « réparation » financière.

Dans les années 1920, avec la colonisation sud-africaine, les Himbas traversent à nouveau le fleuve Kunene, dans l’espoir de regagner leurs terres. Une réserve leur est assignée par l’Afrique du Sud, qui domine la Namibie pendant plus de 70 ans. Ils ne peuvent toutefois ni faire brouter leur bétail librement ni pratiquer de commerce. Les éleveurs de bétail sont ainsi ruinés et réduits à mendier. Ils sont mis en marge de la société. Ce n’est qu’après la décolonisation que les Himbas retrouvent leur liberté et se fixent définitivement dans la zone actuelle où ils vivent.

Peu à peu, ils se reconstruisent et deviennent, dans les années 1970, les pasteurs les plus riches d’Afrique. Mais à nouveau, cela ne dure guère puisqu’en 1980, une terrible sécheresse et la guerre opposant l’armée sud-africaine aux indépendantistes de la SWAPO, font que 2/3 de leur cheptel est à nouveau décimé. Beaucoup d’hommes sont forcés à s’engager dans l’armée sud-africaine et combattent contre les guérilleros de la SWAPO qui luttent pour l’indépendance de la Namibie. Patients, les Himbas survivent grâce à l’aide alimentaire, ils reconstituent leurs troupeaux et reprennent leur vie nomade. Un bon nombre d’entre eux se sont sédentarisés au nord d’Opuwo, capitale du Kaokoland, où se situent la plupart des villages actuels, après le travail d’évangélisation effectué par les missionnaires blancs.

Depuis le début des années 90, les Himbas connaissent un véritable renouveau. La population a repris la main sur ses territoires et joue même un rôle politique au niveau national.

Les Héréros ne représentent plus que 7 % de la population (environ 120 000) de Namibie, contre 80 % au 19ème siècle, ce qui les relègue au rang de quatrième ethnie de la nation. Ils sont aussi quelques groupes au Botswana où ils occupent des emplois peu qualifiés d’ouvriers agricoles pour les ruraux, ou de domestiques ou vendeurs de rues pour les citadins. En Angola, quelques groupes apparentés aux Héréros, peu nombreux, mènent la vie traditionnelle des peuples pasteurs. Ils se subdivisent en différents sous-groupes : les Tjimbas, les Ndamurandas, les Mahereros, les Mbanderos, les Zerauas, les Himbas…

Les Himbas sont quant à eux environ 50 000 répartis de part et d’autre de la frontière avec l’Angola. Parmi eux, 10 000 à 15 000 sont répartis sur les 30 000 km² du désert du Kaokoland en Namibie. Mais étant donné leur grande mobilité, leur recensement est difficile.

Comme les Masaïs du Kenya et de Tanzanie, ils vivent principalement de leur bétail et habitent dans des campements disséminés dans tout le Kaokoland avec leurs troupeaux de vaches, de moutons et de chèvres. Certains se sont sédentarisés mais d’autres sont toujours en mouvement avec leurs troupeaux au gré des saisons et mènent une vie proche de celle de leurs ancêtres. Mais leurs territoires ne rappellent en rien la savane de l’Afrique de l’Est et se trouvent dans un environnement parmi les plus rudes du monde. Leur survie tient essentiellement à l’existence de solides alliances entre les villages et les clans différents, y compris les Héréros. C’est d’ailleurs l’extrême dureté des conditions climatiques et leur isolement qui en a résulté qui ont permis aux Himbas, tenus à l’écart des influences extérieures, de conserver relativement intact leur patrimoine culturel.

Les Himbas ont en effet accepté de vivre sur un territoire désertique dont personne ne voulait. Ils ont su entretenir, maintenir et protéger leur mode de vie et leurs traditions. Mais depuis quelques années, ils font face à l’afflux parfois non contrôlé de touristes notamment occidentaux. Si les Himbas semblent fortement attachés à leurs traditions, ils sont donc aussi en contact permanent avec la modernité, avec tout ce qu’un tel changement peut apporter de positif et de négatif. Certains Himbas parmi les plus jeunes cèdent aujourd’hui aux tentations d’un monde qu’ils découvrent. D’où le comportement de certains Himbas et Héréros qu’on a pu constater à Opuwo.

Jeudi 3 juin 2021 :

Nous nous réveillons au milieu de ce petit hameau de cases himbas. Pas grand monde dehors avant que les premiers rayons du Soleil ne réchauffent les femmes qui portent des tenues bien légères. Les plus frileuses portent une mince couverture polaire pour se réchauffer alors que la température ne dépasse pas les 10°C.

Nous sortons à leur rencontre et deux des jeunes, Rote et Mbaha nous accompagnent pour la visite de leur village. Le campement des Himbas est formé d’un ensemble de petites cases coniques ou rectangulaires disposées autour de l’enclos du bétail. Les maisons des Himbas sont fabriquées et réparées uniquement par les femmes avec des branches, de la terre grasse et des excréments de vache mélangés à du sable. Cet enduit est refait deux fois par an.

Traditionnellement, les Himbas vivent au rythme des déplacements nécessaires pour faire paître les bêtes à proximité des points d’eau. Mais le hameau où nous sommes est bien installé ici de manière permanente. D’ailleurs, les Himbas sont aujourd’hui presque tous sédentarisés dans des villages. Mais nous avons vu sur la piste des campements de tentes de Himbas nomades.

Le feu quant à lui ne doit jamais s’éteindre, puisqu’il maintient le lien indispensable entre le monde des vivants et celui des morts. La responsabilité du feu sacré est laissé au fils qui dès le plus jeune âge le manipule avec une grande aisance.

Le peuple Himba est de croyance animiste. Les Héréros christianisés ont d’ailleurs bien vite considéré les Himbas animistes comme inférieurs. On nous explique les sacrifices faits aux animaux.

Le quotidien des Himbas se tourne entièrement vers l’élevage du bétail qui est leur véritable trésor. Le cheptel occupe une place centrale dans leur vie. Cette place se matérialise sur leur campement, puisque toutes les huttes sont disposées de manière circulaire autour de l’enclos des bêtes. Source de lait, de viande, de cuir ou d’excréments servant à la construction de l’habitat, les vaches assurent l’essentiel de l’existence des Himbas. Chaque homme se doit d’en posséder le plus possible, et de connaître le caractère de chacune d’entre elles. Symbole de richesse, le bétail est un moyen de s’assurer d’un statut social respectable.

Nous visitons aussi le jardin où poussent d’épars épis de maïs, des citrouilles et des pastèques.

Mais ce qui caractérise le plus les Himbas est leur chevelure en tresses lisses et épaisses, enduites d’argile qui prennent l’aspect de dreadlocks, avec des extensions de cheveux ajoutées au bout de ces tresses. Garçons et filles ont des coiffures qui évoluent au fur et à mesure de l’avancement de leur vie selon l’âge et le statut : le nombre de tresses augmente avec l’âge. nattes simples ou doubles, à l’avant ou à l’arrière du crâne, chignon pris dans un bout de peau de chèvre, ekori (coiffe de mariage en cuir et perles)… Les filles portent ainsi deux tresses pointant vers l’avant lorsqu’elles sont enfants, puis dirigées vers l’arrière lorsqu’elles sont en âge de se marier. Une fois devenues épouses, elles se coiffent de longues nattes enduites d’argile. Les jeunes garçons affichent un crâne rasé dès le plus jeune âge jusqu’à la circoncision. Après cette cérémonie, ils doivent se coiffer d’une imposante tresse en forme de corne, une queue de cheval avec le reste du crâne rasé, qu’ils recouvrent après le mariage d’un bonnet en coton. Les jeunes femmes portent sur leur tête, un bout de cuir de mouton qui annonce le cap de l’adolescence à celui de la jeune femme en âge de se marier. Aujourd’hui, certaines de ces caractéristiques symboliques sont parfois modifiées, ces différentes coiffures étant plutôt utilisées pour se faire belles.

Les femmes se parent de nombreux bijoux en coquillage ou en cuir, de bracelets de cuivre, de colliers et de l’ohumba, un coquillage blanc, symbole de fertilité.  Plus les Himbas vieillissent, plus elles portent de bijoux et notamment de bracelets à la cheville car par pudeur, elles ne doivent pas les montrer. Elles cachent en fait tous les endroits où les os qu’elles trouvent disgracieux sont trop visibles, soit les chevilles, les poignets, mais aussi les clavicules.

Leur tenue vestimentaire est aussi spécifique. A l’origine peuple nomade de chasseurs-cueilleurs, les Himbas se sont différenciés des Héréros entre autres par l’influence des missionnaires allemands sur les Héréros dans la mode. Ils tentent toujours de conserver un mode de vie ancestral et les femmes portent en guise de vêtements des jupes plissées en peau. Hommes et femmes restent torse nu et portent de simples pagnes de cuir noués autour de la taille. Mais dans ce village, certains hommes portent des tenues occidentales. Pukuza nous fait entrer chez elle et nous montre avec fierté sa garde-robe accrochée aux murs.

Couvertes de ce pagne en peau de bête, seins nus, les femmes traditionnellement s’enduisent le corps d’un mélange de poudre d’ocre rouge, de graisse de vache et d’herbes. Cet enduisage fait partie des critères de beauté féminins mais leur permet également de se protéger de l’ardeur du soleil, de la sécheresse de l’air et des insectes. Rarement une femme ne se lave avec de l’eau. Un rituel de beauté quotidien de fumigations à base de cendres, d’herbes aromatiques, d’écorces odorantes remplace la toilette à l’eau. Complété par l’étalement du baume pourpre, ce rituel rend leur peau souple et hydratée, et font d’elles des femmes rouges d’une extraordinaire beauté, reconnaissables au premier regard.

L’intérieur de la maison de Pukuza est extrêmement rudimentaire. Il y a juste une peau de bête au sol pour dormir. Elle se couvre d’une mince couverture en polaire.

Le peuple Himba attache beaucoup d’importance à la beauté. Le passage à l’âge adulte est consacré par l’arrachage pour les filles comme pour les garçons des quatre incisives inférieures et l’aiguisage de deux des incisives du haut, le tout sans aucune anesthésie afin d’améliorer leur esthétique.

Nous invitons les Himbas à venir visiter la Tiny et nous leur offrons le thé et le café. Ils hallucinent de voir notre confort à bord et s’amusent à feuilleter longuement les manuels scolaires d’Anaïs et de Victor de même que notre livre sur les mammifères d’Afrique. La grand-mère Vatengisamo n’en revient pas. Avec curiosité, ils regardent notre globe terrestre mais ils sont bien incapables de situer ne serait-ce que l’Afrique dessus, encore moins la Namibie sur le continent, ne parlons pas de la France en Europe. La représentation de la Terre sous forme de planisphère accroché au mur ne leur parle pas plus.

Nous sommes ravis de cette première rencontre et de ce voyage en terre inconnue avec les Himbas. Mais nous devons déjà partir car nous avons rendez-vous sur la piste avec nos amis Isa et Manu et aussi une autre famille voyageuse française arrivée il y a peu en Namibie. Mais avant de quitter cette jolie tribu, nous leur demandons si nous pourrons revenir les voir dans quelques jours. Ils acceptent avec un grand sourire.

Audrey, il y a quelques années, avait dessiné au pastel sec un magnifique portrait de femme himba. Il est encadré dans notre maison. Jamais nous n’aurions pensé un jour venir à la rencontre de ce peuple aux femmes rouges.

La cavale reprend vers le nord sur la piste de graviers. Une femme himba fait du stop et monte dans la Tiny. Elle est malade et se rend au dispensaire à une bonne dizaine de kilomètres. Son corps est enduit d’ocre rouge. Aussi avant de s’asseoir, elle prend le soin d’étendre sous elle un tissu pour protéger les sièges. Dommage, elle ne parle pas anglais et nous ne parlons pas plus sa langue.

Nous roulons une quarantaine de kilomètres vers le nord et nous nous arrêtons en plein bush pour bivouaquer avec nos amis. Après-midi école jusqu’à l’arrivée des Francouglobetrotters. Nous faisons connaissance avec Diane, Xavier et leurs enfants Valentin et Alban qui ont l’âge des nôtres. Comme souvent, le contact passe rapidement et nous ne voyons pas les heures passer. Nous sommes rejoints par les A Notre Tour, Isa et Manu. Ces derniers reviennent des chutes d’Epupa vers lesquelles nous nous dirigions et ils nous dissuadent d’y aller. Elles sont très jolies mais pas à la hauteur de la difficile piste de 200 km aller et autant pour le retour.

Agréable soirée autour du feu. Nous sommes accompagnés depuis ce midi d’un gamin berger et d’un adulte qui ont passé l’après-midi avec nous assis autour de la table et du feu, un peu comme les Kényans ou les Mongols pouvaient rester impassibles des heures à nous observer.

Vendredi 4 juin 2021 :

Matinée école pour chacune des familles sous l’œil attentif d’un petit berger.

Puis c’est le départ d’Isa et Manu que malheureusement, nous ne reverrons pas rapidement car ils se dirigent vers le sud du pays puis vers l’Afrique du Sud avant de rentrer en France dans quelques semaines. Peut-être que nous nous reverrons en janvier en Afrique du Sud si leur projet d’expédier leur Oscar en Amérique du Sud ne peut malheureusement pas se réaliser à cause de la pandémie. Ce sont des aurevoirs le cœur serré tellement nous avons partagé de bons moments et tellement les retrouvailles étaient à chaque fois chaleureuses. Mais cela fait partie du voyage…

An et Peter, les Belges, passent sur la piste et entrevoient par hasard notre campement. Ils s’arrêtent nous saluer et nous expliquent avoir eu l’occasion de se rendre accompagnés par un guide local ce matin dans un village héréro. Nous leur demandons où il se situe et il ne semble pas trop difficile à trouver : « vous roulez vers le nord pendant environ 5 km et après le lit de rivière un peu étroit que vous allez traverser, c’est environ à 200 mètres à droite un peu en retrait de la piste ». OK, on va tenter.

Pendant que nous buvons une bière, nos six enfants prennent plaisir à jouer ensemble (construction d’une cabane et jeu de « capture d’étendard » inventé collectivement et inspiré de Percy Jackson, jeux de société, Lego…) avant que chacun ne reparte de son côté. Mais nous devrions nous revoir en Namibie.

Nous prenons la route. Les indications d’An et Peter sont bonnes et nous voyons effectivement un petit hameau à 200 mètres de la piste. Nous arrivons comme un cheveu sur la soupe. Ruiter John vient à notre rencontre et parle un bon anglais. Il nous présente à deux femmes Martha et Uapahaije. Elles sont vêtues de magnifiques tenues traditionnelles qui font la particularité des Héréros depuis un siècle. Les missionnaires allemands ont en effet appris la couture aux femmes héréros car au 19ème siècle, les femmes des colons allemands auraient voulu éviter que leurs maris violent les Héréros vêtues de peaux de bêtes en voyant leur poitrine nue. Celles-ci se vêtirent alors de longues robes colorées (confectionnées de patchworks de tissus) et volumineuses, aux corsages fermés, portées par-dessus quelques jupons et de châles posés sur les épaules.

Mais le plus étonnant reste la coiffe des femmes appelée Hererotracht et rappelant les cornes du taureau, un animal sacré dont on utilise le cuir comme linceul. Obtenu par un savant pliage de tissus autour d’un rouleau de papier journal, ce couvre-chef est lui aussi apparu après le génocide. Un emblème de résistance qui a la même forme que le plateau rocheux du Waterberg où furent décimés leurs ancêtres.

Les hommes ne sont pas en reste. Ils portent le chapeau et ont avec eux une fine canne de bois. Certains portent des tenues à l’occidentale.

Avec Ruiter John, nous visitons le petit hameau. Il nous fait rentrer dans quelques cases au mobilier extrêmement sommaire. Au mieux, juste un sommier. Au centre, un foyer pour le feu mais curieusement, il n’existe pas de conduit pour l’évacuation des fumées.

Il nous explique différents rituels comme celui du culte de Mukuru, l’ancêtre primitif divinisé qui relie les morts aux vivants. Chaque jour, au lever et au coucher du soleil, au centre du village, le feu sacré est allumé par le chef du clan. La fumée qui s’en échappe symbolise le lien inaltérable avec les disparus.

Il nous parle également de leur précieux bétail, comme chez les Himbas, qui prend place la nuit au centre du village.

Nous demandons si nous pouvons rester la nuit dans ce village. Je lui demande d’aller obtenir la permission auprès du chef du village. Il me dit avec fierté qu’il n’y a pas besoin car il est le fils du chef du village, absent aujourd’hui.

Nous passons donc le reste de l’après-midi avec nos hôtes. Nous les invitons dans la Tiny. Après avoir accueilli une dizaine de Himbas hier matin dans la Tiny, ce sont à présent une dizaine de Héréros qui prennent place dans notre maison, dans le respect de la distanciation sociale… Quelle journée !

Il va vraiment falloir qu’on rassemble dans un recueil toutes les photos de toutes les ethnies et des différents peuples qu’on a pu inviter dans notre Tiny sur les différents continents.

Puis, ce sont parties de pétanque et  jeux de jonglages qui s’enchaînent dans la bonne humeur.

Audrey passe un long moment avec Uapahaije à l’observer coudre une robe en assemblant un patchwork de morceaux de tissus avec sa belle machine à coudre Singer qu’elle actionne avec une manivelle. Elle utilise des bouts de tissus découpés dans des vêtements usagés ; un morceau à l’effigie d’Hello Kitty vient ainsi naturellement prendre place dans sa robe. Audrey lui propose de lui donner un vêtement d’Anaïs qui a fini sa vie de pantalon. Uapahaije est aux anges et la remercie chaleureusement. Il va recommencer une nouvelle vie dans une robe. La musique sortant d’un poste radio emplit la pièce. Dans cette maison, il y a des éléments de confort que nous avons rarement vus : un sol cimenté, un frigo, une gazinière, et par la porte entrebâillée, on aperçoit un vrai lit. Ma chérie lui montre des photos de la famille et des vêtements que sa maman vient de coudre. Uapahaije trouve cela très joli, ce qu’Audrey transmet immédiatement à sa maman par WhatsApp qui complimente la vieille femme sur son travail : elle n’en revient pas de cette communication instantanée avec la France ! Un petit bonhomme, Richard, d’un peu plus d’un an reste à côté d’Audrey, jouant sans se lasser avec des petits bouts de tissus.

Pendant ce temps, Anaïs dessine avec des enfants tandis que Victor les initie à la pétanque.

Anaïs offre des bracelets aux femmes.

Samedi 5 juin 2021 :

École comme d’habitude le matin. Nous sortons un moment discuter avec nos hôtes qui se réchauffent au Soleil. Ils sont réunis dans la cuisine qui se résume à une dalle de béton extérieure de 6 m². Au centre, un petit foyer pour le feu qui sert à faire cuire la traditionnelle nourriture des Himbas. Ils se nourrissent essentiellement de porridge de farine de maïs dont le son est retiré, mélangée à de l’eau, de lait fermenté et de viande principalement. Nous goûtons à cette bouillie de maïs. Les conditions climatiques et le sol vraiment aride sur lequel ils vivent rendent difficile la culture de fruits et de légumes. Ruiter John est là avec ses amis Riraa Amunjela et Tijnoo aux côtés des femmes Martha et Uapahaije.

Nous remercions chaleureusement nos hôtes par quelques produits secs alimentaires et un peu d’argent. Ils sont très heureux. Nous aussi. Nous nous redirigeons vers l’autre famille chez les Himbas. Mais alors que nous avons fait le choix de ne finalement pas visiter le Living Museum Ovahimba, j’ai peur de regretter de ne pas l’avoir fait. Les différents retours de voyageurs sont bons. Il n’y a pas d’intérêt pour nous à participer à l’activité de la présentation du village et du mode de vie que nous avons eu la chance de voir lors de notre première rencontre chez les Himbas. Mais en revanche, nous pouvons choisir d’assister uniquement à un spectacle de danse et de chant traditionnels.

Les femmes Himbas sont magnifiques, toujours avec leur extraordinaire chevelure, leurs vêtements en peaux de bêtes et toutes leurs parures de bijoux.

Après l’heure de déjeuner, nous suivons une quinzaine de femmes et d’hommes vêtus de peaux de bêtes, et au corps enduit d’ocre rouge vers une grotte creusée naturellement dans la falaise. Le cadre est superbe. Les Himbas commencent leur représentation dans une totale désorganisation. Aucune chorégraphie et ce qui semble être une totale improvisation de la part des acteurs. Mais l’instant est superbe néanmoins. Ils dépensent une folle énergie à taper des pieds et dans leurs mains. Les chants accompagnent leur danse.

Pendant ce temps où les parents sont occupés à danser, les très jeunes enfants escaladent les rochers et jouent à se rouler dans la poussière ou rejoignent leur maman pour un câlin ou une tété. Une maman embarrassée pose son petit en hauteur dans un creux du rocher.

Alors que nous nous apprêtons à partir, John, le gérant du Ovahimba Living Museum s’approche. Il a déjà entendu parler de nous par nos amis Isa et Manu. Il est très intéressé par notre aventure et souhaite nous offrir la nuit au camping qu’il a créé au sein du musée. Le cadre est magnifique au pied de ces falaises rouges. Nous acceptons sa proposition et nous passons un long moment dans notre petite maison autour d’un café à discuter de son projet de vouloir tout mettre en place pour scolariser les enfants de sa communauté. John a eu la chance d’aller à l’école et même de faire des études supérieures mais il a fait le choix après celles-ci de revenir là où il a grandi juste pour aider les jeunes enfants. Grâce aux bénéfices générés par la venue des touristes, les enfants à partir de 6 ans peuvent aller à l’école. Mais elle est à 4 km et les enfants y sont donc internes et ne reviennent que tous les 15 jours au village. Par contre, l’école secondaire est à 40 km.

Nous nous installons au campsite pour lequel bien entendu nous paierons notre emplacement pour le bien des enfants de la communauté.

A la nuit tombée, John vient frapper à la porte pour m’offrir une paire de sandales traditionnelles himbas. La semelle est en cuir de chèvre. Les lanières également. Quelle gentillesse ! Puis il vient aussi assister à la démonstration nocturne de jonglage de boules lumineuses qu’Anaïs lui a promis. Nuit parfaitement au calme. Peut-être allons-nous entendre les léopards cette nuit qui rôdent dans le secteur….

Dimanche 6 juin 2021 :

École ce matin agréablement interrompue quand John répond à notre invitation de venir boire le café et de manger du pain cuit par Audrey ce matin qu’il tartine de la pâte à tartiner préparée par Anaïs. Il est accompagné d’un vieil oncle de 86 ans. Un vieux monsieur très beau, magnifique. Il s’appelle Uemutara. Il ne se déplace jamais sans son bâton et son arme avec laquelle il a déjà tué un lion et des léopards. Elle est parfaitement affutée, aussi bien au niveau du pic que de la lame. Ce monsieur est rouge, tout rouge. Il s’enduit le corps tous les jours d’ocre. Son corps est lustrant. Sa casquette aussi. Son arme aussi. Son tabac à priser aussi.

Tout ce qu’il touche devient rouge. Il savoure notre café dans lequel il ajoute quatre cuillères de sucre et du lait. Nous passons un moment exceptionnel avec ce vieil homme très curieux de notre origine. Nous lui expliquons que nous vivons en France mais ça ne lui parle pas trop. Les 7000 km de distance non plus, pas plus que les 10 heures d’avion qu’il faut pour rejoindre la France. Il nous demande si nous habitons plus loin que Lüderitz, une ville namibienne se situant à 1500 kilomètres d’ici. Il nous dit y avoir déjà vu la mer et il nous demande alors si nous habitons après la mer. Nous lui expliquons que oui, nous avons dû traverser la mer pour venir ici. Ah mais il y a la terre après la mer ? nous demande-t-il… Nous lui sortons les livres de géographie des enfants que nous feuilletons à sa place pour ne pas qu’il laisse ses empruntes rouges sur chaque page. Il n’en revient pas de voir où nous habitons. Il n’en revient pas non plus de toutes les photos illustrant un livre de géographie d’un collégien : diversité d’habitats, de climats, d’ambiances citadines ou rurales… Pendant plus d’une heure, il va nous dire sans cesse qu’on habite vraiment très loin. Pas la peine de lui expliquer qu’on fait le tour du monde car ça lui parlerait encore moins car déjà juste l’idée d’une ligne droite vers la France de 7000 km lui parait invraisemblable. On ne va pas lui dire qu’on a déjà roulé plus de 100 000 km autour du monde… Nous lui montrons également notre cabas qui nous sert à aller faire les courses où il y a quelques photos de la ville de Poitiers où nous avons grandi. Il est surpris de la taille des bâtiments comme Notre-Dame-la-Grande ou bien l’Hôtel de ville.

Nous montrons aussi notre livre recensant tous les mammifères d’Afrique au vieux monsieur. Il est ébahi de toute cette diversité et pousse un petit cri dès qu’Anaïs tourne une page.

Anaïs a la bonne idée de lui faire poser son emprunte de main sur une page de son carnet de voyage. Hâte de voir ce qu’elle en fera.Il a son corps tellement gras que juste le fait de poser la main sur la feuille blanche la colore d’ocre rouge.

Ce moment restera pour moi l’une des plus belles rencontres de notre voyage. On pose beaucoup de questions que John traduit à ce monsieur. Il y répond et en pose autant. Quelle belle rencontre ! Merci John de nous l’avoir présenté. Quelle incroyable semaine nous vivons, tellement riche et intense en rencontres, en émotions…

Nous invitons à manger John et son oncle Uemutara. Ils se régalent du dahl d’Audrey parfumé au lait de coco et aux épices indiennes.

Le vieux monsieur nous demande comment il va faire pour garder un souvenir de nous. Nous sortons l’imprimante des enfants. Anaïs prend une photo avec son téléphone, l’envoie en Bluetooth sur l’imprimante et la photo sort en 30 secondes. Il hallucine, tout en tenant dans sa main son arme qui lui sert à se défendre des félins !

John décide de ne pas travailler aujourd’hui à l’entretien du campsite mais de passer une journée de repos avec nous. Nous décidons de rester une nuit de plus pour profiter de ce charmant endroit et surtout de ces incroyables personnes que nous avons rencontrées. Parties de pétanques pendant que les enfants escaladent les rochers tout l’après-midi.

Puis nous parlons aussi beaucoup avec John de ses projets qu’il a pour la communauté aussi bien pour aider les enfants à être scolarisés que pour construire des clôtures autour des potagers (triste, il nous montre des photos de toutes leurs plantations saccagées la semaine dernière par des animaux). Il nous parle plus en détail de son village qu’il a créé en 2008 et qui s’appelle Omungunda. Seulement 3 familles y vivaient au départ mais à présent, il y a 14 habitations différentes. Très peu d’hommes y vivent car ce sont beaucoup de femmes non mariées. Deux hommes s’occupent des troupeaux. Deux autres, présents la journée, vivent à la ville. Et puis, beaucoup des femmes ont eu le choix de divorcer. Car ici, souvent, les femmes n’ont pas le choix dans l’attribution de leur mari. Ça se fait souvent même dès le plus jeune âge, deux ans, cinq ans… Les jeunes femmes ont souvent leur premier enfant dès 14 ans. Du coup, certaines femmes divorcent quand elles atteignent l’âge de 18 ans avant de refaire leur vie avec un mari qu’elles choisissent. Les discussions et les échanges sont passionnants sur nos cultures respectives.

En fin d’après-midi, nous invitons la communauté à manger des crêpes. Une douzaine de femmes viennent s’asseoir autour de la Tiny et dégustent notre spécialité bretonne. Elles adorent. Audrey découpe les grands crêpes en petits bouts pour que tout le monde en profite. On fait durer ainsi ce moment de partage. Chacune d’entre elles repart avec des petits bouts pour leurs enfants. Chouette moment. Elles entament quelques pas de danse autour de la Tiny.

Puis pour nous remercier, les femmes se remettent à danser comme hier durant une heure autour du feu. Cette fois, elles n’ont pas leurs enfants à surveiller alors qu’elles dansent et s’amusent vraiment. Toujours aucune chorégraphie organisée mais on adore voir quelle énergie elles mettent dans cette danse en tapant dans leurs mains ou avec leurs pieds sur la terre, soulevant des nuages de poussière.

Puis c’est autour du feu que nous nous réunissons. Elles dévisagent Anaïs et s’étonnent qu’elle n’ait que 14 ans. Elles lui touchent les cheveux. Anaïs est vraiment la star ce soir.

Puis elles l’invitent à dormir avec elles dans le village de cases. Anaïs hésite. Elle a envie mais décline cette proposition. Puis finalement, nous lui disons que ça peut être une formidable expérience. Notre petite fille accepte finalement et part dans le village pour dormir chez Mukaundaka. Nous rentrons à trois à la Tiny : ça nous fait bizarre d’être séparés ce soir car ça n’est pas beaucoup arrivé depuis le début du voyage. Hâte d’être à demain pour avoir le ressenti d’Anaïs.

Lundi 7 juin 2021 :

Voici le récit de sa journée d’hier écrit par Anaïs dans son carnet de bord. Je comptais au départ juste vous recopier le récit de sa soirée, mais en relisant sa journée, je ne peux manquer de tout recopier ce qu’elle vient d’écrire. Tellement fier d’elle et de mon fils qui lui aussi fait quotidiennement un superbe travail de rédaction.

« Pour le petit déjeuner, on a mangé du pain que j’avais préparé la veille et que maman a cuit ce matin, et on l’a tartiné de Chocolanie. Pendant que je faisais l’école (écriture de mon journal et leçons d’espagnol), John et son frère (en fait c’est son cousin, mais comme dans leur lien de parenté c’est leurs mères qui sont sœurs, ils se considèrent comme frères) sont venus boire un café et goûter au pain et au Chocolanie avec papa et maman. Le frère de John, qui a entre 70 et 80 ans, était habillé traditionnellement : peaux de bêtes en guise de vêtements, bijoux et il était recouvert d’ocre rouge. Après l’école, Victor et moi sommes retournés grimper sur les rochers. Nous sommes retournés grimper au-dessus de la grotte près de laquelle on avait assisté au spectacle la veille, et sommes montés un peu plus haut. Alors que les roches sont super acérées partout, nous avons trouvé un endroit où la roche était autant polie que les dalles de la ville de Split en Croatie ! Quand nous sommes rentrés, John nous a expliqué que c’est l’œuvre des damans des rochers, qui jouent et urinent sur ces rochers. On a aussi trouvé des sortes de coquillages. A midi, on a repris des forces en mangeant avec John et son frère le bon dahl préparé par maman, j’ai joué au Rollit avec maman, John et Victor. Ensuite, j’ai passé un moment à montrer le livre des grands mammifères d’Afrique à Uemutara, le frère/cousin de John. Quand il ne les connaissait pas, il faisait « um um » en secouant la tête de gauche à droite et de droite à gauche, et quand il les connaissait, il ne disait que le nom en himba et je répétais. Quand il a vu l’okapi, il a fait « ah t-t-t-t-t-t », ça a été drôle. Sur son collier, il a des cornes de dik-dik. Quand il a commencé à faire moins chaud, Victor et moi sommes retournés marcher et grimper dans les rochers. Cette fois-ci, on a fait un plus grand tour, en revenant par une autre veine rocheuse. On a pu observer des damans, et on a trouvé une pince de scorpion ! La vue sur la vallée et les collines alentours était belle. A notre retour, on a joué à la pétanque avec John, puis papa a commencé à faire cuire des crêpes. Plusieurs femmes himbas qui nous avaient fait la démonstration de danse la veille sont arrivées. Avec l’aide de John qui traduisait, on leur a dit que maintenant qu’elles nous avaient partagé leurs traditions, on voulait faire de même, puis on a distribué des quarts de crêpes. Elles ont globalement bien aimé. On est ensuite tous allés autour du feu que John et moi avions préparé plus tôt. Les femmes ont de nouveau dansé, tout en rigolant, et nous ont invitées maman et moi, à essayer. C’était cool ! On nous a donné des beignets traditionnels, et ils étaient super bons ! Au moment où on commençait à se dire au revoir, une des femmes, Mukaundaka, m’a invitée à venir dormir sous sa hutte. Après avoir un peu hésité par timidité, j’ai accepté, et ça a finalement été génial ! William, l’homme qui avait été notre guide lors de la démonstration de danse, m’a accompagnée pour m’aider à parler avec les femmes, qui ne comprennent pas l’anglais. La hutte de Muka’ est grande comme la moitié de la Tiny, et il y a un grenier. Pendant que ses copines arrivaient, elle a commencé à parfumer la pièce et la couverture dans laquelle elle a ensuite dormi, à l’aide d’une sorte d’encens. Ensuite, jusqu’à 21 heures, on a parlé des différences entre ici et la France, notamment au niveau des droits de la femme, du mariage et de l’école. Elles m’ont expliqué que chez les Himbas, bien que la plupart des filles soient mariées entre 15 et 17 ans, certaines sont tout de même promises à un homme dès leur enfance (mais après, elles ont quand-même le droit de divorcer). Quand je leur ai dit qu’en France, la polygamie est interdite et qu’on ne peut pas se marier avant 18 ans, elles ont trouvé ça très bien, et m’ont conseillé de rester toute ma vie toute seule. Tout en discutant, elles mangeaient une sorte de porridge froid et buvaient du thé. Quand, vers 21 heures, tout le monde (mise à part Muka’, son bébé, William et moi), est parti, nous nous sommes également couchés. William a dormi sur un matelas une place, et Muka’, son bébé et moi, nous avons dormi sur un matelas une place ½. Pendant la nuit, je me suis réveillée quelques fois quand le bébé se réveillait en pleurant ou quand les pompons au bout des cheveux de Muka’ me chatouillaient le nez, mais j’ai globalement bien dormi (avec des Himbas dans une hutte himba) ». Merci Anaïs, imagines-tu tous ces souvenirs que ça te fera quand tu reliras toutes ces lignes dans quelques années ou quelques décennies ?

Ce matin de nouveau, John vient partager le café avec nous dans la Tiny. Il semble s’être attaché à nous et réciproquement. Nous n’aurions jamais imaginé faire une telle rencontre en ne venant ici « que » pour voir un spectacle de danse himba.

Matinée école, blog, plein d’eau et lessive. Puis, nous partons un peu marcher sur de magnifiques rochers sur les hauteurs surplombant le hameau de Omungunda.

Après manger, nous passons saluer toute la communauté du Ovahimba Living Museum . En entrant dans le village, les femmes appellent Anaïs qui est une vraie star. Mukaundaka la prend par la main et plusieurs demandent à se faire prendre en photo avec elle. Ce village typiquement himba est trop beau car encore plus traditionnel que celui où nous avons déjà séjourné. Les huttes sont coniques et entièrement en matériaux naturels. Un feu brûle même en pleine journée devant ces petites cases. Nous visitons celle où Anaïs a dormi hier soir.

Ce sont les aurevoirs, presque le cœur serré de déjà partir tellement nous avons partagé de bons moments ici.

Mais notre voyage continue, non pas en terre inconnue mais en terrain connu car nous retournons comme promis dans le premier village himba de Ovinjange où nous étions passés il y a quelques jours. Sur la piste, nous passons devant quelques villages himbas ou héréros.

Le village est bien désert quand nous arrivons. Personne n’est dehors en cette heure chaude de l’après-midi. Mais rapidement, on revoit des têtes connues. Le jeune Rote avec son bonnet rouge est le seul à parler un peu anglais. Avec son copain Sack au tee shirt rayé et sa grand-mère Vatengisamo ainsi qu’une autre femme, Kataeko, ils viennent tous partager un thé dans la Tiny. La grand-mère enduite d’ocre tient à s’asseoir par terre pour ne pas tâcher les tissus de nos fauteuils. Mais les gars doivent nous laisser pour aller porter plainte auprès de la police qui arrive pour le vol de leur âne il y a quelques jours.

Puis ce sont des parties de pétanque, de « quatre coins » ou de jonglage qui s’enchainent entre Anaïs, Victor et les petits Himbas. Audrey et Anaïs s’installent dehors sur une couverture avec des enfants qui écoutent avec attention et reproduisent avec application les petits graphismes sur les feuilles et les crayons qu’elles leur ont distribués. Ils sont fiers de montrer leur dessin et d’y écrire leur prénom : Nawanawa, Mberii, Makahorera, Wapasa Muheje, Peno, Ngarizarve, Murangere, Anacky, Kutaa, Vetaa, Zakekua, Muno, Kaneluva, Vetatuu, Wapyangako, Muko ambara, Raponda, Tjapatua, Nyandee… Des bébés marchant tout juste s’accrochent au dos des plus grands qui n’ont sans doute pas encore 10 ans. Et même quand les petits essayent de prendre les précieux crayons, personne ne s’énerve. Chacun attend son tour, prend soin du plus jeune, défroisse le dessin malencontreusement froissé avec patience. Quand le soleil s’est couché, les enfants se dispersent au fur et à mesure que la lumière décline pour rejoindre leur foyer. Devant chaque case, un feu extérieur est allumé…

De nouveau, nous sommes autorisés à rester là pour la nuit. Whaouuu, quelle semaine !!