124 km parcourus du 7 au 11 janvier 2020

46 825 km parcourus depuis le départ

Mardi 7 janvier 2020 :

Le début de notre dernière semaine au Cambodge se passe à un petit rythme. Comme je vous l’avais expliqué dans notre dernier article, nous sommes bloqués à la capitale Phnom-Penh dans l’attente de nos visas. Nous avons récupéré hier nos visas indiens. Opération visa thaï aujourd’hui. Direction en tuk-tuk, l’Ambassade de Thaïlande. Toujours en utilisant la très pratique application Grab (ou Pass App) qui permet de commander une course avec un prix prédéfini. Pas d’embrouille ou de négociation avec le chauffeur. On fait ainsi une course de 3 ou 4 km pour moins d’un euro.

Après deux essais infructueux la semaine dernière où nous avions trouvé porte close, les bureaux de l’ambassade sont aujourd’hui ouverts. La préposée examine notre dossier et nous demande le billet d’avion de sortie du territoire de Thaïlande. Je lui explique que nous n’en avons pas car nous sommes en voiture. Elle me demande quand-même le billet d’avion de sortie du territoire de Thaïlande. Euh… je lui explique que nous n’en avons pas car nous sommes en voiture. Elle me demande alors un document attestant que je suis en véhicule. La copie de la carte grise est restée dans la Tiny à 5 km. Elle m’indique que je peux alors en faire imprimer une dans le bureau de son collègue. Ce dernier arrondit ses fins de mois en faisant imprimer un mail que j’envoie à son collègue moyennant un dollar ! Je lui donne la copie qu’elle ne sait évidement pas exploiter. Je lui aurais donné une photocopie d’une facture d’achat de machine à laver chez Darty et ça aurait eu le même effet. Elle me demande également un relevé de banque attestant que je dispose d’au moins 2000€ sur mon compte. Le dossier est maintenant complet. On paye 40$ par personne. Plus que deux jours à patienter pour récupérer nos passeports. On aurait pu se passer de ce visa car les Français sont exemptés de visa pour entrer en Thaïlande pour 30 jours mais l’extension nécessaire pour le mois suivant coûte 60$. Nous prévoyons en effet de rester deux mois en Thaïlande.

Après-midi tranquille fidèle au petit rythme que nous avons cette semaine. Nous passons beaucoup de temps à faire du rangement et un nettoyage en profondeur de la Tiny qui a mangé beaucoup de poussière sur les pistes et les routes en travaux.

Nous sommes toujours garés dans la cour d’un temple en plein centre-ville de la capitale et continuons à recevoir de la part des moines des signes de sympathie et des fruits.

Comme les autres jours, nous profitons de la proximité de l’hôtel voisin La Grange qui pour une consommation achetée, nous donne accès à la piscine et aux douches. Ce qui n’est pas désagréable avec la chaleur qu’il fait. Les enfants passent des heures à jouer dans l’eau, ce qui nous oblige à boire des bières. Je me mets doucement à jour sur le blog et je rattrape les retards que j’avais pris en présence de nos amis pendant les fêtes.

Soirée au fast-food local où nous mangeons des hamburgers-frites.

Mercredi 8 janvier 2020 :

De bonne heure, je pars seul avec Audrey en tuk-tuk faire le plein de fruits et légumes au marché central de Phnom-Penh également appelé Phsar Thom Thmey. Son architecture unique au style Art déco construite en 1937 lui confère un grand espace où bon nombre de commerçants se côtoient au sein des diverses zones. Sous le dôme on trouve un grand choix de bijoux et montres, les quatre ailes quant à elles, concentrent l’essentiel des biens de consommation courante. L’extérieur de la structure est dédié aux vêtements ainsi qu’à l’alimentaire.

Du bonheur de flâner dans ses étroites allées bien garnies de fruits et légumes tropicaux, de morceaux de viande accrochés à des hameçons, ou encore de poissons et poulets encore vivants.

Matinée école où là également, Audrey profite qu’on ait du temps pour faire des bonnes matinées efficaces avec les enfants. De mon côté, je me lance dans le changement des roues du camion. Non pas que les pneus soient morts malgré leurs 50 000 km mais juste qu’ils sont un peu plus usés devant. J’intervertis donc en diagonale les pneus des deux essieux. J’en profite pour jeter un œil au bruit de freins que j’ai à l’arrière depuis quelques jours. Et je m’aperçois que les plaquettes de freins arrière sont mortes. L’une est tellement morte qu’elle a usé prématurément un disque qui est bon à changer alors qu’il était encore quasi neuf. Il a perdu du côté intérieur la quasi totalité de son épaisseur à cause du frottement métal contre métal. Il y a une concession Mercedes à 6 km de là où nous sommes. Nous y faisons un saut et nous sommes aussitôt pris en charge par un personnel très sympa et par le patron qui vient nous accueillir. Ils n’ont pas de pièces en stock mais acceptent de monter les plaquettes que j’avais par précaution achetées avant le départ. Liliane, Daniel et Alex, gardez un peu de place dans votre valise pour m’emmener des disques de freins en Thaïlande ! (Pendant qu’on y est, Victor aimerait du Chaussée aux Moines et j’ajouterais bien des mantecaos et des oreillettes de mon papa…). Rapidement le travail est effectué alors que je contrôle comme d’habitude ce qui est effectué. Durant ce temps, Audrey et les enfants sont invités à patienter autour de consommations qui leur sont offertes dans le salon. Une fois la réparation effectuée, de nouveau, deux jus frais de fruits de la passion nous sont offerts ainsi qu’un sac d’objets pub de la marque à l’étoile ! Pour 45€ (compris un lavage du camion qui en avait bien besoin), nous voici repartis sur les routes confiants mais il faudra qu’on vérifie quand-même plus tard qu’il n’y a pas un défaut sur le répartiteur de freinage qui expliquerait pourquoi les freins avant ne sont pas du tout usés et que tout le freinage se porte sur l’arrière.

Retour sur le bivouac dans Phnom-Penh au temple. De nouveau, nous allons terminer la journée au bord de la piscine et nous voici de nouveau obligés de boire des bières.

Jeudi 9 janvier 2020 :

Matinée comme les autres. En début d’après-midi, après avoir profité d’une bonne douche (oui, on n’a jamais pris autant de douches!) au temple et d’y refaire le plein de nos réserves d’eau, et après avoir profité une dernière fois d’un passage à la laverie, nous quittons ce bivouac après avoir passé une semaine complète dans la cour de cette pagode. Nous prenons la route vers l’Ambassade de Thaïlande. Très rapidement, nous récupérons nos 4 passeports. Nous voici à présent tranquilles pour un moment. Le prochain que nous aurons à faire sera un e-visa par internet (donc facile et rapide) pour le Myanmar. Celui pour le Népal se fera à la frontière. La question se posera du pays suivant. Une fois que nous aurons pris la décision ou pas de passer par le Pakistan et l’Iran mais au vu des évènements de la semaine dernière, on risque de devoir trouver un plan B pour contourner le Moyen-Orient et la péninsule arabique. Mais ce n’est rien pour nous. On reste sur un voyage où nous pouvons facilement trouver une alternative. Ce qui n’est pas le cas des peuples locaux. Plus que jamais, on pense fort à tous ces iraniens qui nous ont si chaleureusement accueillis en début d’année dernière.

Nous roulons jusqu’à Choeung Ek, à 12 km de Phnom-Penh. Je vous avais longuement parlé dans le précédent article du génocide commis entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges, membres du parti communiste cambodgien. Pour ceux qui n’ont pas eu le temps de lire cet article, je vous invite à le parcourir pour prendre connaissance et conscience de cette atrocité, si récente. Intellectuels, religieux, citadins et quiconque refusait une conversion rurale étaient condamnés. Ainsi, un quart de la population, soit deux millions de cambodgiens ont été massacrés dans tout le pays. Nous avions visité la semaine dernière le camp S-21 dans lequel la population était de force emmenée jusqu’à temps qu’elle avoue, sous la torture, des faits qu’elle n’avait pas commis. Une fois passées aux aveux, les personnes quittaient la prison S-21, pour être emmenées de nuit par camion à Choeung Ek puis pour être liquidées.

Au plus haut de l’activité de ce camp, 300 personnes arrivaient quotidiennement pour être tuées la nuit suivante. En attendant la sentence finale, les condamnés attendaient sous ce cachot sombre et lugubre.

Comme la semaine dernière, l’atmosphère de ce camp d’extermination est trop morbide et glaçante pour les enfants qui restent au camion. Audrey, qui a été tellement bouleversée par la visite de S-21, préfère m’attendre dans la Tiny, alors que je pars seul visiter ce lieu de mémoire du génocide. Sur une superficie de 20 000 m², Choeung Ek reste le plus grand champ de tuerie au Cambodge. Comme pour S-21, la visite se fait à l’aide d’un excellent audio-guide en français qui permet de bien comprendre l’histoire douloureuse et dramatique du lieu et d’écouter beaucoup de témoignages poignants des rares témoins et survivants de cette atrocité, ou bien des confessions d’anciens meurtriers. J’essaye d’imaginer que ce camp de la mort n’est qu’un seul des 300 terrains d’exécution du Cambodge tenu par le régime du Kampuchea Démocratique de Pol Pot.

Ce camp de la mort a été exploité pendant 3 ans par les Khmers rouges jusqu’au 7 janvier 1979, il y a 41 ans et 2 jours. 17 000 personnes y périrent dans des conditions atroces. Dans le stupa mémoriel dressé au centre de ces Killing Fields (« champs de la mort »), des vitrines renferment des reliques des condamnés dont 5000 crânes alignés, présentant pour la majorité des marques de coup de pioche. Les Khmers rouges privilégiaient ce mode d’exécution plutôt que l’arme à feu afin d’économiser le coût des munitions.

Les corps étaient jetés dans 129 fosses communes, profondes de 5 mètres, puis recouvert de DDT, un insecticide utilisé par les paysans, pour limiter la puanteur et ne pas alerter le voisinage. Pour couvrir les cris des victimes, des hauts-parleurs accrochés à cet arbre diffusaient des chants. Les bruits des générateurs produisant l’électricité avaient également pour but de rester discret. Le voisinage croyait que se déroulaient derrière ces hauts murs de 2 mètres des réunions des Khmers rouges.

On aperçoit encore beaucoup d’ossements et des lambeaux de vêtements colorés qui remontent à la surface du fond de ces charniers. Dans des vitrines, les gardes du parc rassemblent régulièrement les vêtements d’enfants, des bandeaux qui masquaient les yeux des condamnés et des cordages qui leur liaient les mains. Je marche sur ces passerelles de bois surplombant ces fosses communes, écoutant mon audio-guide. C’est angoissant.

Seulement 90 de ces charniers ont été mis au jour, permettant de retrouver les ossements de 9000 personnes, soit à peine un peu plus de la moitié des victimes de Pol Pot. Dans l’un d’entre eux, 166 squelettes sans tête, en majorité des Khmers rouges, considérés comme déserteurs et décapités pour l’exemple. D’autres charniers abritent les dépouilles de femmes, déshabillées, violées puis tués. Le plus violent pour ma sensibilité et ce qui restera à longtemps gravé dans mon esprit est cet arbre, contre lequel étaient fracassés les bébés avant d’être jetés dans la fosse voisine. Ce lieu laissera en moi une marque indélébile. L’endroit fut découvert au début de 1979, après la chute du régime de Pol Pot, par un paysan du village de Choeung Ek retournant chez lui et découvrant cet arbre avec des cheveux et de la matière cérébrale incrustés dans l’écorce.

Je sors bouleversé de ce camp de la mort. Pas de chance pour ces trois chinoises d’une trentaine d’années croisées sur le site que je me suis permis de pourrir en leur gueulant dessus et en leur rappelant qu’on était dans un lieu de recueillement et non pas dans un parc d’attraction. Elles s’amusaient à poser, faire des selfies, tout en criant fort et prenant des positions acrobatiques devant le mémorial. Incroyable. Choquant. Comment peut-on avoir un tel comportement indécent et grossier sur un tel lieu de mémoire ? La connerie humaine n’a aucune limite. Même ici, à Choeung Ek.

La nuit commence à tomber, il est trop tard pour prendre la route. Nous bivouaquons sur place, dans la grande banlieue de Phnom-Penh.

Vendredi 10 janvier 2020 :

Route vers Phnom Chisor, un temple « coup de cœur » de notre Guide du Routard. Bon, je ne vous cache pas notre petite déception tout de même. Le temple, construit au 11ème siècle sous le règne de Suryavarman 1er, est assez en ruines et en mauvais état suite à quelques bombardements américains. Cependant, se promener au sein de ses ruines de pierres en latérite et observer quelques beaux restes, en particulier de superbes linteaux, n’est pas désagréable. La vue est très jolie du haut de cette colline où nous avons pris une centaine de mètres d’altitude depuis le parking. L’escalier de quelques 300 marches par une température de 37° ressentie nous a asséchés. L’endroit est très serein. Une voie sacrée au bas de la colline est jalonnée de deux édifices cruciformes et d’un grand bassin.

Un centre bouddhique s’est installé à côté avec quelques temples en construction. Nous y croisons quelques jeunes bonzes novices récitant des textes.

Nous devons accélérer le rythme. Il ne nous reste que 9 jours sur notre visa et nous devons anticiper un éventuel refoulement à la frontière Thaïlandaise qui interdit à nouveau depuis quelques mois l’entrée des camping-cars sur son territoire. Nous sommes un peu rassurés car déjà 8 de nos amis ont réussi à entrer par différentes frontières. Cependant, si la frontière que nous envisageons de passer à Koh Kong nous refoule, nous devrons faire un grand détour pour tenter une autre frontière (760km jusqu’à la frontière de Smach), voire même repasser au Laos pour tenter une autre frontière vers la Thaïlande (encore 1000 km de plus pour atteindre Thakhek)…

Nous roulons donc tout l’après-midi sur une route assez désagréable car en travaux. Les odeurs d’échappements se mêlent à celles des ordures qui brûlent ou bien à celles de la nourriture cuisant sur le bord de la route. Le tout dans une poussière rouge infernale.

Nous arrivons à notre point de chute espéré, à savoir la station balnéaire de Kep. De nouveau, nous retrouvons la mer. Nous arrivons dans le Golfe de Thaïlande, rattaché à la Mer Méridionale de Chine. Nous avions quitté la dernière fois cette mer au Vietnam en novembre. Qu’il est bon de retrouver la brise marine et des températures plus clémentes. Bon, l’eau n’est pas translucide et n’invite pas à la baignade mais le coin est sympathique. Au large, l’île vietnamienne de Phú Quốc. Anaïs continue ses petits bricolages et Victor ses cuillères en bois de teck. Nous fêtons autour d’une bière, notre arrivée au point le plus éloigné de notre domicile de notre voyage, 10 300 km à vol d’oiseau mais 46 806 par la route !

Samedi 11 janvier 2020 :

Durant la traditionnelle matinée école, je remets en route mes contacts et réseaux pour un futur éventuel shipping entre l’Inde et l’Afrique Australe. De plus en plus, au vu de la tournure des évènements au Moyen-Orient, nous réalisons qu’il va être difficile de traverser cette zone pour rejoindre la péninsule arabique et l’Afrique. Il est toujours long d’avoir les bons contacts, d’avoir des devis et de pouvoir comparer les différentes offres des prestataires maritimes. Il nous faut donc travailler sur le plan B dès à présent.

En fin de matinée, nous nous rendons sur le marché aux crabes de Kep. Car si on a fait le détour pour venir à Kep, c’est bien pour venir traîner dans ce lieu réputé. Les nasses en bambou placées sous l’eau pour pêcher les crabes sont sorties au fur et à mesure de l’eau et la criée s’organise aussitôt entre vendeurs et acheteurs. Les crabes sont tâtés. Certains acheteurs leur plantent une aiguille à l’intérieur certainement pour s’assurer de la qualité du produit. Des milliers de crabes sont ainsi vendus. Mais pas que. Il y a aussi plein de crustacés, de coquillages, de poissons. On ne peut plus frais ! Beaucoup sont cuisinés sur place. On achète des brochettes de poulpes. Un délice. Puis quelques grosses crevettes pour ce soir. Hummm…

Puis, nous nous offrons un très bon resto pour y déguster le plat gastronomique traditionnel de la région : du crabe de Kep sauté au poivre vert de Kampot. Car l’autre spécialité de la région est le poivre dont je vous parlerai dans quelques lignes. Et là, c’est une tuerie ! On se régale de ce met délicieux.

De là, nous reprenons notre cavale en empruntant la route du poivre à quelques kilomètres de Kampot, une piste d’une dizaine de kilomètres.

Cette piste nous permet d’accéder à La Plantation, une ferme bio cultivant le poivre de façon traditionnelle et organique, où nous allons passer tout l’après-midi. Le poivre noir est utilisé quotidiennement sur toutes les tables du monde. Mais peu d’entre nous connaissons le mode de culture et pourquoi il existe différentes couleurs de grains de poivre. Vous voulez en savoir plus ? Alors continuez à lire ce que nous avons appris aujourd’hui lors de la visite guidée de La Plantation et vous comprendrez pourquoi le Poivre de Kampot, de par sa saveur et son arôme uniques, est élu meilleur Poivre au monde par les chefs et les gourmets depuis plus d’un siècle. Il est aussi réputé que le Sarawak (Malaisie) ou que le Penja (Cameroun). Mais les poivres de Kampot se distinguent par leur parfum unique. Ils développent un piquant relativement doux, des arômes fruités et complexes et une tenue en bouche exceptionnelle.

La région bénéficie d’un terroir unique, d’un savoir-faire et d’une connaissance ancestrale de la culture du poivre transmise de génération en génération. Ceci explique la qualité exceptionnelle du poivre de Kampot. Bordé par la mer, le terroir du poivre de Kampot bénéficie d’un climat exceptionnel tant au niveau de l’ensoleillement, de la brise de mer, de la qualité de la terre et des précipitations pendant la saison des pluies. Dans la région, l’arrivée des chinois planteurs de poivre, remonte au 13ème siècle. Plus récemment, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les français développèrent intensément la culture du poivre dans la région de Kampot. La production annuelle atteignait les 8000 tonnes avec plus d’un million de poteaux de poivre installés. A cette époque, le poivre de Kampot s’exportait essentiellement en France. Durant la guerre civile des années 70, la culture du poivre a été abandonnée, au profit de plantations de riz. Elle renaît lentement à partir des années 2000 avec le retour sur leurs terres des familles, issues de générations de planteurs de poivre. Le poivre de Kampot y est alors à nouveau cultivé selon les méthodes traditionnelles ancestrales. Les nouveaux débouchés commerciaux ont permis à ces familles de faire renaître les plantations. L’année 2010 marque un tournant dans la renaissance du poivre de Kampot avec la mise en place d’une IGP (Indication Géographique Protégée) par le Ministère du Commerce et l’Agence Française du Développement. Depuis 2016, il a même une AOP (Appellation d’Origine Protégée). Ces qualifications imposent aux planteurs de respecter un cahier des charges très strict fixant les règles en matière de production (terroir, boutures de poivre provenant du terroir, engrais naturels, pesticides naturels), de traitement, d’emballage et de traçabilité.

La région compte désormais plusieurs centaines de plantations allant des plantations familiales avec quelques centaines de pieds à des plantations s’étendant sur plus de 20 hectares. En 2019, la production du Poivre de Kampot a été de 100 tonnes, soit 80 fois moins qu’au pic de production du temps des Français. La Plantation a produit 23 tonnes de poivre sec sur ce total de 100 tonnes.

Quoi de plus banal que le poivre ? Et bien, vous allez certainement en apprendre, tout comme nous !

Le Poivrier noir ou Poivre noir (Piper nigrum) est une liane de la famille des Pipéracées originaire de la côte de Malabar, en Inde. Cette liane poussait à l’état sauvage dans la forêt, le long d’un tronc d’arbre, dans la province du Kérala en Inde. Des plants ont ensuite été transportés et cultivés dans la zone tropicale, au Brésil, à Madagascar ou dans les pays d’Asie du Sud-Est.

Le poivre et son extrait la pipérine possèdent de nombreuses vertus. Au-delà de ses qualités gastronomiques et gustatives, l’utilisation du poivre en cuisine permet de relever les plats et participe à la diminution de l’usage du sel, dont la consommation est fortement déconseillée par les cardiologues. Depuis l’antiquité, le poivre est reconnu pour ses qualités médicinales, comme le prouvent de nombreuses études médicales récentes. Il est bon pour la digestion, aide à prévenir et combattre différentes formes de cancer. Il possède des qualités antibactériennes et anti-inflammatoires efficaces. C’est aussi un antidépresseur et possède des vertus aphrodisiaques. Il peut donc se consommer du poivre sans modération.

Notre jeune guide français, Merlin, nous explique les différentes étapes de cette production traditionnelle. La culture du poivre se fait par bouturage de plans. Ils proviennent de plantations respectant un cahier des charges bien précis. Les plants poussent rapidement le long d’un poteau en bois mesurant 4 mètres de haut. A l’état sauvage, les lianes sont très invasives et poussent jusqu’à 17 mètres de hauteur. Un travail minutieux consiste à attacher la tige du poivre le long du poteau à l’aide de filaments naturels issus d’écorce de bois.

La terre est travaillée quotidiennement par les fermiers afin de surveiller le développement et la bonne santé de chaque pied. Selon les saisons, le travail de désherbage, de binage, d’apport de nouvelle terre sont effectués. Le Poivre de La Plantation est un poivre certifié biologique, aucun engrais chimique n’est utilisé. Un apport d’engrais naturels principalement de bouse de vache séchée ou de guano de chauve-souris mélangés à la terre et macérés au soleil 4 mois est réalisé. Pour combattre les insectes et maladies, aucun pesticide chimique n’est utilisé mais un répulsif naturel de racines et de plantes est pulvérisé sur la plante si nécessaire.

Pour l’irrigation, l’eau du Lac Secret voisin, certainement polluée, n’est pas utilisée. Des réservoirs d’eau servant à collecter l’eau de pluie pendant la saison humide, de juin à octobre permettent, pendant la saison sèche, d’arroser manuellement chaque pied de poivre une à deux fois par semaine.

La Plantation, appartenant à Nathalie et Guy, un couple de franco-belge a été créée en 2013 et compte 22 000 pieds de poivre plantés sur environ 20 hectares. Deux lianes par pieds soient 44 000 plants ! La quatrième récolte a eu lieu en 2019. Entre février et avril, les grappes de poivre sont cueillies à la main. Les grains rouges, qui donneront le fameux Poivre Rouge, sont même cueillis un par un. Puis, vient un long travail de sélection manuelle à la pince à épiler de 85 tonnes de grains de poivre (seuls les grains supérieurs à 4mm sont conservés tandis que les autres sont réduits en poudre), de lavage, d’ébouillantage et enfin de séchage naturel au soleil durant 2 à 3 jours. Le poivre séché est ensuite à nouveau sélectionné à la main.

Bon maintenant, savez-vous d’où viennent les différentes sortes de poivre ? Les baies de poivre sont toutes issues de la même plante mais cueillies ou traitées à différents stades de maturité.

– Le poivre vert : à partir du mois de Septembre, les grappes de poivre commencent à se développer sur la plante. Elles sont d’un vert intense et grossissent au fil des mois pour atteindre leur maturité à partir du mois de janvier. Le poivre vert est un fruit qui ne se conserve pas. Il se ramasse pas mûr et ne se conserve que quelques jours au maximum au frigo. Il est donc déshydraté ou conservé dans de la saumure ou bien fermenté au sel.

– Le poivre noir : à partir du mois de janvier, les grappes mures sont cueillies à la main. Elles sont ensuite égrainées, lavées et séchées au soleil pendant 2 à 3 jours. Le poivre vert s’oxyde et devient noir en développant des arômes forts et délicats. Son goût très intense et doux à la fois révèle des notes fleuries d’eucalyptus et menthe fraîche. Saviez-vous d’ailleurs qu’il est conseillé de ne jamais cuire le poivre mais de le moudre frais directement dans son assiette ?

– Le poivre rouge : au pic de la saison sèche, vers le mois de mars, les grains mûrissent sur la grappe, passant du jaune au rouge. Il n’y a qu’à Kampot et à Pondichéry, que le poivre atteint naturellement sa couleur rouge sur le pied. Récoltés à la main, grain par grain, à pleine maturité, les grains sont ensuite lavés et séchés au soleil. Le poivre rouge de Kampot est le produit emblématique de la région. Il développe de puissants arômes fruités. Son goût unique, moins épicé que le poivre noir, offre des notes sucrées de fruits rouges et de miel. Il embaume et parfume les plats mais aussi les desserts. On a d’ailleurs goûté de délicieuses glaces au chocolat et au citron parfumées au poivre rouge.

– Le poivre blanc : il est issu de la transformation du poivre rouge. Il est débarrassé de sa peau suite à un trempage durant une nuit. Il développe un bouquet puissant et des arômes délicats. Le goût est épicé et intense.

En plus des quatre sortes de poivre de Kampot certifié : le poivre noir, le poivre rouge, le poivre blanc et le poivre au sel, La Plantation produit également du poivre long, des perles de poivre long, du curcuma et des piments sauvages. Le Poivre long de Java a l’avantage de produire tous les mois contrairement au poivre de Kampot qui ne produit que tous les ans.

Bon maintenant, place à la dégustation. Nous nous asseyons autour d’une table et goûtons à 8 poivres différents dont l’excellent et étonnant Poivre Frais au Sel. Le croquant du grain vert et l’explosion intense de saveurs de poivre frais en bouche sont exceptionnels ! Succulent. Même Anaïs et Victor jouent le jeu de tout goûter ! Nous testons également des mélanges d’épices aux notes poivrées. Superbe !

Nous achetons nos préférences, à savoir le Mix épicé, un mélange de fleur de sel séchée au soleil de Kampot et de différents épices moulus (poivre noir, blanc, rouge, badiane, baies roses, coriandre, girofle et piments des oiseaux) et bien entendu du poivre rouge de Kampot, ces fameux grains récoltés à pleine maturité emblématiques de la région ou bien encore du poivre noir au goût intense et aux arômes de caramel et de cacao.

Mais La Plantation n’est pas qu’une culture de poivre. C’est également ce qui nous a plu dans cette structure qui est avant tout un projet social. Ses propriétaires jouent un rôle prépondérant au niveau des familles de leurs 330 employés en leur offrant un salaire nettement supérieur au revenu moyen (30 à 50 % supérieur à la moyenne de 95 dollars dans cette région rurale), 3 repas par jour, et le gîte. Du coup, les Khmers ne dépensent pas beaucoup sur place et peuvent envoyer beaucoup d’argent dans leurs familles.

Outre la mission sociale auprès des familles de fermiers, les propriétaires s’occupent d’une école qui jouxte la propriété. Une centaine d’élèves bénéficie de leur aide en matière d’équipement scolaire et vélos pour venir à l’école, parfois distante de 7 ou 8 kilomètres de leur domicile. Ils ont construit une nouvelle route d’accès à l’école, assurent l’entretien des bâtiments scolaires et aident financièrement l’école au bénéfice exclusif de l’éducation des enfants. Ailleurs dans le pays, les enfants n’ont école que le matin. Ici, les salaires des profs sont doublés et du coup les élèves ont cours toute la journée. Mais le véritable projet et challenge de l’association « Les écoles de La Plantation » est de donner, à ces enfants de la campagne, l’opportunité d’étudier dans le secondaire jusqu’à l’université afin d’obtenir un métier valorisant. Ils financent ainsi la scolarité des meilleurs élèves en fin de primaire dans une école privée de Kampot en organisant pour eux la logistique quotidienne du transport et du déjeuner, et en en attribuant une bourse qui finance la scolarité, les uniformes et les fournitures scolaires. Une Maison des enfants a été ouverte à La Plantation et permet d’accueillir, en dehors du temps scolaire, une quarantaine d’enfants en leur proposant des cours de yoga, des activités diverses et variées d’ateliers créatifs, de cours de langues étrangères. L’association a installé un forage pour l’accès à l’eau et équipé l’école de lavabos pour le lavage quotidien des dents et des mains.

Un autre objectif de La Plantation est la préservation et la sauvegarde du patrimoine architectural Khmer. Véritables monuments historiques et témoins de la culture ancestrale du pays, les maisons traditionnelles khmères en bois en voie de disparition sont achetées aux villageois, démontées et reconstruites pièce par pièce à La Plantation.

Enfin, soucieux de préserver l’environnement de la région, Nathalie et Guy se sont lancés dans un vaste projet de reboisement des terres, collines et tout autour des plantations de poivre. Des milliers d’arbres ont déjà été plantés dont une partie d’arbres fruitiers exotiques : fruits du dragon, durians, mangues, mangoustans, bananes, fruits de la passion, ananas, sacha inchi

Nous prolongeons cette passionnante visite en discutant notamment avec Marine, venue travailler ici et particulièrement impliquée dans le projet, dans ce chouette endroit surplombant le Lac Secret.

Nous sommes ravis d’avoir pu découvrir de projet d’agro-tourisme social et durable. Nous passons la nuit sur la parking de La Plantation. Dernière nuit au Cambodge. Enfin on espère car ça voudrait dire que sinon, on n’a pas réussi à passer le frontière vers la Thaïlande !