127 km parcourus du 28 septembre au 1er octobre 2020
60 207 km parcourus depuis le départ
Lundi 28 septembre 2020 :
Notre cavale autrichienne se poursuit. Mais après le rythme très intense de notre dernière semaine consacrée à la visite de la capitale, semaine que nous n’avons pas passé à la cadence d’une valse viennoise mais plutôt à celle d’un rock endiablé, nous avons besoin d’un peu de repos. Et puis le temps ne nous incite pas à sortir aujourd’hui. Du vent, du crachin et de la pluie sans discontinuer. Un beau temps automnal nous faisant prendre conscience qu’on n’arrive pas dans la saison la plus adaptée à notre vie itinérante et qu’il va falloir modifier notre itinéraire en fonction du climat.
Pour l’instant, pas de changement d’itinéraire à long terme prévu par rapport aux derniers plans de la semaine dernière, à savoir rester encore une bonne dizaine de jours en Autriche, puis descendre en Slovénie, en Croatie, au Monténégro puis en Grèce. A moins que… On vient d’apprendre aujourd’hui que l’Ukraine qui était fermée et nous empêchait un contournement de la Hongrie par le nord vient de rouvrir. Mais on vient surtout d’apprendre que la Hongrie, bien que fermée à tous les non-résidents, autorise quand-même une entrée et une traversée expresse de son territoire sans sortir de l’autoroute en 24 heures maxi. Ce qui nous permettrait de rejoindre et de visiter la Roumanie qu’on a tellement envie de découvrir… Mais bon, on a un peu trop traîné (sans aucun regret !) depuis notre départ en juillet dernier en Suisse et en Autriche, voire même en Italie et en Allemagne qui n’étaient pas initialement au programme. Et l’hiver va vite nous rattraper et on a peur d’avoir froid en Roumanie dans des régions où on a envie de prendre notre temps comme dans les Carpates. Il se peut même que des routes soit déjà fermées à partir d’octobre. Bon, c’est décidé (pour l’instant !), on descend en Europe du sud par les Balkans. Sauf si on rechange d’avis… et puis la Roumanie pourra toujours se découvrir au printemps prochain.
Bon, il pleut toujours. Impossible de sortir et de profiter de ce joli bivouac à 5 mètres du Danube. Par la fenêtre, toute la journée, on observe d’immenses péniches et quelques bateaux de croisières fluviales naviguant sur le fleuve.
Anaïs et Victor ont repris l’école après une semaine de vacances en compagnie de la famille. De mon côté, je passe la journée sur le blog car je n’ai pas travaillé dessus régulièrement ces derniers jours. Et puis, j’en ai des choses à raconter car je suis bavard ! Audrey passe quelques heures à préparer le programme de l’école des prochaines semaines et à se plonger dans les cours de physique-chimie, ce qui la fait autant bâiller (selon ses dires) que quand elle était sur les bancs du collège et du lycée… Les cafés n’y font rien et elle bâille de plus en plus, jusqu’à temps de refermer ce cours de chimie.
Les enfants entre deux averses sortent dehors jouer un peu sur les berges du Danube, le deuxième fleuve d’Europe par sa longueur. Ils observent un castor grignoter une souche.
Mardi 29 septembre 2020 :
Le temps n’est plus pluvieux aujourd’hui mais le ciel est gris et bas. Dans l’après-midi, nous partons, bien couverts, visiter les alentours.
Nous sommes dans la région classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO de la Vallée de la Wachau. La route que nous avons empruntée jusqu’ici, suit les méandres du Danube qui coule paisiblement entre Melk et Krems. Les vignobles s’étendent des bords de la rivière et débordent sur les collines tandis que les villes et villages datant encore de l’époque médiévale parsèment le paysage. Des terrasses bien conservées couvrent les collines et sont toutes plantées de vignes ou de vergers. Certains des murs en pierres sèches des terrasses ont été conservés en état depuis plus de 1000 ans. Les vignerons de la Wachau produisent toujours en famille de petites quantités de raisins. Là où les vignes sont les plus pentues et le travail le plus ardu, la mécanisation n’offre pas de solutions. Le terrain difficile des sites escarpés nécessite forcément plus de main d’œuvre que la culture en plaine. Cependant, même là où l’utilisation de machine serait possible, les vignerons réalisent toujours l’essentiel du travail à la main, donnant à leur vin une renommée mondiale. Le Grüner Veltliner, le Riesling, le Neuburger et le Chardonnay sont les vins les plus célèbres de la Wachau.
Nous découvrons le village de Dürnstein, un petit village charmant qui a les pieds presque dans le Danube. Nous errons dans les ruelles de cette adorable bourgade médiévale. Au cœur du village, l’Abbaye des Augustins avec son élégant clocher bleu-ciel surplombe les paisibles ruelles et les maisons moyenâgeuses.
Nous quittons les rues du village et partons à l’assaut d’une petite colline qui domine la vallée du Danube. Nous y trouvons les ruines d’un château construit entre 1140 et 1145, la fameuse forteresse où le roi Richard Cœur de Lion fut emprisonné pendant deux ans au retour de sa troisième croisade.
Superbe panorama, malgré le ciel grisâtre, sur les collines recouvertes de vignes et de forêts de la Vallée de Wachau. La vue porte jusqu’à l’Abbaye de Göttweig.
En fin d’après-midi, nous prenons la route toujours en suivant le fleuve surplombé par de nombreux châteaux et des petits villages médiévaux comme Weissenkirhen ou Spitz mais malheureusement, le temps revenu à la pluie n’invite vraiment pas à marquer l’arrêt.
Nous arrivons à Melk où nous attendrons le ciel bleu prévu demain pour sortir de la Tiny.
Mercredi 30 septembre 2020 :
Nous sortons, sous un beau soleil, visiter l’Abbaye de Melk, une perle de l’architecture baroque, le véritable joyau de la Wachau. C’est le lieu le plus connu et le plus visité de cette vallée. Cette abbaye bénédictine compte en effet parmi les édifices baroques les plus remarquables et les plus vastes d’Europe. Elle fait d’ailleurs partie du patrimoine culturel mondial de l’UNESCO tout comme toute la Vallée de Wachau.
Mais encore une fois, on n’est pas gênés par les touristes. Pourtant le site doit s’y prêter vu la taille du parking sur lequel nous sommes garés, qui serait bien capable d’accueillir des centaines de voitures et des dizaines de bus.
Construite sur un piton rocheux au cours du 11ème siècle, l’abbaye domine dignement la vallée ainsi que la ville de Melk qui se trouve à ses pieds. Petite fortification construite par les Romains, elle fut par la suite consolidée et transformée en château sous la dynastie des Babenberg. Peu de temps après, Léopold III en fit cadeau aux moines qui la transformèrent en abbaye fortifiée. Mais en raison des multiples guerres dont elle fut le témoin et dont elle ne ressortit pas indemne, notamment avec les Turcs, l’abbaye fut reconstruite intégralement au début du 18ème siècle dans un style entièrement baroque. Considérée comme l’un des centres spirituels et culturels les plus rayonnants d’Autriche, l’Abbaye de Melk accueille depuis plus de 900 ans des moines bénédictins de tous horizons.
Lorsqu’on pense à une abbaye, une image austère et grisâtre nous vient généralement à l’esprit. Mais à l’Abbaye de Melk, c’est tout autre chose ! Aussitôt entrés dans les murs, on est frappé par la « gaieté » du lieu. Le jaune vif des murs et le travail architectural de la façade nous feraient presque plus penser à un palais plutôt qu’à un lieu de recueillement et de prière. Autrefois rose, les murs ont été repeints dans le même jaune que le Château de Schönbrunn à Vienne. Nous pénétrons dans les bâtiments abbatiaux en passant entre deux imposants bastions, celui du sud fut élevé en 1650 pour servir de fortification, le bastion nord fut édifié dans le but d’équilibrer la perspective. Le porche d’entrée octogonal est surmonté d’une coupole. La façade est ornée par une réplique de la Croix de Melk qui fait partie du trésor de l’abbaye, un petit balcon depuis lequel l’abbé saluait ses hôtes, les armoiries de l’abbaye ainsi que Pierre et Paul, les saints patrons de l’église.
Nous passons sous le Porche Saint Benoit et nous arrivons dans la Cour des prélats, élégante et majestueuse avec sa fontaine du 18ème siècle. Elle est dominée par la coupole de l’église.
L’Escalier des empereurs nous conduit à l’aile d’apparat de l’abbaye et aux Appartements impériaux. Deux grands portraits de l’Impératrice Marie-Thérèse et de son époux, nous rappellent que ce lieu accueillait les souverains autrichiens. Napoléon également résida ici à deux reprises durant ses campagnes. Un musée d’art religieux occupe les premières salles mais contrairement à d’autres que nous avons déjà visités sans qu’ils ne nous passionnent, celui-ci expose juste quelques très belles pièces retraçant l’histoire de l’abbaye dans une parfaite muséographie.
Nous arrivons dans la fastueuse Salle de marbre. Fastueuse en apparence car quand on touche les murs, ce n’est « que » du stuc sur du bois. Dans cette salle d’apparat, étaient donnés des cérémonies somptueuses et des festins impériaux.
Une imposante terrasse nous offre une belle vue sur la façade de l’église qui avec ses tours et sa vaste coupole octogonale domine l’ensemble des bâtiments abbatiaux, mais aussi toute la ville de Melk ainsi que la vallée du Danube. La terrasse semi circulaire relie la Salle de marbre à la Bibliothèque.
La bibliothèque existe depuis la fondation de l’abbaye. Elle renferme près de 100 000 volumes, dont certains comptent parmi les manuscrits les plus précieux du Moyen Âge. Environ 16 000 sont rangés ici dans cette salle sur ces étagères. Une fresque au plafond, des statues en bois doré, un globe terrestre et une sphère céleste décorent cette belle pièce. Une fois encore, je joue au chat et à la souris avec les gardes car les photos sont interdites comme dans beaucoup de monuments et musées que nous visitons.
Nous entrons dans la somptueuse église abbatiale, elle aussi, pas très sobre comme on pourrait s’y attendre dans une abbaye. Les autels latéraux et les tribunes sont impressionnants dans leur style baroque extrêmement chargé. On se croirait presque dans un théâtre avec cette abondance d’or sur les murs, les colonnes, et les plafonds. Le maître-autel, l’orgue avec ses 3280 tuyaux et la haute coupole de 65 mètres sont eux aussi richement ornés. La profusion des ornementations est vraiment fascinante.
Le parc de l’abbaye avec son joli jardin à l’anglaise offre une promenade très agréable. Ses tilleuls de 270 ans, ses bassins, son jardin méditerranéen aux plantes aromatiques et médicinales, et son pavillon baroque sont ravissants.
Jeudi 1er octobre 2020 :
Premier jour du mois rime évidemment avec l’ouverture de notre nouveau défi à réaliser. Après plusieurs échecs successifs, nous espérons bien un défi enfin réalisable… Celui de notre amie Anne sera peut-être plus facile à réaliser : « Identifier la spécialité locale la moins appétissante et la déguster, preuve à l’appui ». Anne espérait certainement qu’on ouvrirait ce défi dans un pays d’Asie ou d’Afrique mais, du moins en Autriche ou en Slovénie, on devrait trouver bien qu’on n’ait pas encore vu de nourriture peu engageante. Mais nous allons chercher.
A midi, nous retournons à l’Abbaye de Melk, pour assister à la messe. Et oui ce n’est pas trop notre habitude mais bon, cela fait aussi partie de la culture ! Les moines masqués arrivent et chantent avec le superbe accompagnement de l’orgue de l’église. Une classe du collège privé intégré à l’abbaye assiste aussi à cette courte cérémonie religieuse d’une quinzaine de minutes.
Nous prenons la route et roulons vers un endroit particulier mais que nous souhaitons visiter, car faisant partie intégrante de l’Histoire de l’Autriche, le Camp de concentration de Mauthausen.
Mauthausen, le camp de la mort
A quelques centaines de mètres du paisible Danube et à quelques kilomètres des façades Renaissance de la mignonne ville de Linz, je vous emmène découvrir le camp de concentration de Mauthausen. Cette visite m’a profondément marqué et je tenais à vous décrire l’atrocité de ce camp. C’est bien l’objectif de ce blog, de partager tout ce qu’on vit dans notre aventure, de témoigner de belles rencontres, de riches cultures, de bons moments, de fabuleux paysages et de magnifiques villes mais également de vous transmettre les faces sombres de notre Histoire.
Qui étaient les déportés ? Combien étaient-ils ?
A Mauthausen, furent déportés environ 200 000 personnes dont 4900 femmes. Environ 120 000 périrent dont la moitié au cours des quatre derniers mois précédant la Libération. Parmi ce terrible chiffre de 200 000 personnes déportées, 9400 étaient Français, les hommes à partir de juin 1942, les femmes à partir de mars 1945 (transférées d’autres camps). Le nombre de nos compatriotes décédés et disparus s’établit à environ 4800.
Ils furent déportés sous le prétexte, réel ou présumé, qu’ils étaient des « ennemis politiques incorrigibles du Reich », des opposants idéologiques, des homosexuels, des Juifs, des criminels de droit commun, des prostituées, des socialistes, des communistes, des anarchistes, des Roms, des Témoins de Jéhovah, des artistes, des scientifiques, des handicapés, des enseignants, des Tziganes, des prêtres, des vagabonds, des professeurs d’université…
La grande majorité des déportés de Mauthausen étaient Polonais, suivis de citoyens soviétiques et de Hongrois. Par ailleurs, des groupes d’Allemands et d’Autrichiens, de Français, d’Italiens, de Yougoslaves et d’Espagnols étaient également détenus à Mauthausen. Au total, l’administration SS des camps enregistrait des hommes, des femmes et des enfants de plus de 40 nations. Des détenus juifs de Hongrie ou de Pologne furent incarcérés en masse à partir de mai 1944. Leurs chances de survie étaient les plus faibles.
C’est la première fois que nous visitons un camp nazi mais ce n’est pas le premier camp de la mort que nous voyons. Nous avions déjà été confrontés au Cambodge à la barbarie humaine lors de la visite du Camp S21 à Phnom Penh, capitale de ce pays où 1,5 à 2 millions de personnes ont été victimes des Khmers rouges entre 1975 et 1979.
Nous hésitons, tout comme au Cambodge il y a quelques mois, à emmener Anaïs et Victor. Nous avons « envie » de leur montrer ce camp, mais sommes partagés avec Audrey, quant aux images qu’ils pourraient voir. Le musée lui-même déconseille certaines images ou vidéos avant l’âge de 14 ans. Nous en parlons avec eux mais ils préfèrent voir de leur propres yeux les témoignages de cette barbarie quand ils seront plus âgés.
Le choix du site de Mauthausen
La présence de carrières de granit Wiener Graben fut déterminante dans le choix de l’emplacement de ce camp de concentration. Au début, le camp n’était composé que de baraques en bois et d’une clôture électrique. Ce n’est que plus tard que les constructions massives en pierre et le mur d’enceinte ne furent édifiés. Les détenus furent donc tout d’abord affectés à la construction du camp, puis seulement après, à partir de la carrière, tenus de produire des matériaux de construction pour les travaux monumentaux et prestigieux de l’Allemagne national-socialiste pour le compte de l’entreprise « Deutsche Erd- und Steinwerke GmbH » appartenant à la SS.
Quelques dates
Le 8 août 1938, les premiers détenus du camp de concentration de Dachau arrivèrent à Mauthausen.
A partir de 1940, avec l’internationalisation de la guerre, des milliers de personnes en provenance des pays occupés furent déportées à Mauthausen et au camp voisin de Gusen situé à 4 kilomètres. La SS commença alors à procéder au meurtre systématique de certains groupes de prisonniers bien définis.
Fin 1942, il y avait 14 000 détenus à Mauthausen-Gusen.
Dès 1943-1944, en raison de la pénurie croissante de main d’œuvre, le travail forcé revêtait une importance cruciale pour l’économie de guerre allemande. Mauthausen était le camp central de l’Autriche et l’un des plus grands camps de travail en Europe occupée. D’autres déportés étaient envoyés dans des Kommandos appelés aussi camps annexes. Près de 60 Kommandos, répartis sur tout le territoire de l’Autriche, étaient rattachés au camp de Mauthausen : Gusen, Ebensee et Melk furent les principaux. Ces camps annexes furent créés pour faire travailler des prisonniers de ce camp de concentration dans l’industrie et l’armement.
Les détenus furent essentiellement affectés à la construction de sites de production souterrains, à l’abri des attaques aériennes. Mais bien entendu, cette construction fut entreprise sans égard pour la santé et la vie des détenus et fit un nombre de victimes particulièrement élevé. Voici les travaux forcés qu’étaient obligés d’accomplir les détenus dans ces Kommandos : construction de chemins de fer, scierie, construction de galeries et de bunkers de défense anti-aérienne, exploitation de minerai de fer, construction d’usines d’armements, briqueterie, centre d’euthanasie, fabrication de cartouches, usine textile, construction de camp d’accueil des prisonniers, construction de galeries souterraines pour usines, institut de recherches, déchargement de navires, production de fusées V, atelier de faux-monnayage, usine automobile, production de moteurs d’avion…
À la fin de l’année 1944, environ 11 000 prisonniers de Gusen travaillaient dans ces usines souterraines et 6500 autres travaillaient à l’extension de ces complexes.
Les prisonniers étaient également loués en tant que main-d’œuvre forcée et étaient exploités dans les exploitations agricoles locales, pour la construction de routes et de tunnels, pour renforcer et réparer les berges du Danube et pour la construction de logements à Gusen.
Le camp principal de Mauthausen exerça ainsi dans la seconde moitié de la guerre la fonction d’une centrale administrative où les détenus étaient répartis dans les camps annexes. Pendant la même période, les détenus malades ou inaptes au travail étaient renvoyés des camps annexes vers Mauthausen pour y mourir.
À partir de la deuxième moitié de 1944, des milliers de détenus principalement issus des camps de concentration de l’est, mais aussi de camps de concentration allemands comme Dachau ou Auschwitz, furent évacués vers Mauthausen. Des camps de travaux forcés destinés aux Juifs hongrois furent fermés et également rapatriés ici. De véritables marches mortelles menèrent les détenus vers Mauthausen.
C’est en 1945, pendant les mois précédant la fin de la guerre, que la surpopulation des camps de Mauthausen-Gusen ainsi que des camps annexes encore existants (Ebensee, Steyr et Gunskirchen) créa des décès en masse. En mars 1945, ils étaient plus de 82 000 détenus dans le système concentrationnaire de Mauthausen dont la grande majorité, 65 000, se trouvaient dans les camps annexes. La faim et les maladies firent augmenter la mortalité de manière brutale.
Le 5 mai 1945, les forces américaines libéraient le camp.
Le 20 juin 1947, la force d’occupation soviétique qui utilisait le site depuis l’été 1945 pour l’hébergement de ses soldats, remit à la République d’Autriche l’ancien camp de concentration de Mauthausen avec l’obligation de construire un mémorial. Au cours de la transformation en mémorial, la plupart des baraques des détenus, les baraques SS encore existantes et les installations de la carrière furent démontées.
Au printemps 1949 le mémorial dénommé Monument public de Mauthausen (« Öffentliches Denkmal Mauthausen ») fut inauguré.
L’arrivée au camp de détention
Nous arrivons devant l’unique portail du camp entouré de miradors qui surveillaient les épais murs d’enceinte en granit. Celle où arrivaient les détenus en groupes importants et par train, souvent dans des wagons de marchandises ou à bestiaux. Ils devaient ensuite monter de la gare jusqu’au camp de concentration en traversant le village en subissant les brimades des gardes. Beaucoup d’entre eux avaient déjà connu une longue histoire de persécution dans un autre camp et d’emprisonnement. Ils arrivaient souvent à Mauthausen déjà à bout de forces ou bien malades.
Une fois franchie la porte de la mort, les détenus suivaient un long processus d’enregistrement accompagné de harcèlements et de tortures. Beaucoup mouraient déjà d’épuisements ou sous les coups des Kapos et des SS. Une fois enregistrés, ils étaient dépouillés de leurs effets personnels et de leurs vêtements. Ils étaient rasés de leurs cheveux et poils puis désinfectés au sous-sol de la blanchisserie.
Ils étaient privés de leur nom et recevaient un numéro de matricule qui était gravé sur un morceau de boîte de conserve. Leur vie quotidienne devenait alors marquée par la pénurie, la violence et la mort. Le dernier numéro matricule, attribué le 3 mai 1945, est le 139 317, mais ce chiffre ne reflète pas le nombre total de détenus, car souvent les nouveaux entrants se voyaient attribuer le matricule d’une personne déjà exterminée.
A peine incarcérés, les détenus devaient se placer devant le Mur des Lamentations, à droite de la porte. Ils étaient livrés ici aux premiers mauvais traitements des SS.
Comme dans les autres camps de concentration, tous les prisonniers n’étaient pas égaux. Leur traitement dépendait largement du système de marquage nazi des prisonniers de même que de leur nationalité et de leur rang au sein du système.
Les kapos
Les SS attribuèrent à un petit nombre de détenus des pouvoirs sur leurs codétenus. Ces « Kapos » étaient chargés de veiller à l’ordre dans le camp. Pour surveiller leurs camarades, ils recevaient des rations supplémentaires et dormaient dans des pièces séparées dans la plupart des baraquements. Ils pouvaient se procurer des vivres supplémentaires, des articles d’hygiène ou du tabac.
Himmler, ministre de l’intérieur du Reich, ordonna même la construction d’une maison close qui fut ouverte en 1942 et qui était destinée à récompenser les kapos et un tout petit nombre de détenus privilégiés. Les malheureuses victimes d’exploitation sexuelle venaient du camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. En compensation de leur travail, il leur avait été promis une remise en liberté et la sortie du camp, une promesse qui n’a jamais été tenue.
La Kommandantur
A la tête du camp SS, il y avait le Kommandant qui donnait les ordres aux officiers et sous-officiers SS ainsi qu’aux gardes. Il n’y a eu que deux commandants de camp à Mauthausen durant toute la guerre. Le deuxième fut touché par une balle alors qu’il prenait la fuite devant l’arrivée des forces alliées et fut ramené au camp de Gusen. Les gradés habitaient avec leur famille à proximité du camp. Il y avait donc de multiples contacts entre la population locale et les SS : relations économiques, mariages, fêtes communes. Le bâtiment fut construit en pierres en 1942-1943. Ici étaient installées les chambres des commandants du camp ainsi que différents services de l’état-major de la Kommandantur.
La barbarie attribuée aux SS est d’autant plus atroce que dans ces mêmes lieux, les nazis prenaient du bon temps sur le terrain de foot spécialement aménagé à côté du camp sanitaire. Il tenait lieu de distraction aux SS qui disputaient même des matchs contre des équipes de la région. Preuve que la population locale était témoin des décès massifs du camp sanitaire voisin. Comme dans d’autres camps, Mauthausen possédait un orchestre composé de musiciens juifs tenus par les SS de jouer régulièrement des marches militaires ainsi que de la musique populaire ou sérieuse en diverses occasions comme lors des départs des déportés au travail, des retours des Kommandos le soir, lors de visites officielles, lors de l’exécution d’un détenu ou pour la distraction des gardiens et officiers.
Surveillance du camp, secteur SS
La visite commence par le Camp sanitaire, le Camp russe. A l’origine en 1941, il fut construit comme camp pour accueillir les prisonniers de guerre soviétiques. Il se composait de plusieurs baraques en bois, une dizaine, ainsi que d’une cuisine, d’une blanchisserie, le tout entouré par une clôture à haute tension. Quand le camp fut achevé en 1943, la plupart des prisonniers de guerre étaient déjà morts. Le camp servit alors à héberger les détenus malades qui n’étaient plus aptes au travail. Sans suffisamment de nourriture et de soins, ils étaient abandonnés à la mort.
Autrefois, ici se trouvaient des baraques qui servaient aux SS de bureaux, d’ateliers et d’hébergement et de lieu de loisirs pour les équipes.
La cour des garages à l’extérieur du camp servait à la SS pour de nombreuses opérations relatives au fonctionnement du camp, pour les cérémonies des SS, ainsi que pour la concentration des détenus lors des actions d’épouillage.
La place de rassemblement
Nous arrivons dans une cour vide de « visiteurs » renforçant peut-être encore plus notre sensation de malaise. Cette cour était la Place d’appel ou Place de rassemblement. L’appel et le comptage se faisait deux à trois fois par jour. A chaque fois, les SS recensaient les nouveaux arrivants et rayaient les morts. La procédure pouvait durer des heures et se prolonger la nuit, quel que soit le temps, qu’il neige, qu’il pleuve ou que le soleil brille.
Les détenus devaient aussi aplanir la place du rassemblement avec un rouleau compresseur.
Le Camp I
Les baraques étaient numérotées (initialement de 1 à 20 avant l’agrandissement du camp) et servaient de logements pour les déportés. Elles étaient quasiment toutes réservées aux déportés qui travaillaient en permanence dans le camp. Certaines baraques servaient de blanchisserie et de cuisine, de prison, de cantine, d’infirmerie, de salle d’eau.
Conçues initialement pour 300 personnes, elles accueillaient dans la seconde moitié de la guerre, 2000 détenus dans des conditions sanitaires exécrables. Elles étaient divisées en deux pièces, elles-mêmes divisées en une salle pour dormir et une salle de séjour, seulement réservées aux Kapos. Il n’y avait des paillasses et des draps que pour les Kapos. Les détenus devaient se partager à deux une place pour dormir sur des lits superposés en bois. A la fin, ils se partageaient à quatre le même lit. Ils étaient réveillés à coups de cloches à 4h45 avant que se répètent les mêmes faits et gestes quotidiens dont la queue aux toilettes et aux salles d’eau.
Les surveillants du camp et les SS recevaient une bonne nourriture. Mais la masse des détenus était sous-alimentée. La nourriture parfois avariée était très pauvre en apport calorique. Dans les mois précédant la Libération, le manque de nourriture entraina un nombre massif de décès qui prit des proportions dramatiques. Les SS laissaient sciemment les détenus avoir faim pour affaiblir leur vitalité et renforcer la lutte pour la vie au sein des prisonniers. Ces derniers organisaient un système de troc, des vêtements contre des aliments. Ils cherchaient là où ils travaillaient tout ce qui pouvait se manger : racines, herbes, bourgeons, glands, rats, chats, chiens, déchets, charbons.
Le Bloc des Juifs internait les Juifs de 1941 à 1944. Ce bloc était isolé du reste du camp par un autre fil barbelé. Ils étaient isolés des autres détenus et se trouvaient tout en bas de la hiérarchie du camp. Ils recevaient encore moins à manger, des vêtements encore moins bien et en hiver, ils n’avaient aucune protection contre le froid. Ils étaient privés de soins médicaux. Ils étaient assignés aux travaux pénibles. La plupart mouraient quelques jours ou semaines après leur arrivée. D’autres furent assassinés délibérément ou jetés dans les clôtures électriques. Cette Baraque 5 n’existe plus aujourd’hui que par ses fondations et cette stèle.
Le campement
Un camp de toiles était composé de 14 tentes militaires avec une surface couverte de 5200 m² à l’extérieur du camp. Il était destiné à héberger de manière provisoire et précaire les grands groupes de nouveaux arrivants. Ni sommier, ni paillasse, 2000 personnes dans une tente. Avant la Libération, des milliers de Juifs hongrois y furent parqués dans des conditions catastrophiques.
Les baraques 16 à 19, le Camp de quarantaine et le Bloc 20 de mort
La Cour de quarantaine était séparée du reste du camp par un mur de pierre. Les baraques 16 à 19 s’y trouvaient et servaient à l’isolement de détenus. Tous les nouveaux arrivants devaient y séjourner entre deux et quatre semaines dans le but d’éviter la propagation des maladies contagieuses. C’est pendant ce moment que les détenus s’habituaient à la terreur qui régnait dans le camp et apprenaient les règles de comportement importantes pour pouvoir survivre. La quarantaine servait aussi à trier les détenus. Les plus faibles et les malades étaient mis à l’écart.
A partir de début 1945, ces baraques n’étaient plus utilisées pour la mise en quarantaine mais pour accueillir 3000 femmes et enfants du camp de Ravensbrück. A peu d’exceptions près, il n’y avait eu dans le camp principal de Mauthausen que des hommes détenus.
Après la guerre, l’emplacement des baraques fut aménagé en cimetières où reposent les cadavres exhumés des fosses communes. Plus de 14 000 victimes sont inhumées dans la partie du camp II et dans la zone des baraques des détenus 16 à 19.
La baraque 20 accueillait tout d’abord les malades. Mais cet endroit prit le nom de Bloc 20 de la mort. A partir de 1944, ce bloc accueillait les prisonniers de guerre soviétiques. Considérés comme ennemis idéologiques pour les SS, ils étaient internés dans des conditions atroces.
Comme leur situation était sans perspective, quelques 500 détenus s’évadèrent de ce bloc le 2 février 1945 en s’attaquant aux deux miradors et en court circuitant la clôture avec des vêtements mouillés. Une partie des détenus trouva la mort sous le feu des mitraillettes des équipes de surveillance. Parmi les 400 qui s’évadèrent, ils furent pris en chasse par les SS mais aussi par la population locale comme de dangereux criminels et pour la plupart tués sur le champ. Seuls 11 détenus survécurent.
Dans une partie de ce camp II, à partir de 1944, une partie de prisonniers réussit à monter une organisation secrète avec pour objectif d’établir un réseau d’approvisionnement en vivres pour les détenus nécessiteux. Dans les semaines qui précédèrent la Libération, le groupe mit également en sécurité des preuves et tenta de se préparer à un affrontement armé contre les SS.
De l’autre côté du mur, à l’extérieur du camp, l’endroit devint durant les derniers mois de la guerre un lieu de décès massifs, d’exterminations systématiques, mais aussi de résistance. Plus de 200 décès par jour y étaient recensés à la fin.
Le Camp III
Construit en 1944, derrière les épais murs en granit, il fut donné une extension du camp de détention qui était destinée à recevoir les nouveaux transports de détenus. A partir d’avril 1945, les détenus inaptes au travail et destinés à y être assassinés y furent transférés.
L’infirmerie et la prison
L’infirmerie, ou « camp hospitalier » comme l’appelaient les autorités allemandes, était le lieu où des détenus triés sur le volet bénéficiaient de soins médicaux. Les SS voulaient préserver la capacité de travail de certains détenus qui leurs paraissaient importants, comme les Kapos et les travailleurs spécialisés. Malgré la présence d’environ 100 médecins eux-mêmes prisonniers, ces derniers n’avaient accès à aucun médicament et ne pouvaient effectuer que les actes de premiers secours. Certains prisonniers qui avaient encore des capacités physiques virent leurs conditions de vie s’améliorer tandis que les malades et inaptes au travail furent abandonnés à la mort. Par conséquent, le lieu était en fait un mouroir dont peu de prisonniers ressortaient vivants. Les médecins SS utilisaient, s’ils n’appartenaient pas aux groupes de détenus privilégiés, des prisonniers pour des expériences médicales.
La prison du camp, le « bunker » fut achevée en 1940 et était composée de 33 cellules. De manière arbitraire, le Kommandant donnait des peines d’emprisonnement, associées à des privations de nourriture et de violence à des détenus politiques du camp. Des interrogatoires étaient menés par les SS et la Gestapo, toujours assortis de torture et de mauvais traitements.
La solution finale
C’est au sous-sol de l’infirmerie et de la prison que la visite devient encore plus glaçante. Nous pénétrons dans les salles dans lesquelles d’innombrables prisonniers du camp furent assassinés et où leurs cadavres furent éliminés et réduits à l’état de cendres. Le premier four crématoire fut construit à Mauthausen en mai 1940. Les personnes assassinées furent d’abord incinérées dans les crématoriums publics des villes voisines de Steyr et Linz. C’est ici que subsistent deux des trois fours crématoires et la chambre à gaz, mais aussi des salles d’exécution. Les salles sont garnies de plaques commémoratives des descendants des défunts. Les fours crématoires du camp permettaient à la SS d’éliminer les nombreux cadavres et d’effacer les traces des violences commises et de leurs crimes. Un kommando de détenus spécifiques était assigné à l’incinération des cadavres, dans ce sous-sol, à l’écart du reste du camp. Les cadavres, avant la crémation étaient examinés pour leur extraire leurs dents en or.
A partir de 1942, plus de 5000 déportés furent assassinés dans les chambres à gaz de Mauthausen et de Gusen par le gaz toxique Zyklon B. L’Autriche compta aussi un centre d’extermination de masse, le Château d’Hartheim, dans lequel périrent aussi 5000 déportés de Mauthausen, rejoignant ainsi les 30 000 morts gazés envoyés directement à Hartheim. Tous les malades considérés comme des « bouches inutiles » étaient envoyés dans la chambre à gaz ou dans un camion à gaz qui faisait la navette entre Mauthausen et Gusen, spécialement équipé pour tuer. Le pot d’échappement était branché à l’intérieur du véhicule pour asphyxier les occupants.
A partir de 1941, les SS installèrent des dispositifs d’extermination massive : une salle d’exécution et une potence.
Mais la plupart des détenus moururent des suites de l’exploitation impitoyable de la main d’œuvre, de mauvais traitements ainsi que de la sous-alimentation, du manque de vêtements et de l’absence de prise en charge médicale. Le poids moyen des prisonniers était de 40 kg. L’espérance de vie des prisonniers passa de six mois entre 1940 et 1942, à moins de trois au début de 1945.
Des milliers de personnes furent aussi exécutées dans le camp par pendaison ou fusillades, bien que la SS ait avant la Libération du camp, éliminé presque toutes les traces sur les lieux où eurent lieu les exécutions. De nombreux prisonniers périrent aux confins du camp en étant poussés dans la clôture électrifiée avec du 380 volts avant d’être abattus, parfois après quelques heures de brûlure et de souffrance. Dans les registres de décès, les SS prétendant que les détenus voulaient s’échapper qualifiaient ces assassinats de suicide par électrocution.
Dans la classification nazie, Mauthausen et Gusen étaient les seuls camps à être classés comme « Camps de niveau III », la catégorie la plus dure, et destinés aux « irrécupérables ». Ce qui signifiait que les conditions de détention étaient les plus dures de l’ensemble du système concentrationnaire national-socialiste. La mortalité y était alors l’une des plus élevées parmi les camps de concentration du Reich allemand. Les atrocités commises étaient communes aux autres camps de la mort nazis (privations, tortures, assassinats, expérimentation médicales, exécutions…) mais quelques-unes étaient spécifiques à ce camp. Après la guerre, l’un des survivants, Antoni Gościński rapporta 62 méthodes d’exécution des prisonniers. Les SS pouvaient aussi rassembler les prisonniers dans la cour, les arroser d’eau glaciale par des températures extérieures de -15°C. Les déportés devaient rester immobiles en plein air nus à l’extérieur par un temps glacial, jusqu’à ce que la mort les libère.
La carrière, l’escalier de la mort et le mur des parachutistes
La carrière de granit qui employait des déportés valides avait pour but de les exterminer par le travail. Ceux qui étaient affectés à la carrière étaient contraints, dans une chaleur étouffante ou par des températures de -30 °C, de monter les 186 marches de l’escalier reliant la carrière au camp avec des blocs de pierre de 50 kg sur le dos. Les SS s’amusaient à faire trébucher l’un des détenus qui lâchait la pierre, entraînant et écrasant les autres détenus dans la chute. Des milliers de détenus, en particuliers espagnols, périrent dans cet Escalier de la Mort. A l’époque, les marches étaient de simples morceaux de granit de hauteur irrégulière avec des marches de parfois 50 cm de hauteur.
Une autre barbarie consistait à précipiter les détenus du haut de la falaise abrupte, surtout les déportés juifs. Les SS l’avaient cyniquement baptisé le Mur des parachutistes. Sous la menace d’une arme, chaque prisonnier avait le choix entre être abattu et pousser le prisonnier devant lui, parfois par groupe de 100 personnes. Ils atterrissaient sous les yeux de ceux qui travaillaient dans la carrière.
L’activité de la carrière cessa progressivement à partir de 1943.
Armement Messerschmitt
Non loin de la carrière, cet endroit servait d’ateliers de production. A partir de 1944, Messerschmitt se servit ici de la main d’œuvre des détenus pour la production de pièces d’avions.
Espace de mémoire
Le sous-sol du bâtiment de l’infirmerie est devenu depuis les années 60 un très instructif musée. En 2013, des expositions ont été nouvellement créées. Elles retracent l’histoire du camp de concentration et de ses camps annexes de 1938 à 1945, de l’arrivée des premiers prisonniers à celle des américains libérateurs. Des objets sont exposés, des photographies (certaines atroces), des registres tenus par les SS des détenus et des morts.
Le Parc des monuments prend place devant la porte du camp de détention à l’emplacement des anciennes baraques de l’administration SS. Chaque pays a construit un mémorial ou déposé des plaques pour rendre hommage à ses morts. À l’automne 1949, la France dévoila le premier monument national. Par la suite, de nombreuses autres nations et groupes de victimes créèrent d’autres monuments et stèles commémoratives en leur mémoire. Certains États n’existent plus comme la RDA ou bien la Yougoslavie. D’autres ont été créés depuis comme l’Ukraine et ont voulu s’y voir représenté à posteriori.
Au début des années 1960, un cimetière fut aménagé à l’intérieur du mémorial du camp de concentration de Mauthausen, là où se trouvaient des baraques du Camp de quarantaine. Quelques 45 000 détenus moururent dans les derniers mois. La capacité des fours crématoires n’était pas suffisante pour incinérer tous les morts. Ils furent donc enterrés dans des fosses communes. Les libérateurs américains aménagèrent des cimetières. De nombreux détenus moururent de maladies et d’épuisement juste après la Libération. On les inhuma aussi dans ces cimetières.
Dans les décennies qui suivirent, les dépouilles des victimes du camp furent exhumées et ensuite transférées dans des cimetières américains de Mauthausen et Gusen ou dans leurs pays d’origine.
L’Espace des noms est un nouvel espace commémoratif consacré aux morts du camp de concentration de Mauthausen-Gusen. Il est installé au sous-sol de l’infirmerie, juste avant d’entrer dans les terribles salles du four crématoire et de la chambre à gaz. Les noms de 81 000 défunts y sont inscrits sur des plaques de verre ainsi que sur des livres commémoratifs. Cet endroit met en évidence l’ampleur du massacre.
A l’extérieur de la clôture barbelée, une stèle commémorative et une croix marquent l’endroit où se trouvait le dépôt de cendres des dépouilles des détenus incinérés dans les fours crématoires. Des photos de l’époque de la Libération du camp montrent un endroit encore fumant.
Quant à moi, je n’oublierai jamais ce lieu de génocide, ce camp de concentration de Mauthausen, où souffrirent 200 000 personnes et où périrent 120 000 d’entre eux. Et comment imaginer que 1 100 000 sont morts à Auschwitz-Birkenau, qu’environ 1 million sont morts à Treblinka, qu’environ 500 000 sont morts à Belzec, que 200 000 sont morts à Sobibór, qu’environ 150 000 sont morts à Chelmno… Je rappelle que les historiens avancent que la Seconde Guerre mondiale a un bilan humain d’au moins 60 millions de morts civils et militaires dont 6 millions de Juifs sur les 8 millions qui vivaient en Europe. Comme dans beaucoup de bilans humains de guerres, ces terrifiants chiffres ne prennent pas en compte ceux morts après la fin de la guerre des suites de blessures, de privations ou de mauvais traitements durant le conflit.
Je ne regrette pas de ne pas être venu avec les enfants. J’ai aussi écrit ces quelques lignes pour qu’ils puissent le lire quand ils seront plus grands. J’espère aussi qu’ils liront le poignant ouvrage que j’ai acheté : « Mauthausen, crimes impunis », écrit par Paul Le Caër, un breton arrêté à l’âge de 19 ans en plein cours d’anglais, puis déporté à Mauthausen. Il doit sa survie au traitement « privilégié » qu’il a reçu suite à avoir pu être affecté dans une infirmerie d’un de ces camps annexes.
Pour ceux qui désirent approfondir le sujet, je vous invite à lire quelques témoignages bouleversants sur le site de l’Amicale de Mauthausen.
Voilà pour cette douloureuse visite dont je tenais à vous décrire tout ce qu’on avait pu ressentir. Aussi pour ne pas oublier cette tragédie. Mais malheureusement, l’Histoire se répète et ces barbaries perdurent encore aujourd’hui. Le centre de détention de la base militaire américaine de Guantánamo a ainsi été qualifié de « camp de concentration ». La Libye, quant à elle, interne les réfugiés et les migrants vers l’Europe. En Corée du nord, les kwanliso sont des centres de rétention pour travaux forcés. Entre 150 000 et 200 000 condamnés pour des raisons politiques y sont envoyés sans jugement et sont accompagnés par les membres de leur famille sur trois générations. En Chine, depuis 2014, des musulmans Ouïghours et Kazakhs sont internés dans la province du Xinjiang de façon préventive et sans procès. En 2018, le nombre de détenus est estimé à un million par Amnesty International et par l’ONU. De 2017 à 2020, plus de 260 camps fortifiés y ont été construits, protégés par des murs de béton épais et des miradors. De nombreuses usines sont rattachées à des bâtiments d’internement existants, ce qui soutient la thèse du travail forcé dans les camps. Les détenus sont classés en trois catégories : d’abord, des personnes illettrées dont le seul crime est de ne pas parler chinois. La seconde catégorie est composée des musulmans pratiquants, arrêtés pour possession de documents religieux ou considérés comme pro-indépendance, par exemple des livres sur la culture ouïghoure. Le dernier groupe est composé des personnes ayant un proche à l’étranger ou ayant eux-mêmes vécu à l’étranger.
Nous quittons le site et trouvons un bivouac au bord du Danube pour terminer cette journée dont nous nous souviendrons.