Jeudi 21 janvier 2021 :

Notre voyage en terre inconnue se poursuit sur l’île de Mfangano au Kenya au milieu du Lac Victoria, le plus grand lac tropical du monde. Déjà une semaine que nous sommes accueillis dans la famille de Samuel et ses deux épouses Méroline et Grace. Du coup, nous commençons à vraiment prendre nos marques avec eux trois et quelques-uns de leurs 11 enfants encore présents dans la famille, de même qu’avec les autres volontaires venus également comme nous vivre une expérience hors du commun de Workaway dans cette communauté Luo, un Sino américain, un Français et une famille d’Allemands.

Nous ne nous étions pas engagés sur la durée de notre séjour en arrivant ici, ne sachant pas si nous y trouverions notre compte, mais pour ceux qui ont lu notre article précédent, vous avez pu vous rendre compte de l’incroyable accueil et générosité de cette famille qui nous reçoit. Du coup, nous pensons bien que nous allons rester jusqu’à l’arrivée de la Tiny au port de Mombasa dans une quinzaine de jours si tout va bien. Elle continue d’avancer, presque conformément aux prévisions. Le bateau Jolly Perla a environ une trentaine d’heures de retard sur le programme. Tant mieux. Elle navigue à la vitesse de 15 nœuds en Mer Méditerranée en ce moment entre le port de Naples en Italie et celui d’Alexandrie en Égypte.

Dès 7 heures ce matin, alors que les enfants terminent leur nuit, nous partons avec Audrey travailler sur le chantier du centre médical qui avance bien. Car oui, nous sommes venus ici en tant que volontaires dans une mission de Workaway. En échange d’une participation modique de 5€ par jour et par personne pour le logement et les repas, nous nous sommes engagés à donner de notre temps un peu chaque jour. Le remplissage des cailloux continue mais nous en sommes quasiment à la fin, du coup, on se contente de cailloux de plus petite taille pour remplir les interstices entre les grosses pierres précédemment posées. Pendant ce temps, des femmes apportent des sacs de terre qu’il nous faudra étaler par la suite sur les 60 m² de la superficie du plancher. Le travail est physique d’autant plus que la chaleur de fin de matinée n’arrange rien. Les 30°C ne sont pas loin, le soleil est torride sous l’équateur. Nous nous hydratons régulièrement avec du thé et de l’eau.

De leur côté, les charpentiers avancent également bien, toujours hauts perchés en équilibre précaire sur les minces morceaux de bois. Ils travaillent avec juste leur scie égoïne, un marteau pour enfoncer les pointes et une machette pour ajuster les bois. Chapeau. Le tout avec deux échelles qu’on a vu fabriquer quand ils sont arrivés sur le chantier.

En fin de matinée, comme d’habitude quand il n’y a pas trop de vagues, nous partons nous laver dans le Lac Victoria. La pudeur des premiers jours est bien loin derrière nous et dès que nous arrivons sur la plage de sable noir et brûlant, nous nous mettons tout nus et sautons dans l’eau avec mon petit Victor. Il joue un bon moment avec un petit Kenyan de son âge. Anaïs et Audrey en font de même sur la plage voisine réservée aux femmes.

Retour vers 13 heures pour manger chez Méroline. Les plats sont toujours identiques d’un repas à l’autre mais il y en a tellement posés sur la table que cela reste assez varié. Nous avons du poisson à presque chaque repas. Rarement de la viande. Mais aussi de l’Ugali et ça, on en est un peu moins fan. L’Ugali est l’aliment de base traditionnel de l’Afrique de l’Est. C’est de la farine de maïs cuite dans l’eau. Un peu fade et très bourratif. Mais trempé dans le jus du poisson, ça passe. Nous apprécions toujours autant les plats de pommes de terre, de bananes plantains, de légumes verts similaires à des épinards, de riz, d’une sorte de tofu (oui Pascale, je me suis mis au tofu !), d’omelette aux tomates… Méroline et Grace insistent pour qu’on termine tous les plats. En plus de manger deux fois, chez chacune des épouses de Samuel, on doit se resservir à plusieurs reprises pour faire honneur à nos cuisinières. Heureusement qu’il ne s’est marié que deux fois car certains hommes ont jusqu’à 5 femmes ici. Méroline et Grace passent une grande partie de leur journée à préparer à manger pour environ 10 à 15 couverts par repas.

L’après-midi est consacré à la sieste, mais aussi à l’école. Anaïs et Victor ont bien repris leur rythme et travaillent sérieusement malgré le manque de confort pour étudier. Ma grande fille a trouvé son petit coin, assise par terre en se servant du canapé de notre salon en guise de bureau. Mon petit garçon est dehors sous un arbre assis sur un banc ou bien dans le hamac avec sa Mamantresse. Il y a un peu plus d’air car il fait vraiment chaud sous les tôles de notre chambre.

De mon côté, je profite de l’électricité qui est revenue pour me mettre à jour sur le blog. Nous sommes de nouveau restés 24 heures sans courant. Cela n’est pas dérangeant et on s’en sort bien pour au moins recharger nos téléphones avec nos batteries externes. Aussi, dès que le courant revient, c’est la fête dans la famille. La musique africaine résonne au volume maximum. Tous les appareils électroniques se mettent en charge.

Nous en profitons pour aider la famille dès qu’on peut, entre porter des bassines de vaisselle jusqu’au lac ou aller remplir des bidons d’eau également au lac. Ni puits, ni sources n’alimentent les maisons ici. L’unique source en eau est celle du lac. Il est à une centaine de mètres. Nous aidons aussi nos deux cuisinières à préparer à manger avant de partager tous ensemble le repas du jour, famille, volontaires et ouvriers du chantier.

Nous partons faire deux petites courses au petit hameau voisin de Kitawi. Il n’y a pas grand-chose. Tout s’y vend à l’unité. Pas de produits frais, mise à part du poisson. Que des fruits, légumes et quelques produits d’entretien. Les boutiques en tôles sont minuscules et curieusement certaines sont sécurisées derrière des grilles de fer. On n’entre pas dedans. Mais c’est pourtant là que Méroline et Grace font l’essentiel de leurs courses.

En marchant sur la piste sur laquelle ne circulent pas de voitures mais seulement des motos et beaucoup de vaches, nous croisons les enfants en tenues d’écolier revenant ou allant à l’école. Nous n’avons pas encore très bien compris le rythme qu’ils ont. En tous les cas, il n’a pas l’air régulier… Ils y vont même le samedi et le dimanche pour faire leurs devoirs. C’est à priori pour rattraper le retard qu’ils ont pris lorsque les écoles sont restées fermées l’an dernier durant 7 mois en raison du Covid-19.

Les enfants et adolescents de la maison sont très travailleurs et bossent durement le soir éclairés par la lueur d’une lampe à led. Malheureusement, on a eu écho que les enfants sont parfois battus à l’école par leurs professeurs quand les résultats ne sont pas là. L’une des filles des volontaires allemands en a été témoin (sans être touchée elle-même) alors qu’elle participait à une matinée de classe dans une des nombreuses écoles du village. Régulièrement, la petite Baby revient triste de l’école car tout le monde s’est fait taper par un des professeurs. Sur l’île il y a 36 écoles primaires (dont 6 privées) et 11 écoles secondaires (dont 3 privées). Samuel, notre hôte, est d’ailleurs professeur à l’école primaire voisine de Wakula. Il nous explique que toutes les écoles ont 8 classes, quelle que soit la densité de la population. Du coup, dans certaines écoles, il y a 150 élèves, dans d’autres, il y en a le double. Nous espérons au cours de notre séjour pouvoir aller faire un tour dans une de ces écoles. Les ados de la famille avec qui nous échangeons nous racontent combien il est difficile de travailler dans les écoles où ils sont élèves sur le continent dans le secondaire. Ils y sont bien entendu internes et partent pour souvent plusieurs semaines étudier dans des conditions très difficiles. Il se lèvent le matin à 4h30 et étudient jusqu’à 22h30 heures.

En fin de journée, Samuel me propose de l’accompagner à Sena, la plus grande ville de l’île. Il reste en effet de la place sur la moto taxi… A Sena, s’alignent de nombreuses boutiques et magasins. Il doit y acheter des médicaments. Mais pour cela, il doit passer par trois pharmacies pour trouver ce qu’il cherche. Les officines ne font que 1 ou 2 m² au sol et les étagères sont peu fournies. Même dans notre Tiny, nous avons plus de stock qu’elles en ont. Les médicaments sont vendus à l’unité, juste ce qu’il faut pour le traitement prescrit. Au moins, il n’y a pas de gaspillage comme chez nous.

Sur Mfangano vivent environ 60 000 personnes réparties équitablement sur la route circulaire de l’île. Environ 9000 au nord, autant au sud, autant à l’est, autant à l’ouest. Dans le centre difficile d’accès vivent simplement 4000 habitants. La population globale inclut également celles des îles sœurs de Mfangano : Takawiri (5000 habitants), Remba (7000 habitants), et Ringiti (6000 habitants).

Encore une belle journée passée aujourd’hui qui se termine traditionnellement autour d’un premier repas chez Grace suivi d’un deuxième chez Méroline. Ce soir, nous mangeons avec également Bernard, le responsable du chantier qui nous dit être très satisfait de notre travail ! Le remblaiement avec les pierres est terminé…

Vendredi 22 janvier 2021 :

De nouveau, avant que le soleil ne chauffe de trop, nous nous mettons au travail. Nous sommes les seuls volontaires à l’œuvre en ce moment. La journée commence par arroser le béton des fondations pour qu’il sèche. Oui, on cherche encore pourquoi il faut arroser deux fois par jour de 250 litres d’eau ce béton qui est toujours aussi friable alors qu’il est coulé depuis une dizaine de jours. Mais on obéit aux consignes. Nous sommes aidés par Milka, à qui revient d’habitude ce travail. Du coup, elle nous invite cet après-midi à aller prendre le thé chez elle. C’est parti pour de nombreux allers et retours au lac pour aller remplir les bidons jaunes. Nous sommes suffisamment chargés d’un dans chaque main alors que Milka en prend un troisième sur sa tête !

Puis le travail du jour consiste à étaler au râteau et à la pelle une dizaine de centimètres de terre assez fine pour finir de remblayer entre les pierres. N’imaginez pas un camion qui soit venu livrer ces mètres cubes de remblai. Ce sont les femmes du village qui apportent sur leurs têtes un à un des sacs de plus de 20 kilos sur quelques centaines de mètres de distance.

Puis, nous aidons aussi les charpentiers en approvisionnant le chantier en matériaux. Ce sont les derniers morceaux de bois et les premières tôles de couverture.

Il n’est pas tard quand nous arrêtons de travailler. C’est l’heure du petit déjeuner pris avec Méroline. Ce matin, ce ne sont pas les mêmes beignets que d’habitude. Les mandasis sont remplacés par des KDF.

L’après-midi, je pars avec Victor sur la moto taxi de Godwin, l’un des jeunes adultes de la maison, qui nous fait beaucoup pensé à Driss de l’Oasis de Fint, pour ceux qui ont la chance de le connaître. Il nous emmène dans un bar où je devrais pouvoir recharger tous nos appareils électroniques car les batteries sont toutes à plat. Puis il me faut également mettre à jour le blog car on commence à recevoir des messages pour savoir comment ça se fait que nous sommes restés aussi longtemps sans donner de nos nouvelles ! Je vous ai mal habitué à vous écrire tous les 8 jours…

Le retour sur la même moto de Godwin se fait à 4 ! Difficile de respecter la distanciation sociale au Kenya…

Les travaux ont bien avancé aujourd’hui et la couverture en tôles a été posée par les deux ouvriers. Nous sommes contents de voir le chantier qui se passe bien, malgré le manque d’organisation.

Anaïs a passé un long moment à aider Grace. Je lui laisse mon clavier… « On est descendues au jardin, où il y a une petite plage qui du coup est privée puisqu’elle n’est accessible que par là. On a commencé par faire la vaisselle. Ce qui est très drôle, c’est que Grace pense que comme je suis Française, je ne sais ni faire la vaisselle (puisque j’ai un lave-vaisselle à la maison) ni laver le linge (puisque j’ai une machine à laver). Je lui ai montré le contraire en l’aidant, c’était chouette. Elle savonnait la vaisselle, je la lavais et l’empilais dans la bassine. Puis on a lavé le linge, en s’organisant pareil. Il y avait de grands draps, c’était un peu lourd à tremper dans le lac, et encore, je les lavais un par un, alors que Grace, elle a tout ramené d’un coup, avec la vaisselle empilée dessus, et sur sa tête, sans tenir avec les mains ! (Ça aussi ça la fait beaucoup rire, que je ne sache pas marcher avec une bassine sur la tête. Baby dit que c’est parce qu’on a un cou trop petit, mais je pense surtout que c’est une question d’entrainement.) Grace s’est lavée puis on est remontées. »

Puis Anaïs et Audrey vont passer du temps avec Milka qu’on avait aidée ce matin sur le chantier. Elles sont accueillies dans sa petite maison. Aux murs, sont accrochés des tissus, de grandes affiches parlant de Dieu, de l’amour et du mariage. Milka va dehors pour faire un feu de bois afin de faire bouillir l’eau du thé. Elle les laisse en compagnie de sa maman et de sa grande sœur, venue passer l’après-midi. Sa maman est pleine d’énergie et de sourires. La radio fonctionne à fond ; elles ont du mal à s’entendre. Keeze explique qu’elle a fait des études de cosmétique à Nairobi, et qu’elle aimerait bien y vivre, car à la ville, elle peut sortir, danser, voir plein de gens. Mais son mari et elle sont installés sur l’île, comme sa sœur. Elles demandent à Audrey pourquoi elle n’a que deux enfants. Ici, quand tu n’as pas beaucoup d’enfants, tu en as au moins quatre. Puis elles installent une petite table et des chaises en plastique entre le foyer où se prépare le thé, les poules et les chèvres. Les enfants jouent autour d’elles. Une petite fille ne se lasse pas de caresser les cheveux d’Anaïs, à la texture si différente de ses propres cheveux. Milka envoie sa petite fille leur acheter des mandasis, ces gros beignets qui accompagnent ici le thé. En fin d’après-midi, de jeunes adolescentes sortant de l’école viennent s’installer avec elles pour partager un moment. Puis Milka explique qu’elle doit retourner remplir 25 bidons de 10 litres au lac pour les amener à la clinique. Audrey retourne l’aider.

Samedi 23 janvier 2021 :

Régulièrement, Samuel nous dit de travailler quand on le souhaite. Donc du coup, nous décidons de ne pas travailler ce week-end. Comme d’ailleurs les ouvriers qui ne sont pas sur le chantier aujourd’hui. En même temps, avec les très longues journées qu’ils ont faites cette semaine, ils ont bien mérité leur week-end. D’autant plus que nous devons attendre que les femmes apportent des sacs de terre pour les étaler. On verra cela lundi.

Ce matin, Méroline descend avec 30 kilos de linge au lac. Je ne sais pas comment elle fait pour porter tout ce poids sur sa tête. Je l’aide à monter les bassines sur sa tête. Elles pèsent très lourd et encore le linge n’est pas mouillé.

De son côté, Grace est descendue au marché acheter pour 600 shillings une belle quantité de petits poissons qu’elle fait sécher sur un filet étendu au soleil. Plusieurs fois dans la journée, elle retourne les poissons et chasse les poules qui viennent se servir. Dans l’après-midi, avec l’aide d’Audrey, elle passe deux bonnes heures à trier les poissons séchés. Elle devra renouveler l’opération de séchage demain. Une fois séchés, ils pourront être conservés au sec pendant trois mois. Elle les vendra pour 800 shillings. Elle aura donc fait un gain de 200 shillings soit 1,50€ pour plusieurs heures de travail. Elle semble satisfaite de ce profit. Les petits poissons ont une plus grande valeur marchande car ils nécessitent moins d’huile pour les faire frire et l’huile coûte cher.

Cette famille qui, nous pensons, vit avec un niveau de vie correct grâce au Workaway (rien que notre présence leur rapporte 20€ par jour), fait très attention à ses dépenses. Les achats se font au quotidien. Tous les matins, Grace descend au marché acheter 200 ml d’huile et la farine nécessaire aux préparations culinaires de la journée. Elles ne vont pas non plus au marché hebdomadaire à 5 km où nous irons demain pour ne pas être tentées d’acheter autre chose. Elles vont très rarement au grand marché de la ville à Mbita, et quand elles en parlent, on comprend l’émerveillement que procure pour elle l’abondance de nourriture et de produits présents. En descendant avec Audrey à l’une des épiceries de 3 m², elle lui dit que ces commerces lui suffisent, car elle y trouve tout ce dont elle a besoin.

Dans l’après-midi, je descends au bord du lac. Nous nous observons réciproquement avec les pêcheurs tirant sur des cordes pour ramener sur la plage un lourd filet. Échange de sourires. L’un d’eux me propose de les aider. Avec grand plaisir, j’accepte sans imaginer que ce travail ne va pas être si évident que cela. Durant environ 45 minutes, nous tirons à sept personnes sur ces cordes qui n’en finissent pas. Environ 200 mètres de longueur. A chaque fois, on tire une trentaine de centimètres. C’est physique et les ampoules sur les doigts me viennent mais je suis très heureux de participer à l’effort. L’ambiance est bonne. Un pêcheur se met à chanter pour donner de l’entrain au reste de l’équipe.

La fin du filet approche. Le suspense est là pour connaître le résultat de la pêche. Finalement, une bonne cinquantaine de poissons, principalement tous des Perches du Nil, dont le plus beau pèse environ 5 kg. Ils ont l’air satisfaits. Les plus beaux spécimens peuvent atteindre 2 mètres de long pour 200 kg. Celui avec qui j’ai sympathisé me propose de partager la pêche. Je lui dis que non et que c’est juste avec grand bonheur que je les ai aidés. Il part et revient avec trois jolis poissons que je m’empresse à mon tour d’aller offrir à Grace qui nous les cuisinera pour un prochain repas. Elle aussi est ravie.

Mais la perche du Nil est une espèce hautement invasive et ce poisson prédateur a vidé le lac de ses 500 espèces endémiques. Au cours de la dernière décennie, les poissons ont diminué dans le lac d’eau douce en raison de la surpêche, des espèces de plantes envahissantes comme la jacinthe d’eau, de la pollution et encore du changement climatique. Les trois pays (Kenya, Tanzanie et Ouganda) bordant cet immense lac grand comme l’Irlande ont épuisé les ressources du Lac Victoria qui contribue pourtant à la sécurité alimentaire et économique de millions de personnes. Les faits remontent aux années 1950 où l’introduction de la perche du Nil a radicalement modifié l’écosystème et entraîné une profonde transformation de l’économie riveraine du lac. L’introduction des filets de pêche en nylon et l’arrivée des bateaux à moteur n’a rien arrangé.

30 millions de personnes vivent dans le bassin du Lac Victoria et chaque année environ un million de tonnes de poissons sont puisées dans le lac. Pour moitié du tonnage, ce sont des petites sardines endémiques du lac. Mais ce sont les captures de la perche du Nil, même si elles sont en déclin, qui demeurent encore la première source de revenus des pêcheurs (plus de 60%). Le tiers des poissons pêchés sont destinés à l’exportation. L’Europe importe jusqu’à 60 000 tonnes de filets de perches du Nil par an. L’exportation de ce poisson en Europe constitue même pour l’Éthiopie la principale rentrée de devises. Le nombre de pêcheurs a doublé au cours de la première décennie de notre siècle. La taille des poissons prélevés a diminué de moitié. Le revenu des pêcheurs est passé de 200€ à 120€ par mois. Mais une prise de conscience récente des pêcheurs suite à la mise en place de mesures de conservation et de gestion communes en collaboration avec les trois pays riverains a fait que la population de perche du Nil augmente de nouveau, de même que s’améliore peu à peu celle des autres espèces endémiques. Il reste des Tilapias du Nil (aussi introduit dans les années 50) dans le lac que l’on retrouve souvent dans nos assiettes.

La végétation autour du lac est dense mais pas autant qu’on a le pu le voir dans d’autres pays inter tropicaux. De petites bêtes nous accompagnent. Il y a de superbes oiseaux mais ils sont bien trop rapides pour l’appareil photo de mon téléphone avec lequel je prends la plus grande majorité des photos sur l’île car je ne peux être dans la famille avec mon gros appareil numérique en continu. Ce qui explique aussi la moindre qualité des photos de ces articles consacrés à notre voyage en terre inconnue sur l’île de Mfangano.

Au lit. La pluie se met à tomber. Une sacrée averse tropicale. Ça ne dure pas longtemps mais ça tombe dru. C’est l’occasion de remplir un gros seau d’eau de pluie sous une gouttière et ce sera un tour en moins à faire au lac pour aller chercher l’eau nécessaire au lavage des mains et à la petite toilette de chat.

La Tiny pendant ce temps-là est remontée d’Alexandrie jusqu’en Turquie à Mersin. Puis maintenant, elle se rapproche chaque jour qui passe un peu plus de nous. De nouveau, elle traverse la Mer Méditerranée et se dirige vers l’Égypte en direction de Port-Saïd, qui marque l’entrée du Canal de Suez. Bientôt la Mer rouge et l’Océan Indien ! Elle maintient ses deux petites journées de retard ce qui reste correct.

Dimanche 24 janvier 2021 :

Tranquilou aujourd’hui. Deuxième journée de week-end avant la reprise du boulot demain. Le programme de ce matin est d’aller à la messe. Non pas que ce soit notre habitude, mais nous aimons bien nous rendre sur les lieux de culte dans les différents pays où nous allons. Vous le savez bien maintenant, car je vous montre régulièrement des mosquées, des temples bouddhistes, des synagogues, des églises orthodoxes… et bien aujourd’hui, c’est dans une église catholique que nous nous rendons. La messe doit commencer à 9 heures. Nous commençons un peu à comprendre la rigueur des horaires en Afrique… 10 heures nous partons sur place accompagnés de Baby, la fille de 12 ans de la famille, bien dégourdie. Nous sommes chargés de 4 fauteuils en plastique car il n’y a pas de sièges prévus dans l’église. Enfin si, il y en a bien 3 ou 4 et un banc en bois mais pas assez pour accueillir la cinquantaine de personnes qui arrivent au fur et à mesure. Principalement des femmes bien élégantes pour la circonstance et des enfants dont des petites filles qui sont habillées de costumes de princesses bien brillants. Les petits garçons jouent le temps de la cérémonie sur un tas de sable de chantier dans la même salle. 10h20, la messe commence. Quel changement par rapport aux messes en France. Ici, beaucoup de chants bien entraînants, des danses (dont une qui fait dire à Victor, les yeux ronds : « Mais maman, c’est la Macaréna !!), plusieurs personnes qui prennent la parole dans l’assemblée. A un moment, le prêtre nous invite à venir à l’autel nous présenter à l’assemblée. Je présente notre projet de venir en famille chez Samuel (que tout le monde connaît) en tant que volontaires dans le but d’aider à la construction de la clinique. L’assemblée de fidèles nous applaudit.

Anaïs a préféré ne pas venir à la messe et répondre à la gentille invitation de la famille de volontaires allemands pour aller marcher dans la montagne. Voici son résumé qu’elle a écrit dans son carnet de bord :

« À 9 heures, j’ai pris mon petit déj’, puis je suis allée randonner avec les Allemands ! Nous avons commencé par monter sur un premier plateau. On a vu de loin des singes. Sur le plateau, on s’est posées sur un gros rocher pendant qu’Heinrich cueillait des citrons pour le pique-nique. Puis, nous avons continué de monter (et qu’est-ce que ça montait !). Une fois tout en haut, on ne voyait pas grand-chose à cause des hauts buissons, alors on a marché sur la crête. Il y a quelques maisons. De temps en temps, on entre brusquement dans une forêt quasi-vierge, c’est super étrange. Au bout d’un moment, on est arrivés en vue d’un gros rocher en forme de tsunami, et on s’est dit qu’on pourrait aller manger à sa pointe. Pour ça, on a dû demander plusieurs fois notre chemin, et on a fini par se faire conduire par le pasteur. Au bout du rocher, c’était magnifique. Déjà, la vue sur le lac (on voyait l’Ouganda), et puis le rocher lui-même : on se serait crus dans une cour marocaine ou quelque chose comme ça, il y avait tout plein de belles plantes. J’ai trouvé un crâne bizarre et j’ai pris les deux dents de devant, qui une fois enlevées avait une forme de demi-cercle. J’en ai donné une aux Allemandes. On a pique-niqué (de la salade composée, des KDF, des petits gâteaux de papi et tata) là où on a trouvé un peu d’ombre. L’après-midi, il y avait plus de soleil, mais il faisait moins humide. Quand on est repassé chez le pasteur, il nous a donné une dizaine de mangues. Nous sommes rentrés par le même chemin. C’était trop bien ! ».

Merci ma chérie pour ce récit. Chaque jour nos deux enfants écrivent sous cette forme leur journée de la veille. Ils ont déjà rempli plusieurs cahiers. Un trésor pour eux quand ils les relieront dans quelques années !

Nous avons donc passé un agréable moment, Anaïs avec les autres volontaires et nous avec tous les fidèles. Retour à la maison mais petit moment d’hésitation car Grace et Méroline, les deux épouses de Samuel, nous invitent au même moment pour passer à table. On ne sait quoi faire pour ne froisser ni l’une ni l’autre. On sent bien une petite jalousie voire une rivalité entre les deux femmes. En 10 jours passés sur place, jamais nous ne les avons vues ensemble discuter. Elles s’évitent bien qu’il n’y ait que 50 mètres entre leurs deux maisons sur le même terrain. Quand elles se croisent sur le marché, un simple regard noir sans aucune expression sur le visage. Leur mari Samuel passe d’une maison à l’autre de même que les enfants ou les volontaires.

L’un d’eux nous disait d’ailleurs qu’en trois semaines passées sur place, il n’avait été invité que deux fois à manger chez Grace. Mais comme je vous le disais, elle s’est prise de sympathie pour nous et du coup, nous devons manger au moins un repas, souvent deux, par jour chez elle. Mais aussi autant chez Méroline. Bon du coup, nous commençons par aller chez Méroline. Et évidemment Grace se vexe un petit peu mais nous rattrapons la situation en allant passer du temps avec elle après le repas en buvant du thé en sa compagnie. Audrey va l’aider à faire la vaisselle au lac.

Après-midi tranquille entre sieste pour récupérer de la messe de ce matin, jeux de société, toilette dans le lac… Puis, nous partons sans Anaïs qui récupère de ses 6 bonnes heures de marche en plein soleil, au marché de Sena. Une nouvelle fois, c’est Godwin qui nous amène sur sa moto. Nous sommes donc 4 sur la moto mais il nous rassure en nous disant qu’il peut emmener en tout 5 personnes sur sa petite moto…

Les étalages sont assez pauvres en fruits et légumes. Juste des petits tas de tomates, oignons, légumes secs. Quasiment pas de pommes de terre. De rares poivrons ou patates douces. Les produits comme l’huile ou le sucre se vendent en très petite quantité. Les étalages de vêtements et de chaussures sont principalement de seconde ou même de troisième main. On ressent un niveau de vie vraiment très bas. Mais quelle gentillesse, combien de sourires !

Nous adorons ce petit marché hebdomadaire, point de rencontre des locaux. Tous, sans exception, nous adressent des signes de bienveillance. Beaucoup s’approchent en voulant nous serrer la main, geste qu’on essaye, par mesure sanitaire, de remplacer dans la mesure du possible par un check du poing, mais ce n’est pas toujours évident.

Un jeune enfant se met à pleurer en nous voyant. Nous sommes certainement les premiers Blancs qu’il voit et il se met à hurler. Nous avions déjà vécu une situation similaire il y a quelques années au Sénégal. L’île est en effet très peu touristique car située à l’extrémité du Kenya, à juste 6 kilomètres de l’Ouganda, et elle se trouve donc éloignée des circuits que font la majorité des vacanciers. Il y a bien un hôtel de très grand luxe sur l’île voisine, mais je ne suis pas certain que les clients sortent de l’établissement durant leur séjour et viennent découvrir Mfangano.

Nous passons un moment avec un artisan affutant des machettes avec un vélo reconverti en outil à affuter les lames. Le vélo est retourné et l’artisan pédale à l’envers pour actionner une grande courroie prise sur la jante et qui entraîne une pierre à meuler. Il refait aussi les manches avec des morceaux de caoutchouc de pneus usagés. Il passe une vingtaine de minutes à refaire une beauté à une machette. Il se fait payer 100 shillings soit 0,75€.

Puis, nous marchons dans les rues de Sena jusqu’à son petit port.

Retour « chez nous » dans le hameau de Kitawi. C’est dimanche, mais les travaux ont continué à la clinique. Quelques finitions sur le toit. Bernard, le chef de chantier a planté quelques centaines de clous aussi bien dans les chevrons de bois que dans les tubes métalliques. Ils serviront demain à accrocher un grillage à poule qui sera noyé dans les murs de béton. De même, des fils barbelés sont déroulés à l’emplacement de ces mêmes murs périphériques ainsi que sur les murs de cloisons intérieurs. C’est fort intéressant d’échanger avec les artisans sur les techniques de construction et de voir les travaux avancer.

Une femme, ainsi qu’un jeune adolescent aussitôt rentré de l’école, continuent d’amener un à un de lourds sacs de terre que nous étalerons demain sur les pierres que nous avons emmenées la semaine dernière. Leur lourd labeur nous attriste.

Je vais vous parler un peu maintenant de Sagrema Foundation. Il s’agit de l’organisation communautaire créée en 2016 par Samuel et ses deux épouses, nos hôtes, opérant aux côtés des communautés et initiant des projets de développement pour éradiquer la pauvreté et prendre soin des familles moins fortunées, des veuves, des enfants, des veufs, des personnes âgées.

L’objectif d’aider à combattre les problèmes qui frappent les malheureuses familles passe entre autre par le système de micro crédit. Ainsi, Samuel souhaite éloigner ces membres les plus pauvres des communautés de la misère, des maladies et de l’analphabétisme, en fournissant aussi une éducation de qualité aux enfants dans le besoin, et l’accès à la santé. L’autonomisation des femmes et des jeunes est aussi une mission de Sagrema Foundation.

La rareté des établissements de santé sur l’île entraîne beaucoup de décès de mères qui accouchent généralement sur les sols en terre battue de leur maison, à trop de kilomètres du centre de santé le plus proche, au risque de complications. Les malades affluent vers ces centres médicaux dans le plus grand dénuement et attendent qu’on les prenne en charge à l’extérieur au soleil. Entre le centre de santé de Sena et le dispensaire d’Ugina tous deux très encombrés, il y a plus de 10 km, avec une population de 10 000 habitants dans ce secteur de l’île (communauté de Wakinga). Comme il n’y a pas de véhicules sur l’île, les trajets se font à pied ou en moto (y compris pour la femme en train d’accoucher) mais uniquement le jour car il est trop dangereux de se déplacer la nuit. Et pas en saison des pluies car la piste devient difficilement praticable.

C’est dans ce but qu’a commencé la construction du centre de santé de Wakinga, à mi-distance des deux autres dispensaires de fortune, sur lequel nous travaillons, dans le but d’aider les mères, les enfants et la communauté en général à sauver des vies.

Les donations à la fondation permettent également de financer la potabilité de l’eau pour limiter le fardeau des maladies infectieuses qui sont parmi les principales causes de mortalité des adultes et des enfants dans les communautés des îles. Les jeunes filles reçoivent aussi des serviettes hygiéniques.

Pour aider les plus défavorisés à sortir de la pauvreté et à transformer leur vie, la fondation collecte des fonds pour aussi encourager des initiatives environnementales saines dans le but de développer l’agriculture biologique et la permaculture (mais il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce point). Il souhaite aussi promouvoir le développement durable. Là, il faudra des dizaines d’années pour que ça change. Rien n’est mis en place pour la gestion des déchets sur l’île. Au mieux, ils sont rassemblés et partent en fumée. Au pire, ils sont jetés dans la nature (la famille dans laquelle on vit jette tous ses emballages dans la végétation. Les vaches en mangent une partie).

Samuel coordonne aussi le grand nombre de personnes gravitant autour des communautés comme les gouvernements, les donateurs, les bénévoles comme nous.

En plus de venir en aide à leur communauté Luo, la fondation aide également la communauté Suba vivant le long de la rive et sur les autres îles du lac.

Une autre mission est aussi de développer l’entraide et le « travailler ensemble » mais sur ce point aussi, il y a tant à faire. On le voit aussi autour des travaux de la clinique qui est censée profiter à tout le monde. Mais tant de personnes de la communauté passent, nous regardent sans aider. Tout l’inverse de ce qu’on avait pu constater en Amazonie équatorienne où chacune des familles du village de Sarayaku s’entraidait. Ils appelaient cela les Mingas. Aussi bien pour les travaux individuels que pour les travaux de la communauté. Ils arrivaient à 50, à 100 pour défricher la piste de l’aérodrome, pour construire une maison, pour nettoyer les chemins… et tout se terminait par un gros repas. On peut facilement imaginer qu’ici, à 50 personnes, les travaux de la clinique avanceraient plus vite et cela éviterait aux femmes et enfants de porter ces sacs de terre sur la tête, ou de passer des heures à casser des pierres en petits cailloux destinés à fabriquer le béton…

La plupart des gens vivent de la pêche mais Sagrema Foundation aide aussi les agriculteurs pour gérer mieux leurs terres agricoles en les aidant à privilégier les cultures qui nourrissent le sol et qui offrent des avantages nutritionnels, ainsi que sur les méthodes de défrichage qui laissent les arbres et les buissons en place comme habitat de la faune. Mais les agriculteurs manquent de bonnes clôtures de jardin, de charrues, de pompes à eau… Il y a aussi tant à faire et de moyens de développer encore plus l’élevage de volailles, de chèvres et de bovins ou bien l’aquaculture dans les eaux du Lac Victoria. Il y a également un énorme besoin de reboisement de l’île où les terres sont gravement dégradées et érodées et il est très difficile de cultiver, de ramasser du bois de chauffage ou de vivre de la terre ainsi. La fondation sensibilise donc les agriculteurs à mieux protéger la terre, et participe à l’achat de semences et de plants.

Voilà, vous en savez un peu plus sur ces belles actions que mènent Samuel et sa famille. Beaucoup de ces bonnes idées mettront à notre sens beaucoup de temps à pouvoir voir le jour car il faut aussi un changement de mentalité de la part de population accompagné d’une volonté politique du gouvernement pour mettre des moyens financiers plus conséquents. Une chose est sûre, c’est que nous sommes vraiment heureux de pouvoir les aider financièrement (via notre participation quotidienne de 20€ pour la pension complète. Ce n’est pas grand-chose pour nous, mais pour eux c’est énorme) et surtout en donnant de notre temps pour construire ce centre de santé de Wakinga.

Ce soir, pour ne pas changer nos habitudes, on passe encore deux fois à table. Nous profitons de ces moments pour apprendre quelques mots en Luo, la langue locale. Cela fait tellement plaisir à nos cuisinières quand on leur dit en Luo que leur repas est délicieux…

Nous scrutons toujours l’avancée de la Tiny qui attend ce soir son tour pour que le bateau s’engage dans le Canal de Suez, seul passage à sens unique entre la Mer Méditerranée et la Mer rouge.

L’orage de ce soir est extrêmement violent. Il tombe en peu de temps une incroyable quantité d’eau avec une puissance similaire à celle d’un nettoyeur haute pression ! Victor qui avait commencé sa nuit suspendu dans son hamac dans notre petite véranda ouverte sur l’extérieur se réfugie vite entre son papa et sa maman.

Lundi 25 janvier 2021 :

Encore un petit déjeuner partagé avec Grace comme tous le matins.

Le week-end est terminé. Le travail du jour consiste à arroser la terre mise sur les pierres afin que l’ensemble se tasse. Nous ne sommes pas convaincus de l’utilité car il n’y a aucun outil pour damer la terre donc l’eau à notre sens ne fait que s’infiltrer mais cela a l’air de satisfaire Bernard, le chef du chantier. Rapidement, les 25 bidons de 10 litres sont déversés au sol. Moins rapidement, nous descendons au lac pour les remplir. C’est usant. Il nous faire 160 pas entre le lac et le chantier avec toujours cette dizaine de mètres de dénivelé entre les deux endroits, chargés de nos plus de 10 kg dans chaque main mais les bidons remplis jusqu’au goulot sont bien chargés d’un ou de deux litres de plus.

A chaque aller-retour, nous pensons à cette femme Mendayo et son jeune ado Radio qui tous les soirs portent sur leur tête les sacs de terre qui pèsent largement plus de 20 kg. Ils le font au pas de course car ils sont payés au sac. Et des pas, ils en font largement plus de 160… car ils viennent de bien loin, on ne sait pas d’où mais ils ont au moins 200 mètres à faire, au moins… le gamin a récupéré la brouette défoncée du chantier et il la charge de trois sacs de cailloux. Il la pousse au pas de course, jusqu’à la nuit tombée et jusqu’au bout de ses forces. Le matin suivant, avec Audrey nous déversons la vingtaine de sacs au sol. Mais cela ne remonte que de quelques centimètres le niveau fini. Il va en falloir peut-être encore 200 ou 300 supplémentaires. Mais pourquoi n’organisent-ils pas une journée complète avec 20 hommes et 20 brouettes ? Tout simplement, car on comprend que l’approvisionnement sur le chantier des matériaux revient aux femmes, tout comme l’entretien des jardins, la cuisine, le ménage, le bois à aller chercher pour la cuisson des aliments, les courses à aller faire au mini marché trois fois par jour, la vaisselle et la lessive au lac et tous ces bidons d’eau qu’elles ramènent aussi quotidiennement à la maison…

Bon toujours est-il que nous continuons à remplir de l’eau du lac nos bidons jaunes. Avec Audrey, nous remontons ce matin 500 litres d’eau jusqu’au chantier.

Les ouvriers tendent le grillage à poules sur les murs qui servira de treillis aux murs de ciment.

Je passe saluer les mêmes pêcheurs qu’avant-hier qui plusieurs fois par jour tirent leurs longs filets de 200 mètres jusque sur la plage. Ils me reconnaissent. En même temps, nous sommes peut-être les seuls Blancs sur l’île. Ils m’appellent par mon prénom. L’un d’eux, Sam qui doit être le chef, souhaite me donner du poisson comme il m’en avait donné samedi quand je les avais aidés à ramener le filet. Mais cette fois, je décline leur disant que je n’ai rien mérité aujourd’hui car je n’ai pas travaillé. Ils insistent et me demandent d’accepter car cela leur fait plaisir. Merci Sam et à ton équipe. Je m’empresse cette fois d’aller offrir le poisson à Méroline.

Audrey passe un moment avec Grace à lui apprendre comment faire de la confiture sur le feu de bois bien entendu. Ils ont des papayes à ne plus savoir quoi en faire. La confiture existe bien sur les étagères des épiceries mais c’est un produit de luxe que ne peuvent pas se permettre d’acheter les deux femmes. Elle est donc ravie d’apprendre à se servir de ces fruits qui se perdent sur les arbres.

Après-midi comme les autres… Repos, échange avec la famille, avec les volontaires…

Nous partageons toujours d’excellents repas préparés par Méroline et Grace.

Mardi 26 janvier 2021 :

On arrose encore et encore ce sol de terre sans être toujours persuadés de l’efficacité de notre travail. Le moral est un peu moins bon, car on ne voit pas le travail avancer comme quand on mettait les pierres et on pouvait se satisfaire de nos heures passées à avoir sué. Là, on ne fait que ramener des bidons d’eau du lac et arroser la terre… Mais bon, ce sont les consignes de Samuel.

Après 2 petites heures de travail, nous montons reprendre des forces en prenant chez Grace le petit déjeuner où la confiture de papaye arrange bien les beignets frits. Mais ce matin, Grace est triste car son fils Gabriel retourne à l’école à l’internat d’où il ne reviendra pas avant quasiment deux mois. Les échanges avec ce jeune homme, rentré quelques jours chez lui pour raison de santé (paludisme) ont été vraiment riches. Comme tous les enfants de cette famille que nous rencontrons, il est curieux, gentil, avide de partage.

Son petit frère Bouda de 4 ans est un sacré numéro. C’est le petit dernier des 11 enfants. Il est adorable. Jaï (son surnom) s’est fabriqué une visière avec une protection d’écran de téléphone portable !

La sœur Cheryl que tout le monde appelle Baby, n’a rien d’un bébé. Du haut de ses 12 ans, elle est toujours très active pour aider sa maman Méroline aux taches domestiques. Elle est sacrément dégourdie.

Retour sur le chantier où nous aidons les ouvriers à tricoter avec du fil de fer le barbelé et le grillage à poules accroché dernièrement, dans le but de tendre parfaitement ce dernier. Dan l’Américain qui vient de retrouver Ivie, sa petite amie portoricaine, juste arrivée de New York donnent aussi un coup de main. Le changement pour elle aussi est radical et brutal !

Cinq heures de boulot, le soleil commence à être bien chaud, nous arrêtons le travail pour aujourd’hui et passons à table avec les ouvriers, la famille et les Américains.

Après-midi repos ainsi que grand nettoyage dans nos chambres pour essayer de se débarrasser des insectes qui nous dévorent les jambes à Victor et à moi. On espère que l’insecticide que Samuel nous a acheté sera aussi efficace qu’il sent mauvais. Victor d’ailleurs ne dort plus sur son matelas vraiment pas très propre et préfère dormir dans le hamac sous la véranda. C’est ouvert sur l’extérieur mais la température ne descend pas en dessous de 20°C la nuit.

Anaïs et Victor font des jeux de société avec les Américains, les Allemands et avec les enfants de la famille. Le petit chat Kal me tient compagnie pour écrire cet article.

Victor fabrique une petite voiture à l’aide de déchets récupérés sur le terrain. Cela fait le plus grand bonheur du petit Barack, qui nous dit tout fier : « My name is Barack, like Barack Obama ! ».

Les jouets sont quasiment inexistants dans la famille. Juste deux ou trois en plastique certainement offerts par d’anciens volontaires. Mais les enfants de la famille ne s’ennuient pas. Ils jouent avec deux morceaux de ficelle et de bois, avec un pneu usagé… Mais aussi avec la tablette fournie par l’école.

Nous aidons les cuisinières à préparer le repas. Du moins une partie car il y a tellement de plats sur la table chaque jour.

Mercredi 27 janvier 2021 :

La Tiny franchit aujourd’hui, pour la troisième fois de son existence le Canal de Suez. Une fois avec ses anciens propriétaires, la Cabane en cavale revenant d’Asie du Sud-est en 2016. Une fois lors en mai dernier en revenant de Malaisie. Et donc une troisième fois aujourd’hui.

Ce matin, il y a beaucoup de monde sur le chantier. C’est meilleur pour le moral de ne pas travailler seuls. Cinq maçons sont présents pour commencer les murs mais aussi des femmes pour approvisionner le chantier en eau et en cailloux.

Avec intérêt, nous observons le travail des maçons. N’imaginez pas une bétonnière sur le chantier. Le seul luxe du jour est d’avoir de la main d’œuvre et une deuxième brouette, dans le même état que la première. Le mélange du ciment avec le sable du lac se fait à la pelle au manche bien trop court.

Le salaire journalier des maçons est de 700 shillings (soit 5,24€) pour les moins qualifiés qui mélangent le ciment et qui alimentent le chantier. Les plus qualifiés qui appliquent le ciment sur les murs gagnent 1000 shillings soit 7,49€ par jour. Les journées sont à rallonge, plus de 10 heures de travail. Samedi et dimanche compris. Samuel leur offre le petit déjeuner et le repas du midi.

Le chantier est approvisionné en fibres végétales, assez fines mais très résistantes, qui remplaceront les treillis métalliques que nous mélangeons habituellement sous nos contrées au béton. Elles serviront donc à renforcer les murs et le sol. Elles proviennent de l’agave, cette plante originaire du Mexique mais qui pousse ici aussi. L’agave ne sert donc pas qu’à faire de la Tequila (il sert aussi à faire du savon, des rasoirs, des stylos, des clous, des aiguilles, du sucre, des flûtes, des médicaments…). L’un des maçons coupe les longues fibres en morceaux de quelques centimètres. Puis elles sont incorporées au mélange. Seules les deux premières couches de chaque côté du grillage sont fibrées. Les 4 autres ne recevront pas de fibres d’agave.

Puis les maçons enduisent le grillage bien tendu de ce ciment, d’un seul côté. Une fois sec dans quelques jours, ils renouvelleront l’opération de l’autre côté. En tout 6 couches de ciment seront appliquées. Le mur final devrait faire entre 10 et 15 centimètres d’épaisseur. En fin d’après-midi, ils ont fait presque 2 pans de murs entiers, qu’ils ont percés de fenêtres et de portes.

Nous arrosons encore et encore le sol qui effectivement commence à se tasser et à devenir plus compact. Nous descendons encore et encore au lac pour remplir ces bidons jaunes. Ce matin, une femme de la communauté est présente avec nous. Le travail est moins difficile à trois. Mais en parlant avec elle, nous comprenons en fait qu’elle est payée à chaque bidon qu’elle amène sur le chantier. Comme nous l’aidons, nous lui faisons donc gagner moins d’argent. Avec Audrey, nous nous sentons donc mal à l’aise car nous n’avions pas pris conscience de cela. Nous sommes ici présents sur ce chantier pour aider à la construction de la clinique mais pas pour enlever le pain de la bouche de pauvres gens. Devons-nous continuer ? Nous nous arrangeons avec cette femme pour du coup parcourir la moitié du trajet, la plus difficile, entre le lac et la route. Elle n’a plus que l’approvisionnement jusque sur le chantier à faire en espérant qu’elle soit payée entièrement. Chaque bidon lui fait gagner 5 shillings soit à peine 0,037€. Si elle ramène aujourd’hui 50 bidons soit 500 kg, comme nous avons fait avec Audrey hier, elle gagnera 1,85 € ! Nous essayons d’en savoir un peu plus sur la main d’œuvre féminine sur ce chantier. L’idée de base était que chaque membre de la communauté travaille bénévolement pour la construction de la clinique qui servira à tout le monde. Mais devant le manque de main d’œuvre, Samuel doit payer du personnel pour faire ce travail difficile de porter sur la tête des tonnes de cailloux, de sable, de terre… Mais même ainsi, nous n’avons vu que quelques femmes travailler.

Nous aidons deux autres ouvriers à continuer le tricotage comme hier des fils barbelés horizontaux avec le grillage à poules. C’est moins physique que les autres jours, et maintenant le chantier est à l’ombre.

Audrey passe du temps avec les enfants à ramasser des déchets répartis autour de la maison de Grace. Elle jette dans la nature beaucoup moins que Méroline mais il y a quand-même de nombreux déchets plastiques… Rassemblés, Grace y mettra le feu pour réduire en fumée tous ces déchets. Reste à savoir comment recycler toutes ces piles et ces aérosols. Elle semble ravie que son terrain soit nettoyé.

Audrey propose à Méroline d’effectuer le même ramassage des plastiques sur son terrain. Elle est enthousiaste. Mais ce sera plus compliqué à faire devant sa maison tellement il y en a à ramasser. Et puis, demain il faudra de nouveau recommencer car chaque emballage ouvert est systématiquement jeté au sol. Il s’envole pour finir dans le lac, se mêle aux buissons épineux ou il termine dans l’estomac d’une vache. Il faudra certainement des générations pour qu’il y ait une prise de conscience environnementale. Mais cela passera par des volontés politiques de mettre en place des campagnes de ramassage des ordures ménagères qui n’existent pas sur l’île. De là à en venir au tri sélectif !

Pourtant, lorsque nous nous promenons dans l’île, nous ne voyons pas tant de déchets que ça autour des maisons. On imagine que sur certaines propriétés, ils doivent être régulièrement brûlés.

Cependant, ils produisent beaucoup moins de déchets que nous. Ils n’achètent pas d’alimentation déjà cuisinée. Comme ils n’ont pas de réfrigérateur, ils ne conservent rien et vont trois fois par jour au marché pour le repas suivant. Que des légumes qu’ils achètent en vrac en les mettant dans leur cabas réutilisable. De même, l’huile est achetée quotidiennement mais toujours dans la même bouteille qu’ils font remplir. Aucun produit laitier donc autant d’emballages en moins. Les rares bouteilles de verre de sodas sont consignées. Les maisons ne sont pas remplis d’objets manufacturés qui partiront un jour à la déchetterie.

Nous partons récupérer chez le tailleur local, le sarouel d’Audrey qui nécessitait l’intervention d’une couturière. Un élastique a été posé pour 100 shillings, soit 0,75€.

Pendant ce temps, la Tiny continue d’avancer en Mer Rouge laissant l’Égypte sur sa droite et l’Arabie saoudite sur sa gauche. C’est d’ailleurs dans ce dernier qu’elle fait escale aujourd’hui dans le port de Djeddah. Elle accuse un retard de toujours deux journées. La bonne nouvelle du jour est que la dernière escale initialement prévue sur le port de Djibouti semble supprimée. Du coup, le bateau va récupérer son retard. Il est prévu d’arriver dans la nuit du 5 au 6 février à Mombasa.

 

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