93 km parcourus du 15 au 28 avril 2022

94 436 km parcourus depuis le départ

Vendredi 15 avril 2022 :

Je commence le dernier article de ce blog. Le 150ème ! Oui, 150 articles écrits sur les routes du monde. Jamais je n’aurais pensé en écrire autant. Ce n’était pas gagné non plus de maintenir ce rythme de parution assez régulier avec un nouvel article tous les 8 jours. D’autant plus que comme vous l’avez constaté, je suis assez bavard. Chaque parution est le fruit de l’écriture d’une dizaine de pages Word (hors photos) et la sélection d’environ 300 photos. Bien évidemment, ce blog sera pour nous 4 un formidable souvenir de notre quotidien de ces 1300 jours de cavale qui vont bientôt s’achever. Mais ce qui m’a poussé chaque semaine à maintenir ce rythme est bien entendu tous les messages reçus par mail, par WhatsApp, tous les commentaires sur Facebook qu’on recevait de vous tous. Des milliers. Merci ! Merci à vous tous, famille et amis ! Merci à vous tous, chers inconnus qui avez pris goût à nous suivre régulièrement.

C’est donc avec nostalgie, évidemment, que j’écris ce dernier article, vous pouvez vous en douter. De la tristesse ? non, enfin oui, mais non, enfin je ne sais pas. Oui car c’est la fin, la fin de notre cavale, la fin de l’imprévu d’une nouvelle rencontre, d’une nouvelle galère, d’un nouvel émerveillement. La fin d’une extraordinaire aventure où la monotonie n’existe pas, la fin de notre nomadisme qui dure depuis plus de trois ans et demi. Non, car nous rentrons voir les gens qu’on aime et manger du vrai fromage et des chocolatines en France. Et puis non, car nous allons très vite ouvrir une nouvelle page de notre vie en allant dès le mois d’août prochain nous installer sur l’île de La Réunion pour y vivre les deux prochaines années. Alors oui, c’est bizarre, le sentiment de peine est mêlé à une excitation débordante.

Je reprends l’écriture de notre quotidien. Vue imprenable au-dessus de la plage de Sheffield. Nous sommes toujours à Salt Rock sur un parking bien en surplomb de l’Océan Indien pour être à l’abri d’une éventuelle montée des eaux ou de coulées de boue comme il y en a eu beaucoup dans la ville où nous sommes, car de nouvelles pluies sont prévues ce week-end.

Un camion-citerne vient ravitailler les résidents du quartier. Suite aux inondations, une grande partie des maisons de la région n’est plus ravitaillée en eau potable (à l’heure où je publie ce blog, soit 15 jours plus tard, ce n’est toujours pas le cas). Les gens défilent donc avec des bidons et des seaux. Nous en faisons de même et nos réserves nous permettront de tenir jusqu’à l’appartement que nous avons loué à partir du 18.

L’activité a repris, timidement, sur le port de Durban mais de nombreux bateaux ont jeté l’ancre dans la baie face à nous et il faudra certainement très longtemps avant que le retard soit résorbé. Notre bateau reste prévu à la même date mais on doute du maintien du rendez-vous initial. Il a quitté le port de Dar es Salam en Tanzanie et navigue tout droit vers sa prochaine escale à Durban. Il est prévu dans les temps avec une arrivée le 21 avril. Mais 4 roros, qui sont des navires qui transportent chacun entre 6000 et 7000 voitures, attendent leur tour pour entrer au port… 2 sont à quai et n’ont pas bougé depuis trois jours alors qu’ils ne restent pas plus qu’une trentaine d’heures à quai en général… Le @@@retard risque donc de s’accumuler et d’être long à récupérer. On attend confirmation mais il semblerait que notre rendez-vous du 19 avec la douane soit malgré tout maintenu.

Nouvelle rencontre avec Tatjana qui vient à notre rencontre et nous propose spontanément de venir profiter de sa piscine cet après-midi… Bon d’accord…

Mais avant, il nous faut faire un dernier plein de courses pour être autonomes les prochains jours. Nous en profitons pour nous offrir un resto de la même chaine où nos amis Mariana et Georges nous avaient invités deux fois à Pretoria. Victor avait adoré les triples burgers du Yami et rêvait d’en manger un autre avant de repartir. Nous leur envoyons une photo de notre repas en leur disant qu’on pense fort à eux. Bon en fait, on n’avait pas compris, mais nos amis semblent aussi être les propriétaires de ce restaurant comme de beaucoup d’autres en Afrique du Sud. Ils nous disent de ne pas payer, que c’est cadeau, mais c’est déjà fait. Le personnel du resto semble bien embarrassé. Du coup, ne pouvant nous rembourser, ils nous offrent en take away le même repas qu’on vient de manger. Ça nous fera notre repas de demain !

Nous roulons vers chez Tatjana et Wolf. Mais le temps s’est mis à la pluie. Tant pis pour la piscine. Ils habitent eux aussi dans une splendide maison dominant l’océan. Très beau moment en leur compagnie qui se prolonge en dinant avec eux. Pour le coup, c’est certainement notre dernière invitation car très vite, nous n’aurons plus notre Tiny qui est incontestablement un vecteur de rencontres. Sans elle, nous allons vite retomber dans l’anonymat…

Nous passons une excellente soirée en leur compagnie, qui se termine par des jeux de société. Nous dormons devant leur maison. Il pleut et le vent souffle fort ce soir. Nous ne sommes pas mécontents d’être à l’abri, protégés par les hauts murs de leur cour.

Samedi 16 avril 2022 :

Tatjana est une pâtissière professionnelle. Elle a son laboratoire chez elle et elle a régulièrement des commandes de gâteaux. Ce matin, nous restons trois heures avec elle pour l’admirer confectionner cette œuvre d’art. Les enfants l’aident un peu à travailler. On croquerait bien dans ces 1,2 kg de chocolat Lindt ! Tatjana est passionnée par la confection de ses gâteaux qui sont de véritables chefs d’œuvres. Elle travaille avec une minutie et un soucis de la perfection extraordinaires. Les yeux pétillants, elle nous livre quelques secrets de fabrication. Qu’est-ce qu’on aime rencontrer des gens passionnés !

Puis c’est le départ vers Durban, sans toutefois vouloir y arriver car il pleut toujours et la ville est toujours dans la remise en état de ses infrastructures et dans la macabre recherche des disparus dans les inondations.

Nous nous arrêtons donc dans une autre ville balnéaire, à Ballito sur un parking de plage. Mais le temps n’est pas à la baignade. D’énormes rouleaux la rendraient dangereuse. De plus, 12 crocodiles se sont échappés d’une ferme d’élevage inondée et des promeneurs en ont retrouvés sur les plages. Nous restons donc bien au chaud dans la Tiny jusqu’à l’arrivée de Luther, notre voisin du jour qui nous invite chez lui à manger des spaghettis. Il n’est que 17 heures mais nous sommes invités à venir dès maintenant. Lui et sa femme Dominique, ainsi que leur ami Dean, tiennent une maison d’hôtes surplombant l’océan. Nous passons une dernière chaleureuse et belle soirée dans ce qui est pour le coup, notre dernière invitation au cœur d’une famille de Sud-Afs.

Dernier bivouac au bord de l’océan.

Dimanche 17 avril 2022 :

Nous ne sommes plus qu’à quelques toutes petites dizaines de kilomètres de la ville de Durban, le terminus de nos 100 000 km (en incluant notre kilométrage à La Réunion et de nos diverses excursions en 4×4 dans le Gobi ou le Namib) sur les routes du monde. Alors on savoure chaque kilomètre qui défile. Les paysages n’ont rien d’exceptionnels et sont surtout ravagés par les inondations les plus graves de l’histoire de l’Afrique du Sud dans la région du KwaZulu Natal. Durban a été l’épicentre du chaos causé par les pluies torrentielles. Le bilan humain dépasse les 500 morts. Mais il est forcément sous-estimé compte tenu des plus de 30 000 maisons endommagées. Plus de 50 000 sans-abris. 14 ponts détruits. Nous voyons les lits de fleuves où le niveau d’eau est revenu à la normale après être monté de plusieurs mètres de hauteur. L’autoroute qui nous mène vers Durban est juste rouverte à la circulation. Les glissements de terrain sont impressionnants. Nous longeons des zones industrielles ravagées par les eaux et la boue. Nous nous arrêtons dans un centre commercial à la recherche de valises mais celui-ci a entièrement été sous les eaux. Nous errons dans ses allées dévastées mais nous ne voyons que des commerçants affairés à nettoyer et sauver ce qu’ils peuvent de la boue. L’électricité n’est pas revenue et les groupes électrogènes tournent à plein régime. Pas de valise dans le peu de commerces ouverts malgré leur rayonnage encore sous la boue. Un peu plus loin, nous trouvons notre bonheur dans un supermarché.

Dernier plein de gasoil de la Tiny. Le 260ème depuis le début de la cavale !

Derniers kilomètres vers l’appartement loué à partir de demain dans une résidence dans Durban près du jardin botanique. Nous n’aurons donc pas les clés aujourd’hui mais on espère pouvoir entrer sur le parking pour y préparer la Tiny. Un portail électrique empêche l’accès au parking privé de la résidence mais je me gare devant l’entrée en attendant que quelqu’un m’en permette l’accès quand il sortira. Dès qu’il s’ouvre, je m’y engage. Ouf, la seule place capable d’accueillir la Tiny est libre. Nous voici posés. Fin de la cavale pour Anaïs et Victor. Nous n’aurons plus qu’à reprendre la route pour quelques kilomètres avec Audrey pour les formalités portuaires.

Les résidents, pour la plupart d’origine indienne comme beaucoup d’habitants de la ville de Durban, nous saluent, nous proposent de l’aide si besoin. Une dame nous apporte même notre petit déjeuner pour demain matin !

Et voilà, c’est parti. C’est parti pour quelque chose dont nous avons l’habitude certes mais quelque chose de pas très agréable. La préparation pour le shipping. C’est la cinquième fois qu’on le fait. Cette fois-ci dans de meilleurs conditions qu’à Kuala Lumpur en Malaisie : on avait dû le préparer en 4 heures à cause de notre rapatriement express organisé en quelques heures par l’Ambassade de France suite à l’apparition du Covid en mars 2020.

Il s’agit donc de préparer les valises, d’emmener avec nous ce qui a le plus de valeur sentimentale et tout ce qui a une valeur financière qui pourrait intéresser nos futurs cambrioleurs comme par exemple l’électronique et l’informatique. Car oui, on s’est fait à l’évidence qu’on allait certainement se faire visiter la Tiny durant cette traversée maritime. Les shippings sont toujours redoutés par les voyageurs car ils sont souvent source d’effraction. Forcément, on attire l’œil avec nos véhicules de voyageurs. Le personnel portuaire sur les ports de départ ou d’arrivée ou bien durant les escales le savent et ils ont largement le temps de cambrioler nos maisons pendant les quelques jours que passent les véhicules à quai ou bien durant les 3 à 4 semaines que durent en général les traversées transatlantiques. On le sait. On n’a pas le choix. On l’assume. Mais cette traversée est d’autant plus redoutée que dans les deux derniers bateaux partis il y a quelques semaines de Durban, deux familles d’amis voyageurs se sont fait visiter leurs camping-cars. Alors, on va serrer les doigts et même se mettre à prier. Peut-être aurons-nous la même chance que lors de nos quatre derniers shippings, entre la Belgique et l’Uruguay, entre l’Uruguay et la France, entre la Malaisie et la France et entre l’Italie et le Kenya. Au-delà des bagages dont Audrey s’occupe, il me faut sécuriser l’accès à la cellule de la Tiny. Elle va voyager sur un navire de type roulier ou roro (roll on-roll off signifiant littéralement « entrer en roulant, sortir en roulant »), une sorte d’énorme ferry. On a donc besoin de laisser les clés pour permettre au personnel de bouger le véhicule. Grâce à 8 grosses et épaisses planches récupérées dernièrement sur un tas de déchets, je condamne l’accès entre la cabine et la cellule. J’y passe quelques heures et je mets des dizaines de vis…

Nous démontons aussi les débords de toit de la Tiny. Ils dépassent sinon de 25 cm de chaque côté et comme on paye le shipping au volume total, c’est presque 12 mètres cubes de gagnés. Son précédent propriétaire et constructeur avait bien étudié cela, sachant qu’elle avait déjà shippé en 2015 vers l’Asie du Sud-Est.

Dernière nuit dans la Tiny. La chambre d’Anaïs n’en est plus une. Son sommier a été remonté à la verticale pour être vissé dans les planches de la nouvelle cloison avec la tôle de protection sous moteur prise en sandwich entre les deux. Indestructible, du moins je l’espère ou alors il faudra que nos voleurs soient motivés et outillés pour passer par là. Anaïs dort donc ce soir devant dans la cabine.

Lundi 18 avril 2022 :

Deuxième journée de travail. Les enfants ayant déjà trié leurs affaires ne peuvent plus nous être utiles. L’espace intérieur, déjà pas grand, est encombré. Ça ne ressemble plus à une Tiny. Ça pourrait presque faire peur de se dire que ce soir, il faut que tout soit rangé mais nous avons l’habitude avec Audrey. On sait que tout sera OK.

Nous en profitons aussi pour chasser les punaises de lit qui sont revenues en force ces derniers jours. Nous traitons donc au puissant insecticide professionnel que nous avons chaque recoin de la Tiny. Comme on ne va pas l’habiter pendant au moins deux mois, on en profite pour en mettre partout dans les moindres recoins.

La journée avance et effectivement, à 17h30 à la tombée de la nuit, la Tiny est prête. Elle est sécurisée du mieux que je pouvais faire. Audrey a bouclé nos 4 valises et nos 4 bagages cabine. On espère retrouver le reste à notre retour dans la Tiny. Si elle venait à se faire cambrioler, on sera évidemment peinés mais ce sera un moindre mal sur une fin de voyage. D’autres voyageurs ont eu à gérer un cambriolage, voire du vandalisme gratuit, de leur véhicule en milieu de voyage et là, ce n’est pas la même chose. Pas évident de réparer ce genre de véhicule à l’étranger, de racheter des fenêtres ou des serrures bien spécifiques, de se rééquiper en outillage, en vêtements techniques, en matériel de camping, en choses encombrantes qu’on ne peut emmener en bagages dans un avion. Allez, on va serrer les doigts et faire brûler des cierges pendant trois semaines.

Nous récupérons les clés de notre appartement. Cette fois-ci, c’en est fini avec notre vie de nomades. Et nous commençons aujourd’hui une vie sédentaire. On s’installe dans un 80 m², deux chambres, des lits immenses aux draps immaculés avec plein d’oreillers, deux salles de bains, une cuisine avec un four, un salon, une machine à laver, une salle à manger, une télé avec Netflix et YouTube, des canapés confortables, une box Internet !!! Le luxe pour des voyageurs. Trop de luxe. Mais Anaïs dit déjà que le jardin n’est pas assez grand. Par chance, le quartier où nous avons réservé est approvisionné en eau potable et en électricité, contrairement à de nombreux quartiers de Durban. Tiens, tiens, les cloches de Pâques sont passées… Chasse aux œufs…

Mardi 19 avril 2022 :

Nous avons rendez-vous ce matin avec Vernon, le transitaire avec qui nous traitons le shipping. Nous sommes obligés de passer par un intermédiaire avec la compagnie maritime qui ne traite pas directement avec les clients finaux. Vernon, avec qui nous échangeons depuis de nombreuses semaines, a toujours été d’une réactivité exemplaire dans nos relations. Nous sommes en pleine confiance avec lui, d’autant plus que les retours des autres voyageurs qui sont passés par lui sont aussi excellents. Nous nous retrouvons dans un dépôt sur le port. Pas son dépôt car celui-ci a été inondé par un mètre d’eau la semaine dernière. L’eau a été évacuée mais il reste encore 40 cm de boue à l’intérieur. Une fois encore, nous avons eu une chance énorme car à une semaine près, on aurait dû livrer la Tiny dans ce dépôt là et elle aurait dû y rester stockée jusqu’au chargement sur le bateau.

Nous faisons connaissance avec Vernon. Deux autres couples de voyageurs français sont là. Marc et Murielle ainsi que Véro et Dominique semblent bien nous connaître pour nous suivre sur notre blog mais nous ne les connaissons pas et nos chemins en Afrique ne se sont jamais croisés. Ils vont aussi shipper mais vers l’Uruguay et leurs deux 4×4 sont assez petits pour rentrer dans un container, beaucoup moins cher et plus sécurisé qu’un roro.

Nous sommes ici pour le contrôle des douanes. Deux agents contrôlent juste la conformité de nos papiers, de notre Carnet de Passage en Douane et le numéro de châssis. Heureusement, ils ne demandent pas à contrôler le contenu de la Tiny. On aurait été sérieusement embêtés si on avait dû démonter toutes les cloisons qu’on a mis deux jours à monter !

En temps normal, on aurait dû se séparer de notre Tiny à ce moment-là, juste après le contrôle douanier et la mettre sous clé dans le dépôt de Vernon. On aurait ensuite été escortés par la douane dans deux à trois jours pour l’emmener au port. Mais compte tenu de la désorganisation du port en ce moment suite au chaos des inondations, nous sommes exceptionnellement autorisés à repartir avec. Retour à l’appartement où nous retrouvons nos enfants sagement en train de faire l’école.

Après-midi tranquille, à se reposer de la fatigue nerveuse et physique des deux derniers jours, à profiter de s’affaler dans les canapés…

Mercredi 20 avril 2022 :

Je me réveille et comme depuis quelques jours, je saute sur mon téléphone pour suivre l’avancée du bateau. Juste au moment où je consulte le site, le roro Grand Cosmo arrive tout juste au large de Durban, avec une journée d’avance. Nous avons de la chance qu’il soit dans les temps mais le port est toujours encombré et trois autres roros ont eux-aussi jeté l’ancre à deux brasses du port en attendant que les deux autres roros déjà à quai libèrent de la place. Autant dire qu’on craint que le bateau prenne plusieurs jours de retard. Qu’importe, on est là encore pendant plus d’une semaine.

Nous avons rendez-vous ce matin au port pour la livraison de la Tiny. Les enfants restent à l’appartement et sont tristes de voir partir celle qui nous a permis de parcourir le monde depuis plus de 3 ans et demi, celle qui a déclenché des millions de sourires, celle qui nous a permis de faire des milliers de rencontres, celle qui nous a permis de bivouaquer sur des plages paradisiaques aux bords de l’Océan Atlantique ou de l’Océan Indien, celle qui nous a emmener en mode dégradé dans le prolongement de la chaîne de l’Himalaya à 4660 mètres d’altitude sur la Pamir Highway, celle qui nous a fait découvrir parmi les endroits les plus sauvages du monde que sont les déserts de Namibie ou les steppes de Mongolie, celle qui s’est faite frôler par des rhinocéros, des hippopotames, des éléphants, des lions, celle qui nous a emmenés dans le Désert de Lut en Iran, celle qui a accueilli des centaines de villageois curieux de voir arriver une maison sur roues, celle qui nous a emmenés des souks du Maroc aux Temples d’Angkor en passant par la Grande Muraille de Chine, celle qui nous a permis de rencontrer des peuples Himba, San, Mafwe, Herero, Tonga, Massaï, Luo, Zoulou et tant d’autres en Afrique, tout simplement celle qui nous a permis d’aller au bout de notre rêve. Alors oui, l’émotion est à son comble ce matin.

Voici un poème qu’Anaïs a écrit à notre arrivée à Durban, dernière étape de notre cavale :

« Mille voyages

et tout à coup… la fin

je ne l’ai pas vue vraiment arriver celle-là

je la connais depuis un moment pourtant

elle porte le nom de Durban

on y allait à Durban

c’était notre destination

« we’re on the road to Durban »

mais non 100 000 kilomètres

c’est pas assez pour s’y préparer

pour se dire que ça va être fini

une fin comme ça

on ne peut que s’y attendre, pas s’y préparer

mais est-ce que c’est vraiment grave ?

Durban malgré tout c’est une fin que j’aime

qui me fait regarder en arrière et qui me dit meuf regarde tout ce que t’as vécu

c’est la fin d’un voyage extraordinaire

auquel dix ans après on pense en souriant plus qu’en pleurant

Durban c’est un au revoir

aux éléphants qui nagent

aux lionnes et aux lions à cinq mètres de la cabane

aux baleines dans le même océan que moi

Durban c’est le début d’une pause

dans les rencontres imprévues

dans les discours de présentation tant répétés qu’ils sonnent comme des poésies

dans les découvertes de cultures

Durban c’est aussi la fin de la cabane

des traversées de villages en folie

des bivouacs de rêve

mais bon, je l’aime quand même cette fin du nom de Durban

au fond quand même un peu, hein

elle est belle

elle est émotive

elle est promettante

Durban en vrai c’est une fin exotique

c’est une fin qui n’est pas vraiment une fin parce que tout semble y continuer

parce que c’est une promesse de nouveaux départs

et puis les fins c’est triste mais Durban c’est un coucher de soleil

c’est une fin dans la beauté

une fin qui est vraiment là pour me dire

entre autres cette chose forte

ça va continuer ».

Nous roulons vers le port. Ce sont les 5 derniers kilomètres de notre cavale. La gorge est nouée. Le cœur est serré. Nous retrouvons Vernon. Terminus. J’éteins une dernière fois le moteur. Sachant qu’au moins un des deux cambriolages du véhicule de nos amis s’est produit précisément sur ce port (une caméra embarquée a filmé le vol), nous demandons à laisser la Tiny le temps de son chargement près du poste de garde qui surveille les accès au port. C’est chose faite mais en même temps, c’est aussi là que nos amis les Un tour à cinq ont garé leur véhicule et il y a un mois et qui s’est aussi fait visiter. Mais bon, pour eux, peut-être que le vol s’est produit durant la traversée, lors d’escales ou bien à leur port d’arrivée au Sénégal, bien que les soupçons laissent penser que le mode opératoire était le même que pour nos amis belges quelques jours auparavant. C’est chose faite. La Tiny n’est pas très loin d’un regard protecteur. Mais bon, il y a forcément du personnel véreux dans ce port. Alors, il n’y a plus qu’à croiser les doigts, encore une fois. La cavale est terminée. La petite orpheline de ses quatre Mollalpagas reste sur le quai de chargement en attendant son bateau.

Nous récupérons notre précieux sésame, le Carnet de Passage en Douane dument tamponné, ce qui nous permettra de récupérer de retour en France la très grosse caution que nous avions laissée à l’Automobile Club de France à notre départ. Après encore de nombreux contrôles du numéro de châssis, nous confions les clés au personnel et faisons une dernière caresse à notre Tiny.

Vernon nous ramène gentiment à notre appartement où nous retrouvons nos enfants. Nous passons la journée à décompresser du stress et de la fatigue accumulés ces derniers jours. A présent, il ne nous reste plus qu’à patienter d’ici à notre retour en France. Nous avions acheté notre billet d’avion bien avant d’avoir les dates du bateau et nous ne pouvons changer les dates du vol prévu le 28 avril. Enfin, pour l’instant notre vol intérieur entre Durban et Johannesburg est annulé et il va falloir trouver une solution… mais on verra cela plus tard.

Anaïs a travaillé sur des cours de photographies et voudrait passer à la pratique. Elle sort faire avec sa maman un shooting photo dans le jardin botanique voisin.

Nous apprécions le confort d’un appartement pour faire tourner toute la journée des machines à laver. C’est dingue comme en lavant notre linge à 40°C pendant deux heures, celui-ci s’éclaircit et les tâches disparaissent !! Tout y passe, les vêtements d’été, d’hiver, les vêtements de pluie, les chaussures, les sacs à dos, les doudous… Il ne s’agit pas de ramener des punaises de lit en France bien qu’on en ait jamais retrouvé dans nos affaires personnelles car elles ne se cachent que derrière le lambris de la Tiny. Mais bon, par précaution, il vaut mieux.

Audrey apprécie aussi d’avoir un four pour cuisiner. Pas grand-chose nous a manqué en voyage mais un four, c’est quand-même cool.

Jeudi 21 avril 2022 :

Ce matin encore, je scrute dès le réveil l’avancée du bateau. Celui-ci fait des ronds dans l’eau depuis 24 heures. 7 heures du matin, il remet son moteur en marche et se dirige vers l’entrée du port. Je réveille Victor pour aller le voir. Mais non, fausse alerte, le Grand Cosmo change de nouveau de direction.

Milieu de matinée, cette fois paraît la bonne, le bateau se rapproche du port. On saute tous les 4 dans un UBER jusqu’à l’entrée du port. On le voit, il n’est plus très loin, il avance vers nous. Nous buvons une bière en l’attendant quand une nouvelle fois, il se remet à faire des ronds dans l’eau. On patiente en mangeant un bon curry indien mais non, le bateau ne semble pas avoir envie de venir, bien que trois places se soient libérées sur le quai aujourd’hui.

Tant pis, nous décidons de marcher sur Le Golden Mile, cette longue esplanade aménagée le long de la plage tout en observant si le roro ne se dirige pas vers le port. Le front de mer est bien aménagé mais les bâtiments ne sont pas très jolis. Nous marchons un peu plus de 5 km jusqu’au Stade Moses-Mabhida construit pour accueillir la Coupe du monde de football de 2010.

La plage est jonchée de tonnes de détritus végétaux et de déchets plastiques. De nombreuses personnes s’affairent à trier ces déchets et déjà des sections de plage sont nettoyées mais il reste encore des centaines de mètres cubes charriés par les inondations à évacuer. Et moi qui disais dans le dernier article qu’on trouvait les plages étonnamment propres en Afrique du Sud…

Le bateau ne bouge pas. Tant pis. Retour à l’appartement en UBER. Mais sur le chemin du retour, je m’aperçois que celui que je scrute sur Internet depuis des jours a enfin décidé de rentrer au port. Les filles restent à l’appartement et avec Victor, nous resautons dans un autre UBER vers le port. Mais le bateau avance trop vite pour que nous arrivions à temps pour le voir passer. Pas de chance. Je demande au chauffeur de revenir à notre point de départ. Il ne comprend rien…

Vendredi 22 avril 2022 :

La panne de courant commencée hier à 20 heures dure jusqu’à 16 heures aujourd’hui. Déjà l’Afrique du Sud est régulièrement confrontée à des pannes de réseau en raison d’un très mauvais entretien du réseau lié à la corruption mais les inondations de la semaine passée et un incendie dans une station électrique hier ont ajouté au malheur des habitants de la ville déjà sinistrée.

Journée encore au ralenti. Nous avons la chance d’avoir un appartement confortable avec un balcon et une vue agréable car nous sommes un peu en hauteur et nous surplombons le jardin botanique, les immeubles de la ville, l’océan au loin.

Nos voisins de palier, Jamila et son mari, sont aux petits soins pour nous. Ils nous apportent notre repas de ce midi sachant qu’on n’a pas d’électricité pour cuisiner. Au menu, une salade, des œufs durs, de l’eau chaude et des sachets de cappuccino…

Petit contre coup de fatigue et gros coup de blues. Les enfants profitent d’avoir du wifi à volonté pour s’amuser sur Internet. Depuis le début du voyage, ils étaient limités à un plafond de 300 Mo par jour de données Internet, ce qui est vite atteint mais ils ont toujours joué le jeu de ne pas le dépasser. Alors là, on lâche un peu prise… Et puis, il faut bien s’occuper durant cette semaine à Durban où il n’y a pas profusion de choses à faire ou à visiter. La ville est assez sale. Il y a beaucoup de misère dans les rues et on ne se voit pas aller déambuler dans certains quartiers qu’on a traversés en taxi ou en Tiny. On trouve qu’il y a plus de gens à la rue, survivant dans des conditions terribles que dans d’autres grandes villes sud-africaines qu’on a traversées comme Pretoria, Cape Town, Georges ou East London.

Je retourne sur le port avec Victor car il me semble avoir repéré sur une vue satellite un endroit d’où on pourrait voir le bateau. Effectivement, on peut s’en approcher à une centaine de mètres. Il est tellement énorme. Le Grand Cosmo comme la plupart des navires rouliers mesure 199 mètres de longueur, 32 mètres de largeur et 36 mètres de hauteur. On observe le chargement des véhicules par la rampe arrière de ce monstre des mers. Il y a de tout, du matériel de TP, des moissonneuses batteuses, des camions, des voitures… Nous voyons la Tiny qui n’a pas été encore chargée. Elle paraît minuscule au pied de ce monstre des mers. Elle attend sagement son tour à côté d’un autre véhicule de voyageurs qu’on ne connaît pas.

Retour à l’appartement où nous passons une nouvelle journée tranquillou…

Samedi 23 avril 2022 :

Les programmes de nos journées ne sont pas fous et elles s’enchainent doucement. Jeux de société, courses à pied pour Audrey dans le jardin botanique, lessives, apéros, école, écrans, courses, cuisine… Bref, rien de passionnant et le temps nous parait un peu long. Mais les journées se terminent par un joli coucher de Soleil, du coup, on doit reboire l’apéro sur la terrasse.

Audrey profite de son cadeau d’anniversaire avec deux mois de retard pour aller passer une heure dans un salon de massage. J’en profite pour l’accompagner car les prix sont ici quatre fois moins chers qu’en France. Agréable moment pour ce massage duo.

Dimanche 24 avril 2022 :

Le roro prend la mer comme prévu le 24 en soirée avec juste quelques heures de retard sur le programme prévu et est en route pour East London où il est attendu demain puis il fera une deuxième et dernière escale à Port Elisabeth deux jours plus tard, toujours en Afrique du Sud, avant de faire route vers l’Europe. Il a quasiment 12 000 km à parcourir dans l’Océan Indien et l’Océan Atlantique. Bon vent mon bébé… Nous recevons le fameux BL ou Bill of Lading, une sorte de bon de livraison, preuve que notre Tiny est bien à bord du bateau. Ouf, une bonne chose de réglée.

Journée avec le même programme qu’hier. Il pleut. On fait un peu les 100 pas dans l’appartement.

Lundi 25 avril 2022 :

Maintenant que le bateau est en route et qu’on sait sa date d’arrivée à Vigo en Espagne, je peux réserver mon billet d’avion depuis Bruxelles (oui, on sera en vadrouille dans le Nord de la France à ce moment-là) et j’irai tout seul la chercher vers le 12 mai à son port d’arrivée à Vigo au Nord-Ouest de l’Espagne (près de la frontière du Portugal) pour la ramener se reposer à notre domicile en Charente Maritime. Je passe une bonne partie de la matinée à trouver le meilleur compromis entre avion, train, hôtel en évitant d’avoir un vol avec trois escales. C’est chose faite. J’aurai même le temps d’aller boire une pinte de bière sur la Plaza Mayor de Madrid lors d’une escale. Audrey me tend la carte bancaire pour valider l’achat du vol quand tout à coup je reçois un appel de Vernon, notre transitaire. « Hey Vernon, how are you ? » « Hi Sylvain, not so good… » me répond-il. Il m’explique que la compagnie maritime vient de l’appeler pour lui signaler que la Tiny a oublié d’être chargée et qu’elle est restée sur le quai !!! What ??? Branle-bas de combat !! L’erreur ne vient pas de notre transitaire mais bien de la compagnie. Ces navires transportant environ 6000 voitures sont tellement énormes ! Ils ont oublié notre colis sur le port… Le prochain bateau est encore en Asie du Sud-Est et sera là dans un mois… Obligé de sortir la Tiny pour l’emmener au dépôt de Vernon dans lequel il y a encore 40 cm de boue des suites des inondations. Dans un mois, on ne sera plus là, donc il faudra payer le stockage (150€), une dépanneuse pour emmener la Tiny sur le port (450€)… Et surtout, dans quel état on va retrouver la Tiny qui a déjà passé 6 jours sur un quai d’un port où on sait que nos amis voyageurs se sont fait dépouiller leurs camping-cars dernièrement. De plus, il faut refaire les formalités douanières d’entrée sur le territoire d’Afrique du Sud car les douanes ont déjà tamponné le CPD (sorte de passeport pour le véhicule)… et ça veut dire qu’on ne pourra pas revenir avec ce précieux sésame dans nos valises et qu’il faudra l’envoyer par DHL en France (100€)… Bref, panique !… Décidément, jusqu’à la dernière minute dans cette cavale, on aura eu des moments de stress, des imprévus. Il faut être solide moralement pour faire face à tous ces rebondissements !

Nous cherchons une solution et Vernon me propose d’amener la Tiny par la route à la prochaine escale prévue à East London pour rattraper le bateau. Mais il y a plus de 1000 km à faire, dont toute une partie sous le Lesotho sur une route pourrie. C’est donc au mieux deux jours de route mais plutôt trois. Je ne me vois pas prendre la route tout seul immédiatement pour parcourir avec le stress cette distance. Et je ne suis surtout pas certain d’être revenu à Durban pour prendre notre avion vers la France jeudi.

Vernon, toujours aussi professionnel, cherche une solution pour éviter d’attendre un mois le prochain bateau. Il se trouve qu’en ce moment même, il y a un autre roro d’une autre compagnie à quai à Durban qui part aussi pour la même direction de Vigo. Incroyable ! Mais Vernon a déjà payé une partie du shipping auprès de la première compagnie…. Mais il se démène. Première bonne nouvelle, il y a de la place à bord. Mais il s’agit de faire une réservation en quelques heures là où d’habitude il faut plusieurs jours voire semaines. Quelques petites heures de stress puis la réponse arrive, la Tiny va pouvoir embarquer. Bien entendu pour beaucoup plus cher, mais ça ce n’est pas notre problème. Mais bon tant que la Tiny n’est pas sur le roro, nous en doutons encore. On reçoit une photo en fin de journée d’une part d’une Tiny en bon état et qui n’a pas été visitée durant ce long séjour sur le port et d’autre part au pied de la rampe de chargement du nouveau roro, le Mercury Ace. Il s’agit du même modèle que le précédent. Toujours un monstre de 200 mètres de longueur. Espérons juste qu’il n’aura pas le même sort que son frère jumeau de la même compagnie qui a sombré il y a quelques semaines au fond de l’Atlantique avec 4000 voitures luxueuses à bord. Les accidents de roros sont rares mais un autre a aussi coulé le mois dernier dans le Golfe Persique sans oublié le roro qui a coulé en 2019 avec à bord des véhicules de voyageurs…

Il fait noir dans l’appartement dès 17h30 et la soirée ne s’éternise pas car il n’y a plus d’électricité ni d’eau courante depuis ce matin… Téléphones déchargés, PC déchargés, pas de lampe de secours qui sont dans la Tiny… Remarque, c’est peut-être un signe qu’il ne faut pas qu’on rentre de notre cavale, entre le bateau loupé, et ces pannes de réseaux… ça va être plus simple d’aller récupérer notre Tiny sur le port et de reprendre la route…

Mardi 26 avril 2022 :

Dès 6h30 ce matin, Vernon nous envoie des photos de notre Tiny chargée sur le nouveau bateau. Ouf, elle paraît en plus en bon état et a bien supporté sa dernière nuit sur le port. Elle paraît de plus bien harnachée au plancher en prévision des éventuelles tempêtes. On va pouvoir enfin souffler.

Le bateau prend la mer en tout début d’après-midi. Ouf ! Comme celui-ci n’a qu’une seule escale de prévue à East London, au lieu de deux comme le précédent, il va même le doubler ! Il est prévu d’arriver le 13 mai à Vigo en Espagne mais certainement un peu avant car il a deux jours d’avance sur son planning.

Nous trouvons le temps long à l’appartement, d’autant plus qu’on n’a toujours pas d’électricité, donc pas de wifi, pas d’eau chaude, pas de plaque de cuisson ou de four, rien pour charger nos différents écrans. Nous allons nous changer les idées dans le jardin botanique bien agréable avec de jolis spécimens d’arbres. Fondé en 1849, cet espace de 27 hectares est un des plus anciens jardins botaniques d’Afrique. Jolis oiseaux comme ces spatules.

Après 28 heures de panne, l’électricité revient enfin ! A fond sur les écrans et en cuisine pour préparer plusieurs repas d’avance au cas où il y aurait une nouvelle coupure de courant…

Comme on a changé de compagnie maritime, j’ai un nouveau contact de transitaire en Espagne qui m’aidera dans les démarches portuaires et douanières pour sortir la Tiny du port. Nombreux échanges de mails. Il me faut me rappeler comment on parle et on écrit en espagnol… Comme le bateau est parti, je peux aussi réserver mon billet d’avion pour Vigo. Du coup, je décollerai de Beauvais vers Saint Jacques de Compostelle le 15 mai avec un vol direct puis je prendrai un train. Tant pis pour la pinte sur la Grand-Place de Bruxelles et sur la Plaza Mayor de Madrid. Audrey et les enfants continueront seuls notre tour de France de la famille et je les rejoindrai quelques jours après.

Ce soir, Victor et Audrey amènent à Jamila et son mari un gâteau qu’ils ont confectionné pour les remercier pour le repas d’hier.

Mercredi 27 avril 2022 :

Tout s’arrange, après les pannes d’eau et d’électricité, après le problème du bateau, je m’attaque au billet d’avion pour demain qui est toujours annulé. Finalement, je parviens à changer de vol et nous partirons deux heures plus tôt que prévu.

Après tout ce stress et ces rebondissements des derniers jours, nous repartons tous les 4 au salon de massage pour profiter de différents soins. Nous voici bien détendus pour la grosse journée qui nous attend demain.

En soirée, notre voisine Jamila semble un peu triste de nous voir partir. Elle nous a cuisiné des samoussas.

Jeudi 28 avril 2022 :

Jour J. Ce matin, nous allons dire au revoir à nos voisins et nous leur laissons un peu de nourriture qui nous reste. C’est le Ramadan, alors nous ne partageons pas de thé ensemble, mais Jamila nous parle avec émotion de son voyage en Europe, il y a plus de 20 ans. Elle est émue de notre départ et offre aux enfants un paquet de bonbons. Anita, une autre voisine, est désolée de nous voir partir et aurait aimé nous offrir tellement plus. Ce sont nos derniers échanges avec ces incroyables Sud-Africains. Nous quittons notre appartement où nous avons passé 10 nuits.

10h15, le taxi roule vers l’aéroport. Je vois défiler les derniers paysages d’Afrique. Nous longeons cet Océan Indien près duquel nous reviendrons vivre dans trois mois. Notre chauffeur roule normalement mais ça va trop vite et j’aurais envie que ça dure encore tellement longtemps. Si seulement il pouvait rouler à la même vitesse que celle à laquelle je grimpais en transpirant à grosses gouttes et en mode dégradé les hauts cols de la chaîne de l’Himalaya dans le Pamir tadjik avec une grosse fumée noire sortant du pot d’échappement de la Tiny. Je n’étais pas fier à ce moment là mais ça me manquerait presque à cet instant. Bref ça va trop vite.

Mais il faut se fier à l’évidence et réaliser que c’est bel et bien la fin. L’émotion me gagne. Les larmes aussi. Je ne pense pas être triste mais je pleure quand-même. Je suis fier, fier de ce que j’ai fait avec ma tendre Audrey, fier de ce que nous a apporté cette cavale depuis trois ans, six mois et 21 jours, fier des adolescents que sont devenus les deux enfants avec qui nous étions partis, fier d’avoir accompli tous ensemble aujourd’hui notre tour du monde de 100 000 km, fier d’avoir été quotidiennement soudés mais aussi soutenus à distance par notre famille, nos amis et tant d’inconnus qui se dévoilaient de temps en temps par un petit message ou qui sont restés dans l’ombre.

Et je pense surtout à ma belle étoile, notre belle étoile qui nous a protégés depuis le jour de notre départ le 8 octobre 2018. Je suis certain que c’est ma maman qui depuis là haut a veillé sur nous chaque jour. J’en suis convaincu. On n’a pourtant pas été épargnés par quelques galères, heureusement jamais rien de grave (pas de gros problèmes de santé, pas de mauvaises rencontres) mais juste des ennuis mécaniques, administratifs et surtout ce fichu Covid qui a bouleversé notre tour du monde mais nous avons toujours su prendre du recul, analyser la situation, rester zen, prendre sur nous, faire confiance en des inconnus pour régler et résoudre chaque difficulté. Certes parfois avec du stress, de la peur, des doutes, des angoisses mais notre force de caractère, notre volonté de ne jamais baisser les bras, notre énergie commune pour pouvoir surmonter chaque épreuve, notre expérience du voyage et cette étoile qui brille nous ont aidés à trouver le courage de prendre les bonnes décisions.

Ce fichu taxi se rapproche vraiment trop vite de l’aéroport. Il pourrait quand même faire des détours et ne pas prendre la route la plus directe.

Je relis encore et encore le message que nous a envoyé spontanément cette nuit Victor :

« Aujourd’hui c’est la fin. La fin de ces dizaines d’excursions. La fin de ces centaines de randonnées. La fin de ces milliers de visites. La fin de ces millions de paysages qui changent à chaque virage, et à chaque fois c’est comme des paquets cadeaux plus beaux les uns que les autres. Mais c’est le début d’une nouvelle aventure qui sera aussi belle, j’en suis sûr.

Je voulais dire merci, déjà à papa, maman et Anaïs qui ont créé ce projet merveilleux. Puis merci à ma famille et à mes amis qui m’ont soutenu. C’est vrai, 3 ans et demi, c’est long, mais quand tu repenses le soir à cette journée, à cette semaine, à ce mois, à cette année, à ce périple qui vient de s’écouler, tu te dis que tu as énormément de chance de vivre ces instants de magie. Je voulais aussi dire merci aux centaines de rencontres et ces gens qui m’ont encouragé à poursuivre cette vie de gros malade que j’ai et que j’aurai.

Durant ce tiers de ma vie, j’en ai vécu des choses… comme …
Les batailles d’eau que j’ai pu faire au Kenya avec Baby. Les délicieux repas que Shabnam a pu nous préparer en Iran. Les pannes au milieu d’endroits improbables. Les dizaines de bougies que l’on a pu allumer avec les moines bouddhistes au Laos. Les maisons troglodytes qu’on a pu explorer en Cappadoce en Turquie. Les bons moments qu’on a passés avec Carlé et Karl en Afrique du Sud. Les oliviers millénaires qu’on a vus en Croatie. Les tours de moto que l’on a faits pour rassembler les troupeaux avec des Mongols. Les crêpes qu’on a mangées avec les Himbas en Namibie. Et les pas qu’on a faits sur la Grande Muraille de Chine…

Je voulais tout simplement vous dire merci ! Et encore merci de m’avoir fait découvrir le monde de cette façon merveilleuse ! »

Cela n’aide pas à arrêter mes larmes mais je les laisse couler, ça fait du bien, et je ne suis pas triste, je suis juste heureux.

Nous arrivons à l’aéroport avec nos 111 kg de bagages.

Décollage à 14h50 de l’aéroport international King Shaka de Durban à bord d’un Boeing 737-400 de la compagnie locale Safair pour 1h10 de vol jusqu’à l’aéroport O.R. Tambo de Johannesburg.

Formalités douanières. Pour la première fois depuis 16 mois, nous pouvons enfin passer une frontière sans passer un test PCR. Dernier coup de tampon sur le passeport. Le douanier peine à trouver une page vierge avec la soixantaine de tampons et la présence de 14 visas et des extensions de visas prenant des pages entières. Embarquement à bord d’un Boeing 777-300 d’Air France à destination de Paris CDG où nous arriverons demain matin à 5h45 après 10h45 de vol et 9016 km de vol. Ça nous fait drôle d’entendre le personnel de bord parler en français. Dernières photos de la cavale d’une série de 103 950 prises en 1299 jours de cavale !

Ainsi s’achèvent mes (longs) récits. Pour terminer ce dernier article de blog, je laisse le clavier à ma chérie… @bientôt et MERCI…

L’avion décolle. Cette fois, c’est vraiment la fin de notre cavale. Nous passons au-dessus des nuages. Des milliers d’images, de sons, d’odeurs me reviennent. L’émotion me gagne.

Durant ces trois années et demi, chaque jour a été comme une pochette surprise. Impossible de prédire ce qui allait se passer et surtout quelle rencontre on allait faire. Ne pas savoir laissait la porte ouverte à tous les possibles. Avoir confiance en l’autre était notre quotidien. Quelle que soit la couleur de peau, la culture, la religion.

Je nous vois encore préparer des crêpes devenant rouges dans les mains des Himbas qui ont dansé pour nous remercier.  Je me souviens de ces familles chrétiennes à qui nous tenions la main autour de la table pour participer à leurs prières avant de manger. Je sens encore l’odeur du poêle à bois chez Marjan et Boza, ces petits vieux fans de Tito qui nous ont accueillis au fin fond de la Slovénie et cuisiné d’énormes champignons cueillis le matin même. Je me souviens donner un pantalon coloré et usé à cette vieille femme qui l’a transformé en un après-midi sur une vieille machine à coudre, en une robe traditionnelle de la culture Herero. Je repense à Gerhard, échangeant depuis des mois des petits messages depuis notre furtive rencontre en Namibie, nous ayant ouvert en grand sa maison et son cœur. Je revois l’imam de cette petite mosquée en Malaisie où nous nous sommes réfugiés en mars 2020 au début du confinement, et qui chaque jour venait prendre des nouvelles et nous apporter à manger. Je repense à ces trois semaines passées dans cette famille Luo polygame sur une île du Lac Victoria, et notamment à cette complicité partagée avec Grace, lorsqu’on cuisinait tous les soirs dehors au coin du feu. J’entends encore les San, assis dans notre Tiny house, réagir à chaque image de notre livre des animaux d’Afrique. Je revois le sourire de Benson et de sa femme, fiers de leur culture Massai, quand Anaïs leur a offert des bracelets. Je repense à Paul et Niki, qui nous ont fait découvrir avec leurs amis le rythme d’un dimanche à Zagreb. Je revois l’étonnement et l’enthousiasme de Nancy qui n’en revenait pas que nous ayons accepté son invitation dans sa modeste maison au pied du Mont Kenya ; mais c’est nous qui nous sentions honorés. J’entends encore les rires de Mungun jouant avec nous à la pétanque à côté de sa yourte en Mongolie et ceux des petits Zoulous jouant avec Victor aux raquettes. Je revois les yeux gourmands de Tatjiana nous ouvrant les portes de son atelier de pâtisserie. Je sens encore l’odeur du café fraichement torréfié dans ce village Katu, sur le Plateau des Bolovens au Laos. Je repense à Madina et Ergali, au Kazakhstan, qui nous ont fait découvrir avec enthousiasme les bains russes. Je me souviens avoir été réveillée tard le soir par un jeune couple turc qui nous offrait du thé et de la soupe chaude parce qu’il neigeait et qu’ils s’inquiétaient qu’on ait froid. Je ressens encore la quiétude, lorsqu’assise dans un temple bouddhiste au Laos, je me laissais porter par les mantras murmurés. Je me souviens de notre surprise d’avoir été invités à nous asseoir et à boire un thé dans une mosquée en Iran. J’entends l’énergie et la joie de ces enfants birmans, chantant chaque soir avec le pasteur chez qui ils étaient réfugiés, en Thaïlande. J’aime entendre régulièrement au téléphone le « et la famille, ça va ? » de Driss, notre ami marocain qui a été le premier, il y a bien longtemps, à nous apprendre à faire confiance. Je ressens encore la joie et l’effervescence dans ce petit village zambien où Gift a organisé pour nous une fête et je nous revois danser avec les villageois autour du feu au son des djembés. Je repense à ce monsieur en Chine, qui tôt le matin, revenant d’une nuit de pèlerinage, m’a vue comme un signe et a tenu à payer les quelques courses que je faisais. Je me souviens de ces heures passées à discuter avec Shabnam, notre amie iranienne, en dégustant ses plats si savoureux. Je pense avec émotion à Carlé et Karl, à leur surprise de nous voir retraverser l’Afrique du Sud pour les revoir, aux liens forts qui se sont tissés.

Je me souviens d’eux… et de tant d’autres.

Devant mes yeux surgissent des milliers d’yeux qui pétillent, des milliers de pouces levés, des milliers de sourires de toutes les couleurs, de toutes les cultures, de toutes les religions.

Je pense à Anaïs et Victor, curieux d’aller vers l’autre, celui qui est différent, sans peur et avec bienveillance.

Notre cavale se termine. Une page se tourne, mais riches de toutes ces expériences, forts de toutes ces rencontres, nous nous sentons prêts à écrire un nouveau chapitre… sur un petit caillou au milieu de l’Océan Indien, qui accueille avec enthousiasme une multitude de couleurs, de cultures et de religions.