599 km parcourus du du 28 décembre 2019 au 6 janvier 2020
46 592 km parcourus depuis le départ
Samedi 28 décembre 2019 :
Nous poursuivons notre séjour dans le Royaume du Cambodge, toujours en bonne compagnie de nos amis Anne, Stéphane, Lou, Élisa, Manuela, Dimitri, Emma et Jean venus passer les fêtes de fin d’année avec nous. Nous sommes donc 12 à nous déplacer mais ils ont loué une voiture pour alléger un peu la Tiny qui n’accueille donc « que » 8 passagers. Nous quittons aujourd’hui le fabuleux secteur des Temples d’Angkor qui nous a tous ravis. A présent, route vers Battambang à 170 km de Siem Reap. La route est bonne sur les 100 premiers km mais pourrie après. Ce qui n’est pas une partie de plaisir ni pour la Tiny, ni pour son chauffeur ou ses passagers.
Installation à l’hôtel où nous pouvons rester dormir juste devant. (Merci pour le bon plan les Gali !)
Cet après-midi, alors que certains partent se promener dans le centre-ville, je reste à l’hôtel pour profiter de la piscine et surtout pour rattraper un peu mon retard dans l’écriture de mon blog et le tri de mes 1000 photos d’Angkor ! Et de mes 800 du village flottant de Kompong Khleang… mais aussi pour garder Jean qui n’est pas en forme aujourd’hui, alors il reste lui aussi sagement dans son transat.
Le reste de la troupe part déambuler dans les rues de la ville. Alors que le marché va bientôt fermer, quelques bijoutiers s’affairent encore à la confection et à la réparation de bijoux. La visite d’une pagode est l’occasion d’assister à un jeu populaire ici : un volant de badminton est lancé au pied avec agilité, l’occasion pour les participants de s’essayer à quelques figures acrobatiques. Alors que le temple chinois est fermé, une jeune femme nous en ouvre ses portes, sans oublier de mettre en route toutes les petites lumières clignotantes. Les tivolis montés en plein milieu de la route sont l’occasion de jeter un œil sur la célébration d’un mariage avec de la musique à fond et des invités attablés qui ont bien l’air de s’ennuyer ! Un vieux monsieur au sourire éclatant joue avec enthousiasme à la pétanque. Bref, même si Battambang ne présente pas de monuments extraordinaires, le petit groupe est charmé par l’observation de ces scènes de vie.
Belle soirée partagée autour de quelques cocktails, alors que les enfants profitent de la piscine et du billard de l’hôtel.
Dimanche 29 décembre 2019 :
Ce matin, Stéphane, Audrey, Dimitri, et Manuela partent à un cours de cuisine khmère chez Nary Kitchen.
Ils partent tout d’abord au marché pour acheter une partie des ingrédients nécessaires à la confection de leurs petits plats. L’occasion pour leur guide de leur faire découvrir plein de produits qu’ils ne connaissent pas. Odeurs du galanga, de la citronnelle, saveurs de la noix de coco fraîchement rapée, tous les sens sont en éveil. Les insectes grouillant, les grenouilles qui bougent encore alors qu’on vient de leur enlever la peau, le chien… les tentent moins pour le petit déjeuner.
De retour au restaurant, Toot, le mari de Nary, les invite avec énergie et bonne humeur à se mettre aux fourneaux. Chacun se prête au jeu et enfile sa toque ! La confection de succulents petits plats kmers s’enchaîne : fresh spring rolls, fish amok, beef lok lak, banane au tapioca et au lait de coco. Des alliances de saveurs nouvelles ravissent leurs papilles. Les rires ponctuent le cours de cuisine. Un vrai bon moment ! Les copains vont pouvoir mettre à profit leurs découvertes et mijoter ces bons petits plats de retour dans leurs foyers (Dimi, tu n’as pas oublié comment on épluche une banane ?!)
En fin de matinée, avec Anne et les 6 enfants, nous les rejoignons au restaurant. Il n’y a plus qu’à mettre les pieds sous la table. Nous dégustons ces bons petits plats typiques du Cambodge.
C’est en tuk-tuk bien (trop) chargé à 11 personnes que nous rentrons à l’hôtel retrouver Jean qui est resté se reposer dans son lit, avant de piquer une tête car il fait vraiment très chaud.
Puis, nous partons visiter les Grottes de Phnom Sampeau tristement célèbres pour avoir été marquées par le passé douloureux durant le passage des Khmers rouges. Mais nous reparlerons un peu plus tard, dans cet article de cette sombre période et de ce Génocide. Sortis de ce lieu macabre, nous tentons de nous remettre de nos émotions, et profitons d’une vue imprenable sur toute la région de Battambang avec ses belles étendues de rizières.
Au sommet de cette colline, nous avons aussi l’occasion de visiter des temples bouddhiques, des sanctuaires, de nombreux stupas car ce site de Phnom Sampeau est aussi un site de pèlerinage bouddhiste. On y trouve des statues de Bouddha de toutes sortes et dans différentes postures. Le site est envahi de singes qui se nourrissent des offrandes laissées par les pèlerins.
Puis après un long escalier de 700 marches, nous nous attablons devant une bière au pied d’une falaise en train d’être sculptée de bouddhas gigantesques. Nous profitons de tester de nouveaux aliments que nous n’aurions pas eu forcément l’envie (et le courage !) d’essayer sans la forte volonté de Dimitri bien décidé à ne pas rentrer dans les Deux-Sèvres sans avoir goûté à ces insectes croustillants.
Nous restons jusqu’au coucher du soleil pour admirer l’envol des chauves-souris. Au crépuscule, à 17h40, plus d’un million de chauves-souris sortent des grottes, un spectacle impressionnant. Un ballet incessant et ininterrompu pendant plus de 15 minutes. Elles sortent la nuit pour parcourir 50 km et chasser les insectes (dont de nombreux ravageurs détruisant les récoltes de riz), avant de revenir à 4h30 le matin ( horaire que nous ne vérifierons pas !).
Ah au fait, j’allais oublier l’envers du décor…
Lundi 30 décembre 2019 :
Grosse journée de route en direction de la capitale. Nos amis voyageurs nous ayant précédés nous ont annoncé que les 300 km nous séparant de Phnom-Penh sont assez mauvais. De peur qu’ils soient aussi pourris que ceux entre Siem Reap et Battambang, nous préférons partir de bonne heure ce matin. Mais finalement, c’est beaucoup moins pourri qu’on ne le craignait et nous arrivons vers 15h30 à l’hôtel de nos amis. Bien fatigués tout de même par la longue route, la chaleur torride, la poussière et les vibrations de la route qui font trembler la Tiny et ses passagers à l’arrière… La circulation est dense, entre les tuk-tuk et les deux roues mais on avance quand-même.
Autant vous dire que la piscine est bien appréciée de nous tous avant de ressortir en ville manger dans un petit resto… et de partager quelques verres…
Mardi 31 décembre 2019 :
Nos amis partent visiter le Musée du Crime Génocidaire Tuol Sleng. C’est évidemment une visite que nous ne voulons pas louper mais nous aurons le temps de le visiter la semaine prochaine alors que nous serons bloqués à la capitale dans l’attente de nos visas. Nous avons surtout nos visas pour la Thaïlande et pour l’Inde à effectuer à Phnom-Penh car nous ne pourrons plus le faire par la suite. En tuk-tuk, nous rejoignons l’Ambassade de Thaïlande mais celle-ci est malheureusement fermée. Retour à l’hôtel après avoir passé un moment à préparer une petite surprise pour nos invités pour ce dernier jour de 2019.
L’après-midi, Jean et maintenant Élisa ne sont toujours pas en forme et restent sagement à l’hôtel avec Stéphane et moi. Pendant ce temps, le reste de la troupe part visiter le Palais Royal. Puis après un peu de repos, nous nous rejoignons tous sur les berges du Mékong où nous offrons à nos amis un petit apéro-coucher de soleil en naviguant sur le point de confluence où le fleuve se sépare en deux et forme 4 bras avec les rivières Tonlé Sap et Tonlé Bassac. Le Tonlé Sap est le cours d’eau qui sert de trop-plein au Mékong et qui remplit le lac éponyme dont je vous parlais dans le précédent article et au bord duquel nous avions séjourné dans le village flottant. Nous partageons le foie gras maison et les bons vins que nos amis avaient glissés dans leurs valises. Les lumières du crépuscule sont superbes sur les immeubles de verre et d’acier qui encerclent le Palais Royal de Phnom–Penh.
Nous prenons encore plus conscience du colossal écart de richesses entre les habitants de cette ville de 2 millions de personnes. Malheureusement, il existe dans beaucoup de capitales. Ici, des familles vivent dans un village flottant dans des conditions vraiment précaires au pied de cet hôtel de luxe où le prix d’une suite dépasse largement le salaire mensuel d’un cambodgien. Pour ceux qui ont un salaire.
Il est temps de trouver un resto pour célébrer l’arrivée de la prochaine année. Qu’il est bon d’être entourés de ses amis pour cet évènement !
En attendant les 12 coups de minuit, nous nous promenons sur le night-market et sur le marché traditionnel.
Puis c’est depuis les rives du Mékong que nous profitons d’un feu d’artifice aux 12 coups de minuit. Bon, pas aussi beau qu’on aurait pu en voir en France ou qu’on a vu à Valparaíso en 2016 avec d’autres bons amis qui se reconnaîtront, mais il a le mérite d’exister !
Retour à pied à notre bivouac où nous dormons dans la Tiny toujours garée sur le trottoir un peu bruyant de l’hôtel au milieu des déchets et à côté d’un cadavre de chat mais nous avons le luxe de pouvoir être à côté de nos amis et de bénéficier de leur piscine et des douches de leurs chambres !
Mercredi 1er janvier 2020 :
Malgré le fait que nous bivouaquons dans la rue, la nuit a finalement été assez calme et la musique à fond faisant trembler toute la Tiny quand nous nous sommes couchés vers 1h30 s’est finalement assez vite arrêtée alors que nous nous apprêtions à accepter l’hospitalité de nos amis prêts à nous accueillir pour la nuit dans leur chambre.
Bonne année à toutes et à tous, famille, amis, ex-collègues, voyageurs avec qui nous avons partagé un petit morceau de notre route et à tous les inconnus qui suivent nos aventures dans l’anonymat ! Nous ne vous souhaitons que du bonheur pour 2020…
Nous concernant, nous espérons que notre aventure se poursuive aussi loin que notre rêve l’a imaginé, que notre vaillante Tiny nous permette d’aller aussi loin que possible à la rencontre des habitants du monde, que nos adorables enfants continuent à s’extasier et à vivre pleinement ce voyage, que nous ayons autant de chance que l’année passée à recevoir famille et amis pour partager un morceau de notre cavale… et que nous soyons encore sur les routes pour terminer l’année 2020 si tout se passe comme prévu en Éthiopie. A moins que le sort, les aléas du voyage, la magie des rencontres, ou de nouvelles envies n’en décident autrement. Bien évidement, nous restons conscients que notre rêve peut s’arrêter à tout moment, que la Tiny peut soudainement n’en plus vouloir, que l’un de nous puisse également ne plus avoir envie, que la santé puisse nous jouer des tours, que la situation géo-politique en particulier au Moyen-Orient puisse nous faire changer nos plans pour rejoindre l’Afrique… Bref, c’est pour toutes ces raisons que nous profitons et que nous nous émerveillons d’autant plus de chaque instant qui passe !
Premier jour du mois signifie également ouverture traditionnelle du nouveau défi. Mais aussi de faire le bilan du mois passé. Nous sommes au regret d’annoncer la non-réalisation du défi précédent qui consistait à « allumer le feu de camp sans recours à un moyen artificiel ». On a bien essayé de frotter des cailloux ou des morceaux de bois mais sans succès. On a bien réussi de faire de la fumée avec la loupe que le Père Noël a apporté à Victor et comme dit Jean, « il n’y a pas de fumée sans feu », mais la loupe reste un moyen artificiel !
Par contre le défi du mois de janvier de Mattéo paraît plus facilement réalisable car il consiste à « tendre un hamac au-dessus d’un cours d’eau et d’y dormir ». On va juste attendre de quitter le Mékong car il fait plusieurs centaines de mètres de largeur ici à Phnom–Penh !
Ce matin, nous devons de nouveau laisser nos amis quelques instants le temps d’aller faire nos visas à l’Ambassade de Thaïlande. Arrivés sur place, malgré ce que nous avait garanti le gardien hier, les bureaux sont fermés. Grrrr… Nous décidons de filer à l’Ambassade de l’Inde qui, elle, est ouverte en ce premier jour de l’année. Mais notre dossier du coup n’est pas prêt et nous devons rentrer à l’hôtel vite réunir les pièces administratives nécessaires, faire des photocopies et remplir en ligne les formulaires à imprimer au commerce du coin de la rue. Nous revenons à l’Ambassade 5 minutes avant la fermeture des bureaux. Là, le préposé nous demande de revenir demain ! Nous insistons pour déposer notre dossier. Il accepte mais nous annonce qu’on ne peut demander qu’un visa de 3 mois et non de 6 mois comme il nous faut. Contrairement à la majorité des pays, le visa indien d’une validité de 3 mois commence à courir le jour de sa délivrance et non de l’entrée sur le territoire. C’est donc la raison pour laquelle il nous faut un visa de 6 mois car nous prévoyons de n’en sortir qu’autour de fin juin. Et il ne nous sera pas possible de le faire plus tard en Thaïlande car l’Ambassade de Bangkok ne délivre pas de visa aux non-résidents en Thaïlande. On pourrait juste le faire éventuellement au Myanmar (ex Birmanie) mais c’est un pays que nous allons traverser en convoi en une dizaine de jours et nous n’aurons donc pas le temps de rester 3 ou 4 jours à attendre le visa à la capitale. Donc pas le choix, on insiste pour avoir un visa 6 mois, d’autant plus que d’autres voyageurs, dans le même cas que nous, ont réussi à l’obtenir il y a peu de temps ici. Le préposé nous demande de faire un courrier manuscrit avec l’itinéraire précis de notre parcours en Inde. Alors que celui-ci n’est pas du tout défini encore, on lui marque une liste d’une dizaine de villes indiquées par Google Maps. Ça semble lui convenir. Le dossier est complet et après avoir payé 103 dollars par personne tout de même, on espère bien qu’on aura lundi prochain notre visa accordé pour la durée demandée. Sinon, on aura toujours la solution de refaire un autre visa de 3 mois au Népal pour rerentrer en Inde mais cela nous obligera à repayer plus de 412 dollars !
Je vous l’ai déjà dit, mais ces demandes de visas sont assez contraignantes dans l’organisation de notre tour du monde. Outre le coût que nous avions anticipé et qui se noie dans notre budget mensuel, nous devons toujours aller à la pêche aux informations, patienter plusieurs jours dans des villes pas forcément agréables. De plus, la situation change régulièrement et les conditions d’obtention évoluent d’une année à l’autre. Heureusement cette année, elles jouent en notre faveur en particulier pour le Pakistan qui délivre désormais des e-visas, ce qui va nous éviter de faire un aller-retour en avion à Paris. L’Arabie saoudite également vient d’assouplir ses conditions et délivre des visas de tourisme de 3 mois au lieu de visas de transit qui nous auraient obligés à traverser le pays en 5 jours maximum. Mais encore une fois, compte-tenu des très récentes évolutions géo-politiques au Proche et au Moyen-Orient, notre itinéraire risque bien d’être modifié au cours des prochains mois. Si nous devons éviter l’Iran et la péninsule arabique en raison de l’escalade des tensions semblant inarrêtable entre la République Islamique et les États-Unis, nous devrons prendre un bateau entre Bombay en Inde et l’Afrique Australe.
Nous passons donc beaucoup de temps à préparer la suite de notre cavale, à échanger avec d’autres voyageurs, à consulter des groupes Facebook spécialisés, à faire des devis avec des agences et des transitaires maritimes. En ce moment, il nous faut déjà penser à la traversée du Myanmar dont je vous parlais un peu plus haut. Le coût de l’agence obligatoire comme en Chine ou au Vietnam) varie beaucoup d’un prestataire à l’autre et il nous faut comparer les devis et constituer un groupe de quelques voyageurs pour amortir le prix du guide.
Voilà pour le petit point administratif du jour. Nous retrouvons nos amis revenus d’acheter quelques jolis bouddhas sur le marché.
L’après-midi, avec Stéphane et Élisa, nous partons visiter le Palais Royal que le reste de la troupe a visité hier. Occupant 18 hectares, le Palais Royal est la demeure des souverains du Cambodge depuis sa construction. La visite se limite aux bâtiments emblématiques comme la Salle du Trône ou la Pagode d’Argent alors que la partie résidentielle privée du Palais, occupant la moitié de la surface au sol, demeure fermée au public.
Construit par étapes au fil des décennies, le Palais Royal fut à l’origine conçu par un architecte Khmer et réalisé avec l’aide du protectorat français en 1866. Ce site fait face au Mékong, et fut spécialement choisi par une commission d’astrologues et de ministres royaux pour sa grande importance géographique et sa capacité à procurer puissance et force au roi (l’eau étant un élément indispensable). Le Palais a connu de nombreuses transformations depuis son origine. Des bâtiments ont été ajoutés, modifiés, ou démolis et reconstruits, la plupart dans un style traditionnel Khmer. Tous sont orientés vers l’est, selon les règles sacrées de la construction bouddhiste. Dans l’enceinte ouverte au public, carrés de pelouse, bosquets taillés à la française et végétation tropicale décorent les jolis jardins séparant les différents bâtiments. Parmi les arbres remarquables, il y a l’arbre de Sala, de même type que l’arbre sacré sous lequel Bouddha serait né. Ses feuilles sont tout en haut et ses fleurs émergent du tronc. Les fruits sont en forme de ballon.
La Salle du Trône a été érigée à partir de 1913 à la demande du roi Sisowath pour remplacer les structures en bois d’origine. Ce bel édifice d’inspiration Khmère, mesurant 100 mètres de longueur, a beaucoup d’allure avec ses toits étagés aux tuiles vernissées, ses balcons et colonnes et ses longues galeries.. Il abrite toujours les cérémonies religieuses et royales, comme les couronnements et les mariages, ainsi que les rencontres officielles. La flèche de 60 mètres de hauteur est surmontée d’un Brahma à quatre visages (comme le temple du Bayon à Angkor), représentant les 4 vertus du Bouddha et rappelant la longue coexistence du bouddhisme et du brahmanisme hindou.
A l’intérieur le trône est recouvert de feuilles d’or. Un long tapis de 33 mètres de long, un gong sacré, deux tambours censés faire tomber la pluie décorent la salle. Au plafond, des fresques du Râmâyana (l’une des épopées mythologiques fondatrices de l’Hindouisme) représentent l’épopée Khmère.
Autour de la Salle du Trône, de nombreux autres bâtiments sont construits mais ne se visitent pas : le Palais Kemarin, le Pavillon Hor Samritvimean, le Pavillon Napoléon III et le Pavillon Chan Chaya. Ce dernier accueillait les représentations des danseuses royales et les réceptions. Il servait également de tribune pour le souverain qui pouvait alors faire face à la foule. De nos jours, il assure encore cette dernière fonction et fut notamment utilisé en 2004 pour le couronnement de Sa Majesté le Roi Norodom Sihamoni, actuel roi du Cambodge.
Parmi les rares édifices subsistant de la période de règne de Norodom 1er, la Pagode du Bouddha d’Émeraude, le Vat Preah Keo, plus connue sous le nom de Pagode d’Argent, fut édifiée de 1892 à 1902. Sous le règne du roi Sihanouk, le Vat Preah Keo fut pavé de plus de 5 329 carreaux d’argent de 1,125 kg chacun (d’où son surnom de Pagode d’Argent). Les français y firent gravir des fleurs de lys. Un pan de la façade extérieure a été rénové avec du marbre italien. L’intérieur fut saccagé par les Khmers rouges, mais l’édifice ne fut pas détruit. Parmi les trésors ayant échappé aux désastres, les plus belles pièces sont des statues de Bouddhas (une centaine) dont un fameux petit Bouddha d’émeraude, qui est en fait en jade. Il trône au centre de la pagode sur un luxueux baldaquin. Il fait face au Bouddha Maitreya, une statue en or de 90 kilogrammes qui aurait été réalisée d’après les mensurations exactes du roi Norodom 1er. La statue est incrustée de 2086 diamants.
A l’extérieur de la pagode, trois stuppas royaux du début du 20ème siècle qui abritent les cendres des ancêtres du roi actuel dont celles de Sihanouk.
La statue équestre du roi Norodom 1er habillé en général français serait une statue de Napoléon III, dont la tête aurait été remplacée par celle du souverain cambodgien.
Autour de la pagode, une longue fresque peinte en 1903 recouvre les murs du cloître extérieur, racontant les épisodes du Reamker, la version khmère du Râmâyana. Les enfants se prennent au jeu à chercher une multitude de petits détails.
L’heure du retour sonne déjà pour nos amis Manuela, Dimitri, Emma et Jean. Nous nous dirigeons vers un hôtel plus proche de l’aéroport international de Phnom-Penh.
L’heure n’est pas à la fête et nous sommes bien tristes de les voir partir ce soir. Mais nous sommes tellement heureux d’avoir partagé tous ces bons moments avec eux. Les retrouvailles ont été aussi intenses que les visites que nous avons faites ensemble. Elles resteront longtemps gravées en nous comme un si bon souvenir commun à ajouter aux nombreux autres déjà partagés ensemble depuis si longtemps.
Jeudi 2 janvier 2020 :
Anne, Stéphane, Lou et Elisa ne prennent l’avion que ce soir. Nous allons passer cette dernière journée de vacances en leur compagnie sur l’île de la Soie appelée Koh Dach plantée au milieu du Mékong. Après avoir beaucoup cherché, nous trouvons finalement l’embarcadère du ferry qui pour une petite poignée de riels nous permet de traverser le fleuve.
Nous sommes tout prêts du centre-ville et de l’agitation de Phnom-Penh mais nous avons l’impression de poser les pieds dans un autre monde. La vie et l’atmosphère ici, paraissent calme et tranquille, loin du bruit de la capitale, mais malheureusement pas épargnée par les déchets. 20 000 habitants peuplent cette île au niveau de vie plus élevé que dans la capitale voisine. Le limon est riche et les terres fertiles, donnant des cultures prospères.
C’est l’île des tisserands. Les métiers à tisser fonctionnent sous les grands préaux de chacune des maisons. Ils sont mécaniques pour certains. D’autres sont actionnés par de talentueux artisans chargeant leur navette de jolis fils dorés.
L’heure arrive aussi maintenant pour nos amis Angoumoisins de commencer leur long voyage de retour en avion vers la France. Nous reprenons donc le ferry et faisons nos derniers kilomètres ensemble jusqu’à un hôtel proche de l’aéroport. Nous avons tellement transpiré et pris la poussière aujourd’hui qu’on ne rêve que d’une seule chose, prendre une douche et faire tremper les enfants dans une piscine. C’est sur Booking que je repère un établissement dans lequel nous allons prendre une bière, un trempage dans l’eau et une bonne douche ! Bon plan… du coup, on en profite pour rester manger le soir.
Puis c’est la route vers l’aéroport où nous patientons avec Anne, Stéphane, Lou et Élisa jusqu’à l’heure de leur embarquement. Comme hier soir, l’émotion est intense de se séparer de nos si bons amis car nous savons que nous ne les reverrons pas de si tôt. Et puis, après 11 jours passés ensemble, la Tiny va nous paraître bien vide demain. MERCI de nous avoir rejoints si loin pour partager ensemble tous ces moments ! On vous aime les amis.
Nous nous consolons en comptant les jours qui nous séparent de l’arrivée de mes beaux-parents et de mon beau-frère à Bangkok. J-23…
Nous allons de nuit nous réfugier devant un temple sur une petite place juste en face de l’aéroport mais étonnement calme.
Vendredi 3 janvier 2020 :
Nous sommes bloqués jusqu’à lundi soir à Phnom-Penh pour récupérer nos passeports à l’Ambassade d’Inde avant de les déposer le lendemain à l’Ambassade de Thaïlande. Nous avions initialement prévu de quitter cette ville durant cette attente. Mais en fait, nous aspirons juste à nous poser et à nous reposer après le rythme que nous avons eu avec nos amis. La chaleur n’aide pas non plus. Toujours sur les bons conseils de nos amis voyageurs (ça a du bon d’être en queue de peloton !), nous allons trouver un bivouac dans la Pagode Botum Vatte, située en hyper centre de la capitale, juste derrière le Palais Royal. Nous y trouvons un endroit calme, à l’ombre et de quoi se brancher sur l’électricité ! C’est décidé, on ne bouge plus de la semaine jusqu’à la fin de nos démarches administratives prévues jeudi soir au mieux. En plus, les moines viennent frapper à la fenêtre pour nous offrir des fruits et échanger quelques mots…
Nous apprécions ce coin relativement propre pour la capitale, car d’une manière générale, la ville est très sale, même dans les beaux quartiers. Les déchets sont souvent rassemblés mais pas ramassés par les camions poubelles donc les tas deviennent énormes, puent, se retrouvent éclatés par les animaux errants. Nous voyons régulièrement des habitants jeter leurs déchets par terre, sans scrupule.
Le départ des amis signe également la fin des vacances pour Audrey, Anaïs et Victor qui reprennent l’école dès aujourd’hui car dans 22 jours, c’est de nouveau les vacances ! De mon côté, j’ai un retard considérable dans le blog. Au moins deux articles de retard à rédiger, des centaines de photos à trier et à sélectionner pour illustrer mes récits. Nous avons l’habitude de recevoir du monde et d’habitude, j’arrive à me tenir à jour, mais cette fois, je n’ai pas pu ( trop de verres à boire !) Tant pis, on a plusieurs jours pour se poser et récupérer ce retard. Il est temps aussi de refaire le plein de quelques courses alimentaires car ça fait plus de 10 jours qu’on ne cuisine plus dans la Tiny. Mais heureusement, il y a quelques kilos de fromage dans le freezer du frigo !
Samedi 4 janvier 2020 :
Après une grasse matinée, nous commençons une journée à un petit rythme. École, rangement, tri, ménage. On profite de la proximité d’une laverie pour laver notre linge. D’habitude, on s’en passe mais les petits prix et surtout les plus de 10 kg de linge sale ne m’incitent pas à passer la matinée à le faire avec la petite machine à laver. Le coiffeur du coin de la rue fait une coupe à mon grand Victor et j’achète en face chez un boucher-charcutier français un morceau de pâté de campagne que nous dégustons sur une baguette de campagne achetée chez un boulanger français… C’est bien aussi les grandes villes ! Cela faisait également bien longtemps que nous n’avions pas vu de grandes aires de jeux pour les enfants qui passent un moment à escalader ces structures de jeux alors que je me vois offrir pendant ce temps à manger par un cambodgien qui surveille aussi ses enfants. Mais ce qu’il m’offre ressemble beaucoup à des boulettes de chien. Ce n’est pas poli mais je décline sa gentille proposition. Nous laissons nos enfants à la Tiny et je vais boire un coup avec mon amoureuse au bar.
Dimanche 5 janvier 2020 :
Grasse matinée jusqu’à 10 heures. On récupère. Nos amis aussi, qui après 24 heures de voyage, 6 heures de décalage horaire, une grève de la SNCF, et presque 500km en voiture de location n’ont plus qu’une journée avant de reprendre le boulot. Franchement, on compatit.
Une cérémonie a lieu à côté de nous. Elle n’est pas comme d’autres que nous avons vues, car des officiels et des caméras sont présents.
Le programme ne change pas beaucoup d’hier et certainement pas de celui du reste de la semaine à venir ! Farniente, repos… Je refais un tour à la laverie avec encore plus de 10 kg de linge et cette fois-ci, c’est tous les tissus de rideaux et de coussins qui changent de couleur une fois que nous les remettons en place en fin de journée.
Nous allons profiter de l’agréable terrasse du resto La Grange juste à côté de la pagode où pour 1,50$, nous avons le droit à une bière pression, l’accès à la piscine et à la douche ! Le luxe pour des nomades comme nous…
La soirée se passe en regardant en préambule à notre visite de demain un saisissant documentaire : « S-21, la machine de mort Khmère rouge ». Bouleversant.
Lundi 6 janvier 2020 :
J’en viens à vous parler de la dramatique et récente période de l’Histoire du Cambodge : le Génocide mené par les Khmers rouges de 1975 à 1979, ayant décimé 25 % de la population du pays. Oui, 1/4 de la population !
Nous visitons ce matin, sans les enfants car la visite serait bien trop dure pour eux, le Musée du Crime génocidaire Tuol Sleng, se trouvant dans les locaux du camp de torture S-21. Attention aux jeunes enfants ou personnes sensibles, certains textes et certaines photos à suivre sont choquantes. Mais il me paraît important de vous faire part de cette tragique période de l’Histoire qui a pris fin l’année où avec Audrey, nous naissions. Voici un rapide résumé historique.
Jusqu’au 19ème siècle, le Cambodge est la proie d’invasions et de guerres menées par ses voisins conquérants, la Thaïlande et le Vietnam. Puis un protectorat français est mis en place à partir de 1863. La France colonise, construit routes, voies ferrées, hôpitaux, écoles publiques, plante des hévéas, commence la restauration d’Angkor… A la fin de la seconde Guerre mondiale, l’indépendance du Cambodge est proclamée. La monarchie constitutionnelle est instaurée. Mais la réelle indépendance de la France, qui avait gardé le contrôle de l’armée et de la police, a lieu en 1953. Le Royaume souverain est reconnu officiellement en 1954 à la Conférence de Genève sur l’Indochine.
Mais le roi Sihanouk paye cher son non-alignement avec les Américains et en 1965, la rupture est totale entre les deux pays. Les Américains interviennent militairement pour libérer leurs troupes prises en étau dans l’est du pays sur la Piste Hô Chi Minh, longue de 1800 km, édifiée dans les années 1950 par le Viêt-Minh, et qui permettait aux révolutionnaires du Nord Vietnam d’infiltrer le Sud Vietnam en y acheminant hommes et armes. Sihanouk qui avait abdiqué en 1955 avant de revenir premier ministre puis chef de l’État en 1960 se voit remplacé par un général au pouvoir. Il forme alors un contre-gouvernement composé d’une partie des futurs Khmers rouges. Le Cambodge sombre dans l’anarchie, les émeutes, la violence. Au même moment, les débuts de la Révolution culturelle chinoise enflamment les esprits de la gauche cambodgienne et donnent naissance aux Khmers rouges qui entament une lutte de guérilla contre le gouvernement. Sihanouk est destitué en 1970 mais appelle le peuple cambodgien à la résistance. La même année, les forces américano-sud-vietnamiennes pénètrent au Cambodge pour en chasser les révolutionnaires vietnamiens. En 14 mois, les bombardiers B52 américains vont effectuer 3600 raids. Les paysans se réfugient à Phnom-Penh, dont la population passe de 600 000 à 2 millions d’habitants. À partir de 1970, le Cambodge entre dans une Guerre qui va se prolonger pendant plus de 20 ans. En avril 1975, les Khmers rouges sont maîtres de la capitale. Les responsables gouvernementaux se sont enfuis, aidés par les Américains. Soulagés par la fin des hostilités, les habitants accueillent les révolutionnaires dans la liesse.
Mais un évènement incroyable se produit. Sous prétexte de bombardements américains imminents, en l’espace de 48 heures, habitants et réfugiés, soit environ 2,5 millions de personnes sont déportés de force vers les campagnes du nord et de l’ouest du pays. Cet exode coûte la vie à 400 000 personnes. La ville devient fantôme et des révolutionnaires saccagent tous les symboles de la société bourgeoise et capitaliste. Dans la foulée, toutes les villes du Cambodge sont évacuées et la population doit gagner les rizières pour se mettre au travail et assurer l’autosuffisance alimentaire.
Durant sa déportation, la population est triée en trois catégories. Les militaires sont exécutés. Les fonctionnaires et intellectuels considérés comme suspects sont envoyés dans des « villages spéciaux » dont ce terrifiant camp de torture S-21. Le reste de la population est prié de rejoindre son village natal et de se plier aux ordres dans des conditions de travail proches de l’esclavagisme. Les digues sont élevées à la main. Les hommes tirent les charrues car les bœufs ont été tués.
Les repas sont limités au strict minimum. Les gens doivent changer de nom. Le salut avec les mains est banni. La lecture à l’école est remplacée par des danses et des chants révolutionnaires. Les enfants appartiennent à l’Angkar, l’organisation suprême des Khmers rouges. Les époux sont choisis au hasard. Les mariages forcés ont lieu. Les bonzes sont persécutés. Les chrétiens sont accusés de travailler pour la CIA. La communauté Cham (musulmane) est massacrée.
Les pagodes deviennent des greniers à riz et les mosquées deviennent des porcheries. Les statues de Bouddhas sont décapitées. Les usines sont désaffectées. Les salles de cinémas aussi.
Les hôpitaux des villes sont interdits d’accès à tous les citadins ayant été cloisonnés dans les campagnes. Les médicaments sont réservés aux combattants. Les jeunes aux cheveux longs et tous ceux connaissant une langue étrangère sont exécutés. Les médecins sont traqués pour cause d’appartenance à la bourgeoisie. Les Khmers rouges haïssent les signes d’intelligence. Les intellectuels sont massacrés à coup de pioche. Les charniers se multiplient aux 4 coins du pays. Le nombre de victimes de ce génocide est estimé à 2 millions de personnes. 70 % des intellectuels, enseignants et techniciens sont exécutés.
En décembre 1978, l’armée vietnamienne envahit le Cambodge, chasse les Khmers rouges de Phnom-Penh et installe des cambodgiens au pouvoir. Mais les Khmers rouges s’installent à la frontière Thaï, reprennent la guérilla et tentent de déstabiliser le nouveau régime en plaçant volontairement des mines anti-personnel dans les rizières et les champs dans le but de mutiler les paysans. En les privant de travail et de récoltes, ils pensent que le régime ne tiendra pas longtemps. Des débuts de famine et un nombre considérable de mutilés font réagir les organisations caritatives internationales mais une partie de l’aide pour le peuple cambodgien est détournée par les Khmers rouges. Après 11 ans d’occupation vietnamienne, la conjoncture internationale et l’effondrement du bloc soviétique bouleversent les données politico-militaires. Un cessez-le-feu est imposé aux Khmers rouges. L’armée vietnamienne se retire en 1989 et en octobre 1991, les accords de paix sont signés à Paris, sous l’égide de l’ONU qui va rétablir la paix, faire revenir les réfugiés, mettre en place un nouveau régime politique et reconstruire le pays.
En 1993, 38 ans après avoir abdiqué, Sihanouk redevient roi du pays. La démocratie est revenue. Mais les années qui suivent sont mitigées : rapatriés entassés dans des bidonvilles, corruption, délinquance, prostitution, chômage, instabilité politique, contestations sociales…
Nous passons donc la matinée, la gorge nouée, le cœur serré, l’esprit angoissé, la larme à l’œil, à arpenter le centre d’interrogatoire et de torture S-21, et à prendre conscience de l’horreur de ce génocide. Les archives du Musée de Tuol Sleng ont été inscrites dans le Registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO en raison de leur importance historique. Le musée se situe dans l’ancienne prison S-21, la plus connue des quelques 196 prisons que la dictature communiste des Khmers rouges avait disséminées à travers le Cambodge durant les années 1970. Elle était dirigée par Kang Kek Leu, alias « Douch », et elle dépendait directement des plus hauts dirigeants du régime. Environ 18 000 personnes y ont été détenues. Tout détenu envoyé à Tuol Sleng est en effet un coupable obligé, dont il s’agit d’obtenir la confession de crimes si besoin imaginaires, avant son exécution.
L’institution pénitentiaire S-21 existait à Phnom-Penh depuis août 1975 mais ce n’est qu’en avril 1976 que Douch, son directeur, décide de la transférer à cet endroit dans un cet ancien lycée construit par les Français en 1962.
Le territoire de la prison s’étendait cependant bien au-delà du périmètre actuel du musée et recouvrait l’ensemble du quartier, intégrant dans son périmètre un hôpital, des champs cultivés, les maisons adjacentes transformées en salles de tortures ou dortoirs pour les gardes et les interrogateurs. L’ensemble était entouré d’une double muraille de tôles ondulées, surmontée de fils barbelés électrifiés.
La prison resta en activité jusqu’au 7 janvier 1979, quand l’armée vietnamienne entra dans Phnom-Penh. Lors de la découverte de la prison, les soldats vietnamiens découvrirent au moins 14 corps mutilés sur des lits. Ils reposent aujourd’hui dans la cour devant un mémorial.
Le complexe est constitué de quatre bâtiments de trois niveaux autour d’une cour. Difficile d’imaginer que cet ensemble était un lieu d’apprentissage et de savoir auparavant. Les anciennes salles de classe servaient de cellules collectives dans lesquelles une cinquantaine de personnes étaient entassées, allongées par terre, les pieds attachés à de longues barres de fer par des anneaux en fonte. D’autres étaient divisées en cellules d’environ 1,5 à 2 m² et qui pouvaient contenir de trois à quatre personnes. Les cellules des rez-de-chaussée étaient en briques, celles aux premiers étages étaient en bois. Les détenus, rassemblés et numérotés, étaient ligotés avec de longues barres de fer avec des anneaux en fonte.
Une fois transformés en prison, les bâtiments étaient recouverts de fils barbelés afin que les détenus ne se suicident pas, car la décision de vie ou de mort devait incomber à la direction de la prison. Un gardien fouillait régulièrement les personnes allongées, pour voir si elles ne disposaient pas d’un stylo pour se suicider en se crevant la gorge, ou bien d’un boulon ou d’une vis pour se suicider aussi en l’avalant. On donnait aux prisonniers du riz deux fois par jour. Les détenus faisaient leurs besoins dans une boîte de munition américaine en métal. Un tuyau d’arrosage de temps en temps leur servait de douche comme l’illustre cette peinture.
Les personnes incarcérées dans le centre de purge S-21 étaient des membres de l’administration et des forces armées du régime de Lon Nol, qui avaient été directement arrêtées après que les Khmers Rouges aient pris le pouvoir en avril 1975, mais aussi des personnes issues des rangs Khmers rouges incarcérées à la suite de purges internes mais surtout une grande partie de la population : étudiants, intellectuels, enseignants, ingénieurs, paysans, élèves, militaires, fonctionnaires, ministres, diplomates, Cambodgiens revenus de leur exil à l’étranger, moines bouddhistes, ainsi que quelques étrangers (79 dont 3 français). Pour n’importe quel motif. Le simple fait d’être enseignant, de parler une langue étrangère, d’être religieux ou même simplement de porter des lunettes pouvait être suffisant pour être considéré « à exterminer ». Le tout sans distinction d’âge, allant parfois jusqu’à des familles entières avec leurs bébés. Les condamnés étaient alors acheminés dans le camp d’extermination de Choeung Ek à une quinzaine de kilomètres de la prison. Leurs corps, une fois massacrés à coups de pioches, de marteaux ou de machettes, étaient déposés dans des charniers. La sentence finale ne se faisait pas par balles par mesure d’économie. Selon les spécialistes, les corps de 17 000 prisonniers ont été retrouvés dans 129 fosses communes. Nous hésitons encore à aller nous recueillir sur ce camp de la mort sur ce site la semaine prochaine. La visite d’aujourd’hui est déjà tellement terrifiante.
On demandait aux détenus torturés de façon barbare d’avouer des fautes qu’ils n’avaient pas commises dans des confessions transcrites sur du papier. Lorsque les confessions ne satisfaisaient pas les interrogateurs, les détenus étaient de nouveau torturés, jusqu’à ce qu’ils écrivent des confessions jugées recevables. Les tortionnaires donnaient aux détenus des idées d’aveu : par exemple un lien avec la CIA, le KGB, ou encore un quelconque système démocratique, capitaliste, ou impérialiste. Hommes et femmes étaient attachés et torturés sur des sommiers en fer pour obtenir des aveux.
Les tortionnaires se divisaient en trois groupes : les « Gentils », les « Chauds », et les « Mordants ». Lorsque les prisonniers n’avouaient rien au groupe des « Gentils », qui était un groupe politique, ils étaient pris en charge par le groupe des « Chauds », puis au groupe des « Mordants ». Bien que cela leur soit défendu, il est arrivé que certains gardes violent des prisonnières. La torture passait également par l’utilisation d’un sac plastique pour étouffer les détenus, et des pinces pour leur lacérer les chairs, l’insertion d’insectes dans les plaies ou les organes génitaux. Différentes expérimentations médicales étaient aussi menées sur des corps vivants. D’autres prisonniers se voyaient vider de leur sang. Un agrès de gymnastique qui servait auparavant aux lycéens, a été transformé en engin de torture par les hommes de Pol Pot. Les bourreaux liaient les mains des détenus, les pendaient par les pieds jusqu’à perte de connaissance. Pour leur faire reprendre conscience, ils leur trempaient la tête dans cette jarre pleine d’excrément et d’eau croupie dans le but de les faire avouer.
Ces instruments de torture sont exposés dans cette ancienne cour de récréation et dans ces anciennes salles de classe. Je vous passe les photos de détenus torturés et de morts mais aussi les tableaux montrant des prisonniers torturés, étouffés et pendus, peints par l’ancien détenu Vann Nath, rescapé de cette macabre torture.
Un panneau énumère les 10 édifiantes règles en vigueur dans la prison. Terrifiant. Angoissant. Poignant.
Le personnel composé de 1720 personnes était divisé en quatre unités : la photographie, la documentation, la sécurité et l’interrogation. Les premiers photographiaient soigneusement les prisonniers au moment de leur arrivée. Ces portraits figés de prisonniers sont saisissantes. Il arrivait également que les détenus morts pendant la torture soient photographiés, ainsi que certains détenus importants après avoir été exécutés, afin de prouver à l’Angkar que l’ennemi avait bien été exterminé. Au cours des trois années de fonctionnement de S-21, les prisonniers étaient identifiés et enregistrés à leur arrivée. Dans les premières années du régime, beaucoup portaient un simple numéro. Dans les années suivantes, ce numéro est devenu une plaquette comprenant un numéro, la date d’entrée et le nom du détenu. Les Khmers rouges tenaient ainsi des registres précis d’entrées et sorties des prisonniers de la prison. Les gardes qui avaient entre 10 et 25 ans, devaient suivre des règles strictes. Ils n’avaient par exemple pas le droit de s’asseoir ni de s’adosser au mur pendant leurs tours de garde. S’il ne les respectaient pas, ils risquaient de devenir à leur tour prisonnier de S-21. Ils devaient torturer sans tuer, sous peine de subir le même sort.
Kang Kek Leu, alias Douch, était le maître du complexe de Tuol Sleng. Reconnu dans un village cambodgien en 1999, il a été inculpé lors du procès des Khmers rouges qui s’est ouvert à Phnom-Penh pour Crimes contre l’Humanité et condamné en appel à la réclusion criminelle à perpétuité en 2012. Quatre autres personnes sont inculpées dont un idéologue de régime, un ancien chef de l’État et deux anciens ministres. En 2014, d’autres procès condamnent les plus hauts dirigeants Khmers rouges encore vivants pour Crime contre l’Humanité et pour avoir ordonné les plus grandes migrations forcées de l’Histoire moderne.
Nous sortons bouleversés par le témoignage de cette tyrannie meurtrière qui a duré 3 ans, 8 mois et 20 jours. Le nombre de personnes qui ont été détenues à Tuol Sleng atteint le chiffre terrifiant de 18 000. Les seuls survivants retrouvés sur place par les Vietnamiens en janvier 1979 étaient 7 hommes et 4 enfants, cachés dans une pile de vêtements.
Nous rencontrons à la fin de cette visite, trois de ces personnes, Norng Chan Phal, un des enfants âgé de 9 ans à l’époque ainsi que Chum Mey (90 ans) et Bou Meng (79 ans), 2 des 7 hommes survivants. Chum Mey a été emprisonné du 28 octobre au 9 novembre 1978. Il était réparateur de machines à écrire et pouvant être utilisé pour ses compétences, il a eu la vie sauve. Il a été fouetté à plusieurs reprises sur le corps. Quand il levait les mains pour essayer de se protéger, ses doigts furent cassés. Ils lui ont arraché ses ongles avec des pinces pendant que ses jambes étaient enchaînées. Alors qu’il refusait d’avouer des choses qu’il n’avait pas commises, ses ongles furent tordus et arrachés de son autre pied. Il a aussi été soumis à plusieurs décharges électriques avec un cordon d’alimentation de 220 volts. À chaque fois, il s’est évanoui. Il a finalement inventé et avoué qu’il travaillait pour la CIA et qu’il avait recruté des dizaines d’agents au Cambodge pour que la torture prenne fin. Voici la photo de la cellule où était prisonnier Chum Mei.
Bouleversant de faire face à trois de ces survivants, qui ont témoigné de cette horreur lors du procès des leaders Khmers rouges. On aurait 1000 questions à leur poser mais les mots ne viennent pas. Nous achetons deux de leurs ouvrages que nous ferons lire à nos enfants quand ils auront l’âge pour cela.
Difficile d’imaginer que ce centre pénitentiaire n’est qu’un lieu parmi les 166 autres lieux de torture. S-21, connu pour être le plus grand « centre de sécurité », n’est en effet pas le seul endroit où les hommes de Pol Pot commirent leurs atrocités.
J’en reviens à notre visite du 29 décembre en compagnie de nos amis aux Grottes de Phnom Sampeau, près de Battambang. Ces grottes ont été utilisées par les Khmers Rouges comme des grottes de tuerie. Elles font partie d’un ensemble de 343 sites de tuerie disséminés dans le pays. Ici, les corps de 10 000 victimes de la région y ont été jetés. Un mémorial renfermant les crânes et les os des victimes a été érigé au fond de ces grottes. Il est difficile de trouver les mots pour expliquer ce génocide à nos 6 enfants mais cela fait aussi partie du voyage, de se confronter à l’Histoire du pays. Bien entendu, sachant que la vision de ces grottes allait être difficile, nous en avons parlé avec eux auparavant et leur avons laissé le choix d’entrer ou pas les visiter.
Voilà pour ce récit des atrocités qui font partie de l’Histoire du pays et de l’Humanité.
Nous retrouvons nos enfants qui ont passé la matinée sagement à la Tiny, toujours bien garée dans la pagode, sous le regard bienveillant des moines.
Après-midi école et jeux avant de partir en direction de l’Ambassade d’Inde. Je m’y rends seul. Je retombe sur le même fonctionnaire toujours aussi peu agréable. Il me questionne de nouveau et me demande de rédiger sur un papier libre mon lieu de sortie du territoire indien. Pour ne pas lui indiquer le véritable point qui sera le Pakistan (avec qui l’Inde n’est pas amie en raison du territoire du Cachemire revendiqué par les deux parties), je lui indique le port de Mumbai. En échange, il me délivre mes visas pour une durée de 6 mois comme on l’espérait ! On boit une bière pour fêter cela.
Puis, nous allons nous rafraîchir comme hier soir dans la piscine de l’hôtel voisin. Tout en y prenant une douche et une bière évidemment !