603 km parcourus du 29 février au 9 mars 2020


52 094 km parcourus depuis notre départ

Samedi 29 février 2020 :

L’avantage de partir en voyages les années bissextiles, c’est qu’on a un jour de plus pour profiter. C’était déjà le cas lors de notre premier voyage au long cours en Amérique du sud en 2016…

Je vous avais laissés dans le dernier article sur une route de montagne dans le nord de la Thaïlande. La nuit a été bien calme sous le regard bienveillant des policiers du check-point de Doi Mae Ya en haut d’un petit col à 1300 mètres d’altitude. Matinée habituelle à faire l’école et à publier le dernier article sur le blog. Comme d’habitude, rien que la mise en ligne des 200 à 300 photos par article m’occupe quasiment 3 heures. Cela est sans compter la rédaction de l’article et le tri quotidiens des photos qui m’occupent également les 3 heures où les enfants sont sagement occupés à l’école. Mais c’est toujours avec grand plaisir que je partage notre quotidien !

Nous sommes toujours gênés par la pollution due aux brûlis. Le secteur est aujourd’hui l’endroit le plus pollué au monde. C’est ici que l’indice de la qualité de l’air est le plus pourri.

Discussion sympathique avec un belge, Éric, venant régulièrement en Thaïlande. C’est toujours intéressant de parler avec des gens vivant ici.

La route aux 1864 virages

Puis, nous prenons la route en direction de Pai, notre prochaine destination qui n’est qu’à une trentaine de kilomètres. Mais la descente est raide sur cette fameuse route à 1864 virages (ou 1863, selon les sources…). Pour une fois, je ne suis pas aussi vigilant que d’habitude et je descends sans rouler vite mais en troisième vitesse. Je ne me rends pas compte que je suis amené à freiner trop souvent. Ce qui devait arriver… arriva. Une odeur de brûlé (bien plus forte que celle des brûlis de la végétation incessants) envahit l’habitacle et le voyant de frein s’allume. Les freins répondent encore et je m’arrête en catastrophe dans une sortie de virage.

Nous ne sommes pas bien garés mais il y a peu de circulation. Petit café le temps que les freins refroidissent et que le voyant s’éteigne. Le voyant ne s’éteint pas. J’ai repéré sur le GPS que nous sommes bientôt en bas de la descente. Nous repartons en première vitesse à 10 km/h sans avoir besoin de trop freiner.

Pai

Nous trouvons un petit bivouac assez sympathique en bord de rivière dont le niveau est bien bas en période de saison sèche. Fin d’après-midi à se reposer et ne rien faire. Je démarre le camion à plusieurs reprises et le voyant de défaut de freins reste allumé. Je n’arrive pas à expliquer ce problème car le niveau de liquide est bon et les plaquettes également. La dépression d’air qui commande l’assistance de freinage fonctionne bien. La nuit porte conseil. Un appel à Joaquim aussi mais il n’y a pas d’urgence pour le déranger un week-end.

C’est le dernier jour du mois pour réaliser le défi. Celui de notre ami Marcel qui nous avait mis au défi de réaliser une 2CV miniature de 30 cm composée de 30 éléments, de préférence en 3D. Chaque jour du mois, nous avons dû avec Audrey boire des bières pour avoir de la matière première pour réaliser cette œuvre. Bon d’accord, le choix du matériau n’était pas imposé mais nous sommes certains que Marcel et notre comité de validation apprécieront ce détail.

Nous passons à table, dehors, ce que nous faisons assez peu souvent. Puis nous entendons un air de ukulélé s’approcher de la Tiny. Ce sont deux sympathiques routards attirés par notre présence qui s’approchent pour discuter avec nous. Dennis est néerlandais. Piter est polonais. Ils n’en reviennent pas de notre aventure ! Ils nous demandent la permission de planter leur tente à côté de la Tiny.

Bien que la ville, qui est un rassemblement de routards, soit réputée pour être (très) fêtarde, et que nous sommes en bord de rivière sur un petit terrain qui pourrait se prêter aux bruits festifs, notre bivouac est étonnamment calme.

Dimanche 1er mars 2020 :

La nuit aussi a été calme… jusqu’au petit matin où un attroupement de Thaïlandais débarque sur le parking. Une fête se prépare. Les gens sont en tenues traditionnelles, les fanfares sont là. Nous terminons rapidement notre petit déj’ et le délicieux pain qu’Audrey prépare tous les matins et sortons suivre le défilé sur environ 2 km. On ne comprend pas très bien de quoi il s’agit. Cela n’a pas l’air religieux. Trois « miss » sont à l’arrière du convoi dans des pick-up. Le convoi part à l’opposé du centre-ville touristique, là où sont logés dans des guesthouses tous les routards. Nous sommes les seuls occidentaux, avec nos compagnons de bivouacs, à participer à ce convoi.

Nous arrivons dans une cour d’école où de nombreux tivolis et des grosses sonos ont été montés. Les défilés de différents groupes se rejoignent, tous dans des tenues différentes, certainement celles des différentes ethnies habitant le secteur. Puis, comme chaque jour en Thaïlande, à 8 heures et à 18 heures, la vie s’interrompt dans tout le pays pour écouter l’hymne national. Nous assistons au lever de drapeau.

Puis de nombreuses danses traditionnelles sont effectuées sur le stade.

Soudain, une femme s’approche de nous, nous prend par la main et nous emmène sur son stand où quelques autres touristes occidentaux sont déjà habillés de tenues traditionnelles. Nous comprenons que cette fête est en fait une manifestation sportive et que plusieurs matchs de foot et de volley vont s’enchaîner après l’allumage de la flamme. Nous sommes donc invités à supporter les bleus !

Sortant à peine du petit déjeuner, nous ne pouvons que décliner la nourriture qui nous est également proposée. Incroyable cette fête, ce hasard d’être là au bon moment, cette gentillesse et cet accueil des locaux prêts à nous faire découvrir leurs coutumes. Nous sommes ce matin encore chanceux. La magie du voyage et du hasard a encore joué.

Et bien voilà, alors qu’on pensait faire comme d’habitude l’école ce matin, il n’est déjà pas loin de midi quand nous quittons cette cour d’école où nous avons passé un très bon moment.

Nous rentrons à la Tiny en marchant 3 kilomètres à travers un paysage de rizières. Superbe. Ce que nous pensons être des petites maisons ne sont en fait que des gros tas de paille de riz en train de sécher. Ce qui est moins superbe est surtout ce ciel gris. Le soleil peine à percer ce smog. C’est hallucinant car nous sommes bien loin maintenant de Chiang Mai et de sa pollution urbaine. Comme je vous l’expliquais dans le précédent article, cette pollution est due aux brûlis de la végétation faits par les agriculteurs. Le taux de particules fines et l’indice de la qualité de l’air indiquent des taux qui nous placent encore aujourd’hui dans le secteur le plus pollué au monde. C’est dramatique. Nous sommes bien gênés pour respirer. On a du mal à voir le haut des montagnes. Même le Big Bouddha blanc du temple Mae Yen est noyé dans ce smog alors qu’il n’est pas si loin de nous.

Nous n’allons pas visiter le centre de Pai avec tous ces établissements destinés aux routards du monde entier venant explorer la région. Nous préférons déambuler dans ces rizières et voir ces jolies et traditionnelles maisons en bois.

Premier jour du mois signifie ouverture du 18ème défi, celui de nos chers amis les Vagueauvent : réaliser une œuvre de land art de 2mx2m. Un alpaga et un animal local devront être représentés au sein de cette œuvre. Au boulot !

Je mets en route le moteur pour voir si ce fichu voyant est éteint après une nuit de repos. Et bien non, il est toujours allumé en rouge. Pas cool car nous sommes sur une route de montagne avec encore pas mal de cols à franchir. Et puis, il n’y a plus de grosses villes sur notre route avant l’entrée au Myanmar dans 9 jours… Je reste rassuré car je connais l’état de mes freins mais il y a cependant un problème. Les tests que je réalise sont satisfaisants et la Tiny répond bien au freinage. La route monte, beaucoup donc pas besoin de freiner. Mais arrivés de nouveau à 1400 mètres d’altitude, une longue descente m’engage dans une pente bien raide mais ne dépassant pas les 8% ce que j’arrive à gérer au frein moteur en première vitesse. Heureusement, il n’y a que 22 km de descente mais je vous laisse calculer le temps que ça prend à 11 ou 12 km/h… Nous ne sommes pas pressés et c’est l’occasion parfaite pour profiter des paysages, des très nombreuses et diversifiées cultures de légumes et de fruits. L’habitat change aussi et nous retrouvons comme dans le nord d’autres régions reculées d’Asie du Sud-Est des structures sur pilotis et dont les murs sont faits de panneaux de bambous tressés. Par contre ce qui change par rapport au Laos ou au Cambodge, c’est que même les maisons les plus modestes ont quand-même souvent un 4×4 garé dans la cour.

Ce qui ne change pas par rapport à ces mêmes pays, ce sont les innombrables gestes et cris de sympathie qui nous sont lancés sans cesse. Partout des sourires. On a beau ne pas rouler vite et créer des petits bouchons, jamais, mais vraiment jamais, on ne se fait klaxonner. Jamais, mais vraiment jamais, on ne reçoit un signe d’agressivité ou de mécontentement d’un autre conducteur.

Enfin, ce qui ne change pas par rapport à hier, c’est mon voyant qui reste toujours allumé.

Nous arrivons sur notre bivouac sur le parking des grottes de Tham Nam Lod que nous visiterons demain. Dernière marche arrière pour me garer. Le voyant s’éteint près de 60 km et 24 heures après notre panne…

Tham Nam Lod

La journée est déjà bien entamée mais on se met à faire l’école et à rédiger ces quelques lignes.

A l’heure où le soleil va bientôt se coucher, nous entrons dans le parc des grottes pour nous rendre à l’entrée de la troisième au bout d’un joli sentier dans la forêt. Le magnifique pont de bambou paraît frêle mais nous permet de traverser la rivière.

A l’entrée de la Coffin Cave, nous assistons à un ballet de centaines de milliers de Martinets de Sibérie rentrant pour la nuit à l’abri de la grotte. Le spectacle est déjà commencé quand nous arrivons et nous restons une heure à observer des dizaines, des centaines d’oiseaux entrer par seconde dans la grotte dans un vol extrêmement rapide. C’est impressionnant et magique ! Cela nous rappelle les longs moments que nous avions passés aux chutes d’Iguazú en Argentine à observer les martinets à tête grise. Dans le même vol, ils traversaient le mur d’eau pour se nicher derrière les chutes.

Retour de nuit éclairé par la torche de nos téléphones à travers le sentier. Bivouac super calme sur le parking du site. Nous offrons notre œuvre du défi de Marcel à une souriante femme balayant le parking devant la Tiny.

Lundi 2 mars 2020 :

Dès 8 heures, nous sommes déjà au taquet pour être les premiers visiteurs, comme on aime bien le faire, sur le site des grottes de Tham Nam Lod. Nous choisissons le plus grand des circuits, celui qui permet de visiter les trois grottes de Big Column Cave, Doll Cave et Coffin Cave avec un aller / retour entre les deux dernières en radeau de bambou sur une centaine de mètres sur la rivière souterraine Lang. Les salles sont gigantesques. Ce n’est pas la plus jolie des grottes que nous ayons vues au niveau de la beauté et de la diversité des concrétions mais l’énorme avantage est l’atmosphère dégagée par cette visite des cavernes et galeries seulement éclairés par les deux lampes à pétrole de nos deux guides. C’est une première pour nous. On découvre les stalactites, les stalagmites, les draperies et les colonnes (dont une magnifique de 21 mètres de hauteur) seulement au dernier moment quand nous arrivons dessus. Nous sommes les seuls visiteurs en cette heure matinale ce qui rend encore plus magique cette superbe expérience.

Anaïs et Victor prennent plaisir à nourrir des centaines de poisson-chats et de Mahseer Barb.

On voit des cercueils en bois de tecks vieux de 14 siècles et des peintures rupestres préhistoriques.

La magie vient également de la sortie des mêmes martinets que nous avons vus hier se réfugier pour la nuit. En ce petit matin, dans un même ballet, ils sortent.

Retour à la Tiny. La récréation est terminée et il est temps de rentrer à l’école. Je démonte 3 roues sur 4 pour contrôler les freins. J’appelle Joaquim que je n’ai plus besoin de vous présenter. Rapidement, il me confirme que ce voyant allumé n’est pas normal mais qu’il n’y a pas de danger au freinage. Ouf…

Nous quittons notre bivouac pour seulement une soixantaine de kilomètres. La route est en super bon état mais malheureusement, la vue réputée magnifique dans cette région est toujours obstruée par le nuage de pollution. C’est incroyable. Un peu comme si on était dans un gros brouillard. Les flammes lèchent la route. Les feux ne paraissent pas maîtrisés car personne ne semble les surveiller mais ils avancent tranquillement. Ce qui est très curieux, c’est qu’ils ne mettent pas le feu aux arbres. Seuls la petite végétation, les feuilles mortes et les déchets brûlent. Une forte odeur s’en dégage nous faisant craindre régulièrement que ce soient de nouveau nos freins qui chauffent mais non, tout va bien de ce côté-là. Le relief de la route et la sagesse avec laquelle j’anticipe les descentes nous font prendre vraiment notre temps. Les freins réagissent parfaitement bien.

Nous arrivons au pied du pont de bambou du Wat Su Tong Pae. Nous demandons l’hospitalité pour dormir sur le parking du temple. Après s’être assurés qu’on ne ferait pas de bruit, nous sommes autorisés par les moines à bivouaquer au pied de cette très longue passerelle que nous franchirons demain. Mais nous descendons quand-même un petit peu pour profiter du coucher du soleil et boire un thé sur l’agréable terrasse surplombant le site bucolique.

Mardi 3 mars 2020 :

Pas de pain maison ce matin mais de délicieux petits pancakes aux pépites de chocolat noir…

Né de la volonté de la communauté locale, le pont de 500 mètres de long relie le village de Kung Mai Sak au temple perché sur une petite colline. Les propriétaires de plantations ont donné un peu de leur terre et les villageois se sont réunis pour construire le pont en utilisant des bandes de bambou pour son plancher et des supports en bois pour élever le pont au-dessus des rizières et de la rivière Mae Sa Nga. Ces bambous sont d’abord immergés dans la rivière, certainement pour les assouplir. Fendus en fines lamelles sur la longueur du bambou d’environ 4 mètres, ils sont ensuite entrelacés pour réaliser le plancher mais aussi beaucoup de mobiliers dans les maisons.

Nous marchons dans le petit village de l’autre côté du pont mais celui-ci à cette heure la plus chaude de la journée est bien endormi. Nous achetons quelques légumes et des œufs dans une épicerie à un prix dérisoire et des jolis articles en patchwork. Les maisons de bois ou de bambous sont recouvertes de toits de feuilles dont je vous reparlerai plus tard.

La jeune femme qui tient le café à l’entrée du temple fabrique des attrape-rêves et a décoré sa boutique de ses jolies confections. Anaïs lui en offre un qu’elle a réalisé pour compléter sa collection. Audrey échange avec elle sur notre voyage, sur les rencontres qui en font la richesse ; la jeune femme expose sa peur de l’évolution vers une société individualiste. Être bouddhiste, vivre près d’un temple, entourée de moines, lui permet de se sentir plus sereine, à l’écoute des autres. Au moment de partir, accompagnée de son mari, elle vient offrir aux enfants des boissons chocolatées, et à Audrey des mélanges de plantes à infuser.

Un voyage en terre inconnue à la rencontre de l’ethnie des Kayan

Notre cavale reprend et après une très longue réflexion, nous décidons de partir à la rencontre des Kayan. Pourquoi une longue réflexion ? Parce que beaucoup considèrent cette ethnie des Kayan (appelée aussi Padaung) originaire du Myanmar (Birmanie) comme une simple attraction touristique. Car l’une des spécificités de cette ethnie fameuse est que c’est ici que l’on voit les « femmes-girafes » mais je préférerai dans cet article parler des « femmes au long cou ». Le débat divise les voyageurs responsables quant au fait d’aller ou pas à la rencontre de cette ethnie. Nous ne voulons évidemment pas être ces touristes qui en l’échange de payer l’équivalent de 6€ ont le droit de se faire prendre en photo devant une « femme au long cou » dans un faux village touristique et folklorique comme on en voit à proximité de Chiang Mai ou de Mae Hong Son. Nous ne voulons pas cautionner ce que beaucoup de voyageurs responsables considèrent comme un « zoo humain » avec leurs habitantes, semblables à des animaux en cage, contraintes de défiler quotidiennement devant des centaines de touristes. Mais plus que d’être curieux à l’égard de ces femmes, c’est plus envers cette ethnie Kayan que nous souhaitons en savoir plus ; ce qui nous pousse vers ce « rendez-vous en terre inconnue ». Un rendez-vous qui n’en est pas un car nous ne savons pas trop comment nous y prendre. Nous ne voulons surtout pas passer par une agence mais nous y rendre par nos propres moyens. Mais une fois de plus dans notre aventure, le hasard va beaucoup mieux valoir qu’un rendez-vous.

De très longues recherches sur internet nous poussent à prendre la direction du village de Ban Mai Nai Soi. Non loin de Mae Hong Son, nous empruntons une route tortueuse qui traverse la végétation luxuriante, les rizières, les montagnes. Nous ne sommes plus qu’à une petite dizaine de kilomètres de la frontière avec le Myanmar lorsque nous arrivons dans le paisible village qui ressemble à tant d’autres en Thaïlande à Ban Nai Soi, au départ d’une piste impraticable pour nous. Celle-ci mène à Ban Mai Nai Soi. Mais la journée est déjà bien avancée pour nous diriger vers ce qui est un camp de réfugiés birmans. Nous savons que la zone est militarisée et qu’elle est classifiée par notre Ministère des Affaires Étrangères comme « zone fortement déconseillée » et bien colorisée de rouge sur la carte « en raison des risques de brigandage transfrontalier et de l’existence de nombreux trafics » … Il en faut plus nous faire rebrousser chemin. J’ai bien envie de tenter l’accès sur cette piste mais un local nous le déconseille vu l’état défoncé de la piste. Il nous autorise à bivouaquer sur son terrain, ouvre son compteur d’eau et nous donne l’accès à ses toilettes pour la nuit. Je lui fixe rendez-vous demain matin à 9 heures pour qu’il nous emmène à la rencontre des Kayan.

Cette ethnie que nous voulons rencontrer n’est pas d’origine thaïlandaise. Les Kayan, sont un sous-groupe du peuple Karenni (Karens rouges) qui est une minorité ethnique tibéto-birmane du Myanmar (Birmanie). De 1948 à 2012, l’armée indépendantiste Karen a mené une guérilla incessante à la junte militaire birmane qui abandonna le pouvoir en 2011. Pendant plusieurs années, les offensives de l’armée régulière pour reprendre le contrôle de l’État Karen à l’Est du pays, bastion des indépendantistes du même nom, ont entrainé le déplacement massif de populations à l’intérieur du pays et en Thaïlande. C’est à partir de 1987 que beaucoup de Kayan, revendiquant l’indépendance de leur territoire et la création d’un État à cheval sur les deux pays, ont dû fuir la violence et sont partis pour la Thaïlande voisine. Ce conflit impitoyable dure depuis plusieurs décennies mais se calmerait depuis 2014.

Voici donc une trentaine d’années que cet « abri temporaire » est installé à quelques kilomètres de notre bivouac. Initialement, Ban Mai Nai Soi a accueilli environ 1800 anciens habitants de l’État de Kayah au Myanmar mais la population de réfugiés a augmenté progressivement en raison des combats. Le Haut-Commissariat des Nations unies a recensé sur ce camp une population de 8739 personnes en juin 2019. La plupart de ces réfugiés sont d’ethnie Karenni, plus de 95% ; le restant étant d’origine Shan ou Karen. 40% ont moins de 18 ans. Mais il y aurait encore, environ 111 000 réfugiés enregistrés, qui vivent parqués dans neuf camps militarisés au nord de la Thaïlande le long de la frontière avec le Myanmar. La plupart des réfugiés ont fui le travail forcé et d’autres abus des droits de l’homme au Myanmar mais restent confrontés à de grandes difficultés dans ces camps fermés. Leurs conditions de vie ne sont pas enviables mais toutefois incomparablement meilleures que celles vécues au Myanmar. Ils ne sont pas autorisés à sortir des camps pour travailler ou pour suivre des études supérieures car ces réfugiés politiques n’ont pas de passeport ni de visa thaïs. Ils vivent dans des centaines de maisons en bambou réparties en plusieurs sections autour de petits commerces, de restaurants, d’églises, de temples, d’écoles, de cliniques et de bureaux d’ONG et agences internationales diverses et variées. En raison de son emplacement isolé, Ban Mai Nai Soi n’est pas connecté au réseau électrique public. Seuls le bureau du camp et les centres de santé et d’éducation ont accès à l’électricité via des générateurs.

En 2005, le gouvernement royal thaïlandais a proposé aux résidents du camp des possibilités de réinstallation à l’étranger. En juin 2019, un total de 16 575 personnes étaient déjà parties pour une nouvelle vie. La majorité s’est réinstallée aux États-Unis et en Australie, mais aussi en petite partie au Canada, en Finlande et en nouvelle Zélande.

Le gouvernement birman a aussi pour objectif d’assurer le retour, sur la base du volontariat, de plus de 100 000 réfugiés birmans, fuyant depuis des décennies les conflits qui minent leur région. Le premier convoi de réfugiés renvoyés chez eux a été organisé en octobre 2016 avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies. En 2017, 4095 réfugiés sont rentrés au Myanmar selon l’Organisation internationale des migrations. La Birmanie et la Thaïlande se sont entendues sur le rapatriement d’un quatrième convoi de réfugiés birmans en mai 2019. Mais les candidats au retour ne sont pas si nombreux et de nombreux réfugiés hésitent encore à rentrer chez eux, tandis que les tensions politiques et ethniques engendrent toujours des problèmes de sécurité, des conflits fonciers, des difficultés pour l’obtention de documents civils.

Mercredi 4 mars 2020 :

C’est donc en 4×4 que nous prenons cette piste sur seulement deux kilomètres jusqu’au check point militaire nous interdisant l’accès à ce camp. C’est à ce moment que nous bifurquons sur la gauche toujours par une piste qui nous mène dans un petit hameau portant le nom de Kayan Taryar.

C’est ici que sont installées également des familles birmanes des mêmes ethnies ayant fui le pays. Comme on l’espérait, l’endroit n’est pas du tout touristique. Nous sommes les seuls. Mais une déception nous envahit quand notre chauffeur nous laisse dans le chemin principal du village où quatre « femmes au long cou » vendant quelques articles d’artisanat se mettent en avant pour se faire prendre en photo. C’est ce que nous ne voulions pas. L’appareil photo reste au fond du sac. Nous échangeons avec elles quelques sourires, quelques mots en anglais, puis nous traversons le village avec un peu de frustration, espérant une belle rencontre.

Notre chauffeur, à qui j’avais émis hier soir le souhait de rester éventuellement dormir dans ce hameau, nous dirige vers un de ses amis (on a prévu les brosses à dents et un slip propre dans le sac à dos, on ne sait jamais !). Nous sommes accueillis par Mongnuai et son épouse Eh Gay Paw à nous asseoir sur leur paillasse au rez-de-chaussée de leur maison de bambou. Un verre de thé nous est rapidement tendu. D’un coup, le courant passe et nous savons que nous sommes arrivés à la bonne porte.

Ce couple, qui parle bien anglais, et leurs deux enfants (Phon Khon et Ye Wan) sont d’origine Kayan. Ils sont responsables de la Maison des Enfants (Grace House Children Home) qui est financée par une église évangéliste des USA, mais aussi d’Australie. L’argent reçu et géré par cette famille permet aussi de payer les salaires des 8 professeurs de l’école car ni le Myanmar, ni la Thaïlande, ni d’autres ONG ne débloquent de fonds pour l’enseignement ici. Eh Gay Paw est d’ailleurs professeur à l’école. Mongnuai est le pasteur de la communauté et avec sa femme, ils s’occupent d’une trentaine d’enfants de 9 à 18 ans. Ces derniers, orphelins ou issus de quelques familles du camp voisin de réfugiés, vivent ici.

Mongnuai qui a bien reçu le message de notre chauffeur me fait part qu’il peut nous mettre à disposition une chambre pour ce soir. Nous acceptons aussitôt et faisons signe à notre chauffeur que nous reviendrons à pied demain.

Mille questions fusent et sont posées à nos hôtes qui eux-mêmes nous interrogent sur notre aventure. Environ 80 personnes vivent ici réparties dans quelques maisons de bambous autour de chemins en terre. Pas de voitures ici mais que des deux-roues.

Nous parlons beaucoup de l’accès à l’éducation. L’école accueille 48 élèves dont 30 sont donc hébergés chez Mongnuai et Eh Gay Paw. Nous visitons l’école et avons aussi l’autorisation d’intervenir pour échanger quelques instants dans l’une des quatre classes avec les plus grands d’entre eux. L’enseignement est proposé jusqu’au 9ème grade soit l’équivalent de la fin du collège. Ensuite, les élèves vont dans le camp de réfugiés voisin pour le lycée (cela concerne seulement trois adolescentes). Puis pour ceux qui ont des papiers, ils peuvent suivre un enseignement supérieur à la grande ville voisine, voire à Bangkok. Mongnuai est fier de nous dire qu’une fille issue de ce village vient d’être diplômée en tant que docteur. Une autre fille va pouvoir poursuivre ses études en Inde.

Il est 15h15, l’école est terminée et une trentaine d’enfants rejoignent la maison. Ils sont tous d’une éducation remarquable et font preuve d’une grande autonomie. Aussitôt arrivés, sans que le moindre adulte n’intervienne, ils se mettent tous à balayer la cour, aller chercher de l’eau, aller faire leur lessive quotidienne, aller se laver à la rivière, aller chercher 4 gros fruits de jacquier et le préparer pour le cuisiner.

Ici l’usage du téléphone portable ne leur est pas autorisé. La télé n’est tolérée que le vendredi soir et le samedi soir. Et c’est dingue comment cela change les habitudes et façons d’être. Au lieu d’être derrière leurs écrans, comme le serait de manière individualiste n’importe quel autre enfant, ils jouent ici ensemble, chantent accompagnés d’un air de guitare, entament des parties de Uno avec nous. Anaïs passe son après-midi à faire des origamis avec la famille et tous les enfants. Victor taille des morceaux de bois en forme de petites voitures pour leur offrir. Qu’il est bon de voir tous ces enfants qui arrivent à s’occuper avec un bout de ficelle, un morceau de bois ou un ballon dégonflé. La petite voiture offerte par Victor au petit David rencontre un franc succès. Il n’y a en effet que très peu de jeux.

Un coiffeur passe dans le coin pour couper les cheveux de Mongnuai et s’occupe aussi de Victor.

Nous nous promenons librement dans le village, en observant la paisible vie des habitants, certainement bien différente de celle du camp voisin. Bien que certains habitants n’aient pas l’autorisation de quitter le hameau au risque de se faire arrêter par la police. Nous comprenons qu’en effet, seulement certaines personnes ont pu obtenir des ID Cards leur permettant de résider et de circuler légalement en Thaïlande, d’avoir accès aux soins à la ville voisine de Mae Hong Son. Mais pas tous, une vingtaine à priori sur les 80 habitants du village. On n’a pas très bien compris, comment seulement certaines familles ont pu sortir du camp voisin et s’installer ici en pseudo légalité. Notre hôte nous explique qu’ici vivent les plus anciens réfugiés qui sont arrivés parmi les premiers en Thaïlande. On a compris que les enfants nés à l’hôpital de Mae Hong Son deviennent des ressortissants du royaume et auraient automatiquement la nationalité thaï bien que le droit du sol ne s’applique pas en Thaïlande. Du coup, peut-être leurs parents aussi ? Ou du moins, ont-ils le droit de vivre ici en légalité sous le statut de réfugié politique ? Tous ces gens semblent heureux, malgré les atrocités qu’ils ont vécues en ayant fui leur pays. Ils vivent de peu ici mais ont l’essentiel.

Les maisons en bambous sont couvertes de toits de tôles eux-mêmes recouverts de larges feuilles d’arbres que sont en train d’assembler tous les membres du village. Nous sommes en fait dans une sorte de saison d’automne où les feuilles de certains arbres tombent. Elles sont alors ramassées, séchées et attachées les unes aux autres par des tiges de bambous. Audrey est invitée par une femme du village à confectionner ces tuiles qui recouvriront les toits de tôles pour faire une isolation phonique et thermique aux habitats. Les structures non habitées sont elles aussi directement recouvertes de ces rangs serrés de tuiles de feuilles. Ce travail est réalisé au maximum tous les deux ans car ces feuilles s’abîment vite en toiture.

Nous sommes en mars, le mois le plus sec de l’année, juste avant la saison des pluies. Les niveaux des cours d’eau sont au plus bas. L’adduction en eau de chaque maison est donc juste limitée au mieux en ce moment à l’usage de la cuisine. Pour les douches, et autres usages domestiques, les habitants vont chercher l’eau dans des bidons à la source du village à 200 mètres. Anaïs et Victor participent volontiers à la tâche.

Le temps passe et chaque instant nous rappelle la chance que nous avons de passer des moments comme celui-ci. L’émotion est intense à chaque geste, regard ou sourire échangés. Victor passe un moment avec des hommes hauts perchés à monter la structure de la prochaine cuisine. Anaïs continue à faire des origamis. J’aide Mongnuai à cuisiner.

Nous interrogeons Mongnuai sur la spécificité culturelle et l’ancienne tradition de la tribu Kayan des « femmes au long cou ». L’origine est incertaine mais elle semble remonter au 11ème siècle. Pour certains, ces anneaux étaient censés rendre les femmes plus belles et constituer un signe de richesse. Pour d’autres, ils devaient leur éviter d’être enlevées par une autre ethnie (le rapt étant dans des temps plus reculés une pratique courante des sociétés tribales). Ils devaient au contraire rendre les femmes moins attrayantes aux yeux des autres tribus afin qu’elles ne se marient pas en dehors de la leur ou qu’elles ne soient pas prises en esclavage. Enfin, selon un mythe tribal, ils protégeraient les femmes des tigres. Mongnuai pense que c’était plutôt pour éviter que les femmes ne se mélangent à d’autres ethnies. Certains estiment que si cette pratique perdure, c’est qu’elle s’est peu à peu imposée comme la principale source de revenu de la tribu, soulevant par là-même des interrogations légitimes quant à l’éventuelle exploitation des « femmes au long cou » pour des considérations purement pécuniaires. C’est certainement le cas dans certains villages touristiques et c’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de venir dans l’endroit où nous sommes, où seulement 1 à 2 touristes viennent par jour. Et nous avons pu le constater durant nos 24 heures de présence sur place, et également durant les heures que nous avons passées au début de l’unique piste avant et après notre passage dans ce village. Nous n’avons vu que deux touristes qui ont passé une heure ici.

La longueur du cou des « femmes-girafes » n’est qu’une illusion. Le collier n’est pas constitué d’anneaux mais c’est une spirale qu’on change entièrement, au fil de la croissance de la fillette qui reçoit son premier collier à l’âge de 5 ans des mains d’un chaman, un jour de pleine lune. Cette spirale est supportée non pas par le cou mais par les côtes, qui se développent en penchant vers le bas. Plus les côtes penchent, plus le collier tombe sur les épaules : à ce moment-là, il devient trop large pour enserrer tout le cou et il est changé pour une spirale plus longue jusqu’à atteindre une dimension maximale de 40 centimètres (de 25 à 28 anneaux) et un poids de 5 à 10 kg. L’apparence de ce long cou est donc créée par la déformation des os des côtes et des clavicules et par la compression des muscles des épaules. Ces spirales peuvent être enlevées pour pouvoir être remplacées par des plus longues, de même lors de consultations médicales, ce qui contredit l’idée selon laquelle les enlever serait mortellement dangereux pour la femme, bien que leurs muscles sont affaiblis. Les Birmans nomment ces femmes, les « femmes aux longs cous » car ils ne veulent pas les identifier à des animaux. Il existe aussi des « femmes au long cou » en Afrique du Sud, dans le peuple des Ndébélés. Mongnuai nous explique que certaines femmes ici, ne le portent plus que quand les rares touristes débarquent dans le village. D’ailleurs, quand nous redescendons nous promener plus tard dans la rue principale, nous le constatons en voyons une même femme vue ce matin avec son collier qui l’a enlevé comme elle enlève un ornement, un bijou, pour vaquer à ses occupations domestiques. Mongnuai nous explique que, dans le village, seule sa maman ne l’enlève jamais car elle le porte depuis toute petite. Il nous confirme également qu’il n’est pas une obligation de le porter et que les jeunes filles semblent avoir pleinement le choix de s’y soumettre ou non. Il nous donne l’exemple d’une fille du village qui a émis le choix à l’âge de 13 ans de ne plus porter cette parure et sa volonté a été respectée. En raison de l’accès à l’enseignement et de l’évolution des cultures, la tradition des anneaux en bronze portés autour du cou par les Kayan se perpétue chez les plus anciennes femmes mais recule chez les plus jeunes.

En sachant un peu plus sur cette tradition, nous redescendons avec Audrey à la rencontre de ces « femmes au long cou ». Nous aimerions bien discuter avec elles mais elles ne parlent quasiment pas anglais. Mais les échanges de sourires sont nombreux. Nous achetons des tissages que confectionnent ces femmes.

Nous sommes d’autant plus bien tombés dans cette famille que la maman de Mongnuai est donc l’unique femme du village (parmi les quatre autres) à porter ce collier de laiton en permanence. Et elle le porte fièrement non pas à but lucratif mais réellement comme un critère de beauté et un signe de préservation de sa culture Kayan.

La journée se passe ainsi, à s’échanger des sourires avec tous les habitants. Audrey reste dans une autre maison à confectionner des tuiles de feuilles alors que je descends à l’épicerie acheter des bouteilles d’eau potable. La maman de Mongnuai est en train de remplir des lourds bidons d’eau à l’aide de ce petit tuyau au débit si faible. Je reste à ses côtés pour l’aider à les transporter dans la cuve de sa maison.

Les enfants jouent entre eux. Nous écoutons les airs de musique des jeunes, en particulier la jolie voix de la rayonnante Abigaël. Et nous restons toujours étonnés par leur comportement. Ils sont si agréables. Aucune dispute. Aucun cri. Les heures défilent et ils changent tous d’activités au même moment. C’est l’heure du repas pour eux. Après avoir récité une prière, ils passent tous à table. Puis c’est à notre tour de manger le bon repas qui nous est servi.

Puis vers 20 heures, tous les jeunes se réunissent pour chanter des airs religieux. Nous sommes ensuite invités par Mongnuai, qui en tant que pasteur va célébrer un sermon religieux. Les 30 enfants sont bien attentifs à la lecture de l’Évangile de Jésus Christ selon Saint Luc et de cette rencontre de Jésus et Zachée. Nous nous asseyons et suivons l’homélie en suivant la Bible en anglais. Régulièrement, Mongnuai interrompt son discours en birman pour nous le traduire en anglais. Cette communion partagée avec tous ces jeunes est émouvante. Il est impressionnant d’observer la dévotion et la ferveur de tous ces jeunes qui sont bien habitués à partager ce même moment tous les jours. Une fois ce moment religieux terminé, tous les enfants, un à un, ainsi que Mongnuai, viennent nous serrer la main à tous les 4 en nous disant tous « God bless you » afin de nous remercier de la petite donation que nous avons faite à Mongnuai pour l’école.

Ensuite; les enfants font leurs devoirs jusqu’à 22 heures. Nous allons nous coucher dans notre chambre aux murs de bambous sur une petite paillasse.

Jeudi 5 mars 2020 :

5h15, le jour n’est pas levé mais outre les chants des coqs, ce sont déjà la lecture de la Bible et les chants chrétiens et entrainants des jeunes qui nous réveillent. La journée est déjà bien commencée pour ces enfants qui se lèvent tous les matins à 5 heures. Nous prenons en guise de petit déjeuner, une copieuse et délicieuse assiette composée de riz, de légumes croquants, de tofu, d’omelette et de petits morceaux de poulets.

Anaïs et Victor aident de nouveau les autres enfants à aller chercher de l’eau à la source avant qu’ils ne partent à l’école.

Ils reçoivent le Thanaka, le traditionnel maquillage birman avant de partir.

Puis, après avoir encore longuement échangé avec Mongnuai et Eh Gay Paw, nous partons le cœur serré de ce petit hameau de Kayan Taryar qui nous a tant offert. De la même manière que nous avons vécu d’intenses moments en forêt amazonienne à Sarayaku en Équateur, sur les îles flottantes Uros sur le lac Titicaca en Bolivie, dans l’intimité des yourtes en Mongolie ou bien encore sur le plateau des Bolovens au Laos dans un village animiste, ce moment partagé dans cette famille Kayan restera un moment fort et inoubliable de notre voyage. Que le hasard a encore une fois bien fait les choses ! Merci la vie… Nous sommes ravis de cette expérience et de ce rendez-vous en terre inconnue. Nous avions donc finalement bien rendez-vous avec notre destin…

Nous comprenons la frustration de certains voyageurs passés par ce village ou d’autres plus touristiques juste le temps de quelques instants en ne s’écartant pas de l’axe principal où quelques « femmes au long cou » ont enfilé leur « costume » pour la photo en échange de la vente de statuettes en bois, des foulards, des bracelets en laiton… Mais n’est-ce pas ce qu’ils sont venus chercher ? et n’est-ce pas ce que nous aurions également ressenti si nous n’avions pas fait cette rencontre ? Très certainement. Mais ces femmes qui n’ont pas d’autres moyens de gagner leur vie, vendent leur artisanat et continuent de porter leurs vêtements traditionnels, car elles savent bien que les touristes aiment les voir en « costumes ». Elles perpétuent cette tradition pour gagner leur vie.

Nous avons eu la chance de pouvoir prendre notre temps et d’être au contact durant 24 heures d’une famille Kayan qui nous a accueillis et avec qui nous avons pu échanger sur les us et coutumes de leur ethnie. Merci Eh Gay Paw et Mongnuai pour ce bel échange, pour ce que vous faites et pour l’avenir que vous offrez à ces jeunes enfants.

C’est à pied que nous retrouvons notre Tiny house où nous reprenons notre quotidien avant que Mongnuai, son ami Samuel et son fils Phon Khon ne passent nous saluer, partager un café et quelques parties de Uno.

Nous prenons la route vers la ville la plus proche Mae Hong Son où nous nous posons près du lac en plein centre. Petite sortie nocturne pour aller manger au petit night market pas très animé. Le tourisme est en forte baisse en ce moment toujours à cause de ce fichu virus…

Vendredi 6 mars 2020 :

6h10. Avec Audrey, nous laissons les enfants terminer leur nuit et nous partons au marché déjà bien animé en cette heure très matinale. Il déborde de belles couleurs et nous remplissons nos sacs à vrac de légumes et de fruits vendus à un prix vraiment très abordable. Cette fois, nous trouvons de succulentes fraises et comme d’habitude de délicieuses mangues.

Nous profitons d’observer discrètement la quête aux offrandes des moines. Pieds-nus, ils marchent d’un bon pas dans la rue et s’arrêtent devant les maisons où on leur donne un billet ou un peu à manger. En échange, ils bénissent les donateurs qui leur offrent quelque chose. Ils passent également d’un stand de marché à un autre.

L’ambiance de cette petite ville de montagne est paisible et bien agréable.

Retour à la Tiny alors que le soleil se lève à peine. Nos enfants également se réveillent juste et se régalent au petit déjeuner des gaufres encore chaudes, de la brioche fourrée à la noix de coco et de celle fourrée de raisins qu’on a ramenées du marché.

Après l’école, nous partons visiter le temple Wat Chong Klang. Les styles des temples sont différents de ce qu’on a vu jusqu’à présent. Celui-ci est d’inspiration birmane, tout en bois avec de nombreux toits verts à bords dorés. La statue de Bouddha est entièrement en osier. Le musée du temple abrite des statues en bois inspirées par l’art birman.

Puis en début d’après-midi, nous poursuivons notre route montagneuse. Le ciel est toujours obstrué par ce smog. C’est désolant. Nous ne sommes vraiment pas à la bonne saison pour faire cette jolie boucle. La vue est bouchée, les arbres ont perdu leurs feuilles, les rizières sont en jachère, les cascades nombreuses ont un niveau d’eau insuffisant pour mériter un détour, et les nombreuses sources d’eau chaude à plus de 40°C sont à la température de l’air donc ne sont pas très engageantes non plus. Mais bon, on ne va quand même pas se plaindre ! On n’est pas malheureux… on est bien plus heureux sur ces petites routes sinueuses et désertes que sur le reste du réseau routier thaïlandais qui dans sa grande majorité était vraiment triste.

Les 1864 virages dont je vous ai parlé précédemment sont simplement ceux comptabilisés entre Chiang Mai et Mae Hong Son mais ils n’ont pas compté les nombreux virages que nous prenons encore… Certainement autant. Ça n’en finit pas… Mais heureusement, les incendies sont un peu moins nombreux par ici et le ciel est moins bouché. On devine plus les nombreuses montagnes qui nous entourent. Quant au voyant rouge, il est toujours allumé sur mon tableau de bord. Parfois, il s’éteint mais pas longtemps. Mais les freins continuent à bien fonctionner. Nous passons de nombreux check-point en raison de la proximité de la frontière mais les policiers sont le plus souvent dans leurs hamacs…

Bivouac sur un parking de Mae Sariang.

Mais soudain, c’est la douche froide, nous apprenons par notre réseau de voyageurs, qu’à cause du Coronavirus se développant de manière exponentielle à travers le monde, notre entrée en Inde risque d’être compromise. L’Inde a publié un décret le 3 mars qui invalide tous les visas déjà émis à tous les ressortissants d’Iran, de Chine, de Corée, du Japon, tous des pays durement touchés par l’épidémie mais aussi de l’Italie. Nous ne sommes citoyens d’aucun de ces pays, mais au vue de l’évolution de l’épidémie en France, on craint que d’ici le 24 mars, date à laquelle nous sortirons du Myanmar pour entrer en Inde, la France soit malheureusement au stade actuel de l’Italie (100 morts le 3 mars) et qu’on nous interdise de passer la douane. Le fait qu’on ne soit passés par aucun un de ces pays dans les derniers mois ne semble pas influer sur la décision car c’est bien la nationalité d’origine qui semble faire la différence.

Mais qui dit, pas d’entrée en Inde, signifie que cela change toute la suite de notre parcours. Il n’y a pas d’autres routes possibles. Grosse déception pour nous qui avons déjà engagé de gros frais dans la suite de notre parcours.

Voici donc les différentes options qui s’offrent à nous. Sachant que nous devons prendre une décision ce week-end car notre entrée (ou pas) au Myanmar est prévue lundi matin.

  • Plan A : On fait comme si de rien n’était et on traverse le Myanmar comme prévu en 14 jours et on croise les doigts pour qu’on puisse entrer en Inde le 24 mars. Mais le problème est que des membres de notre convoi (composé à l’origine de 5 véhicules) risquent de nous quitter (ce qu’on comprend absolument) et donc nous allons être moins nombreux à se partager les frais du guide imposé au Myanmar.
  • Plan B : On fait comme si de rien n’était et on traverse le Myanmar comme prévu en 14 jours et on se fait refouler à la frontière de l’Inde. Demi-tour obligé mais certainement que pour nous seuls car nous pensons que les roumains et l’australien de notre groupe pourront entrer en Inde. Auquel cas, nous devrons assumer les frais du guide pour retraverser le Myanmar jusqu’à la frontière thaï. Mais la grosse incertitude est dans le fait que nous courons un gros risque de ne pas pouvoir entrer de nouveau en Thaïlande car, comme je vous en avais déjà parlé, la circulation en camping-car étranger est interdite sur le territoire thaï, à moins de passer par une agence, d’acheter un permis de conduire… Nous avions eu la chance de pouvoir passer en sortant du Cambodge par une frontière poreuse qui n’appliquait pas la loi. Une chose est certaine, c’est que la frontière par laquelle nous allons passer lundi à Mae Sot ne nous laissera pas passer dans l’autre sens car d’autres voyageurs se sont déjà faits refouler. On croise les doigts pour qu’une autre frontière poreuse plus au nord du Myanmar nous laisse passer. Dans ce cas-là, nous filerons vers la Malaisie pour prendre un bateau directement vers l’Afrique du Sud. Mais cela est très onéreux et outre le coût du shipping, on perdrait ce qu’on a déjà engagé : visas pour le Myanmar, visas pour l’Inde, billets d’avions pour rejoindre l’Afrique au départ de Mumbai, billets d’avion pour notre cher Mattéo qui nous rejoint au Népal en avril…
  • Plan C : Idem plan B, mais on ne peut pas entrer de nouveau en Thaïlande. Nous serons alors obligés de laisser la Tiny au Myanmar le temps que la situation se débloque, ce qui pourrait prendre plusieurs semaines ou mois. Il nous faudrait alors prendre l’avion et quitter le Myanmar avant l’expiration de notre visa d’une durée totale de 28 jours. Et revenir en avion pour entrer en Inde quand on le pourra.
  • Plan D : Idem plan B, mais on peut entrer en Thaïlande seulement avec un guide et une agence, par la frontière de Mae Sai. Dans ce cas-là, il nous faudrait en deux jours rejoindre le nord du Laos, retraverser le Laos pour essayer de rentrer en Thaïlande par l’un des deux postes de frontière que l’on connait poreux. Au pire, retraverser le Cambodge pour passer par l’un des deux postes poreux. Puis de nouveau la Thaïlande, la Malaisie et le bateau.
  • Plan E : on fait dès à présent une croix sur le Myanmar, l’Inde et le Népal et on descend directement sur la Malaisie mais notre visa thaï et notre TIP pour le véhicule expirent lundi. Et nous sommes à 1800 km de la frontière !
  • Plan Q : Je garde ça pour nous.

Bon, je ne vous cache pas que mise à part la dernière option qui nous tente bien, on se dirige vers le plan A. A moins que la situation n’évolue dans le mauvais sens d’ici deux jours et que l’Inde interdise tout de suite l’entrée aux français, ou à moins qu’il y ait trop de désistements dans notre groupe, rendant trop onéreux les frais d’agence pour traverser le Myanmar avec la grosse incertitude de l’entrée en Inde… Le moral reste bon. On trouvera forcément une solution. Mais ça fait beaucoup de « si… »

Samedi 7 mars 2020 :

La nuit a été agitée, non pas par la mise en application du dernier plan, mais par lequel choisir parmi les 5 autres…

Il ne nous reste plus que 99 km pour en terminer avec la montagne et rejoindre la rivière Moei qui marque la frontière avec le Myanmar. Mais ce sont plus de 2h45 qu’il nous faut pour les parcourir tellement la route est sinueuse et tellement les pentes sont prononcées par endroit. On les monte à 20 km/h et on les descend à 10 ou 15 km/h pour épargner les freins. Mais enfin, les brûlis sont quasiment terminés, le ciel redevient bleu et le taux de particules fines diminue, bien qu’il reste encore important. Il continue à tomber régulièrement des cendres du ciel. Du coup, nous pouvons profiter du joli paysage et des superbes montagnes. La végétation redevient très dense par moment. Que c’est bon de revoir du vert…

La chaleur est très forte. 37°C à l’ombre mais plus de 40°C dans la Tiny. Et à la vitesse où on roule, il n’y a pas beaucoup d’air qui entre par les fenêtres.

Ban Tha Song Yang

Notre étape prévue pour ce soir n’est pas commune. Nous avons prévu une visite culturelle qui sort de l’ordinaire. Pour cela, nous nous sommes servis d’un livre offert par Émilie et Boris : « Toilettes du monde ». Ce sympathique ouvrage recense des endroits insolites de petits coins répartis sur toute la planète. Le seul de Thaïlande est sur notre route tout en bas de cette montagne à l’endroit où la route rejoint la frontière birmane. Nous avons donc une envie pressante d’aller découvrir les toilettes d’un orphelinat dans le village de Ban Tha Song Yang. La position GPS nous fait traverser ce petit hameau par des chemins assez étroits. Les derniers 300 mètres se font à pied et … nous ne trouvons pas les toilettes qui ne sont pas à la position indiquée sur notre guide. Qu’importe, on ne serait jamais venus ici dans ce petit village sinon ! Nous apprécions la sérénité des lieux, les mignons potagers, les plantations de bananiers et d’ananas. Les habitants paraissent ici assez pauvres. Les maisons ne sont pas toutes raccordées au réseau électrique. Là où nous avions vu précédemment que les toitures étaient composées de tôles métalliques recouvertes de feuilles, ici il n’y a simplement que des feuilles. La seule voiture du village est bien déglinguée.

Nous allons poser notre bivouac sur la place du village entourée de maisons de bambous sur pilotis. Une jeune femme nous interpelle par un joli et souriant « bonjour » en français. Nous lui demandons l’autorisation de dormir sur la place. Elle hésite un court instant et accepte. Nid est une des professeurs de l’école qui accueille une cinquantaine d’élèves. Nous discutons avec elle alors qu’elle est en train de décorer de fresques les murs de la toute petite école. Elle propose à Anaïs et Victor de participer à la tâche. Les enfants du village visitent la Tiny, jouent avec trois fois rien à l’extérieur. Le seul vélo est en bien mauvais état mais parcourt encore quelques kilomètres. La balle en rotin sert à faire de beaux échanges de Takraw, le sport national en Thaïlande proche du volleyball.

Ban Tha Song Yang est un village de réfugiés Karen d’origine du Myanmar. Nid nous explique que la majorité des habitants n’ont pas de papiers thaï et ne sont donc pas autorisés à sortir du village. Il y a un camp fermé de réfugiés juste à côté mais aujourd’hui encore, nous n’avons pas compris pourquoi certaines personnes avaient le droit de vivre en dehors de ce camp sans avoir de papiers. Nid a des papiers thaïs car elle est née ici et son niveau d’éducation et sa profession lui ont permis de se faire naturaliser. Ses enfants qui s’appellent Neung, Song et Sam (qui signifie tout simplement un, deux et trois !) sont également thaï car ils sont nés ici. Par contre, Pasu, son mari n’a que le statut de réfugié politique. Il arrive cependant à faire renouveler tous les 6 mois un permis de séjour temporaire qui lui donne le droit de travailler en Thaïlande dans la ville la plus proche. Ils nous invitent à dîner avec eux.

Nous discutons et échangeons beaucoup sur leurs conditions de vie, sur le désengagement total de la Thaïlande. L’école est entièrement financée par 5 américains. Il n’y a qu’une seule classe pour tous les élèves. Pas de matériel. La bibliothèque a plus d’ouvrages dans des langues étrangères qui sont des dons de gens de passage. Le rôle de Nid ne se limite pas à l’enseignement. Elle s’occupe aussi d’accueillir 18 filles et 6 garçons à l’internat, de les emmener quotidiennement à l’église.

Quelle belle rencontre encore grâce à notre guide sur les toilettes du monde !

Dimanche 8 mars 2020 :

Anaïs et Victor jouent avec les enfants du village, et nous offrons des casquettes, des crayons, une couverture, et quelques billes de Papi Daniel qui leur font tellement plaisir ! En échange, nous recevons des bouteilles d’eau, des gâteaux, des glaces, des fleurs…

Dernier tronçon de route en Thaïlande pour rejoindre Mae Sot, la ville frontière. La route est toujours un peu sinueuse mais il n’y a plus de dénivelé. On ne fait que suivre sur 140 km le cours de la rivière marquant la frontière avec le Myanmar.

Nous passons à côté de l’immense camp de réfugiés de Mae La composé de milliers de maisons comme on a pu en voir dans les précédents villages où nous avons séjourné. Mais celui-ci est le plus grand des 9 camps de réfugiés Karens en Thaïlande. Il abrite 50 000 réfugiés et le nombre continue d’augmenter. C’est un camp fermé bien que le simple grillage barbelé nous semble bien frêle et a beaucoup de trous dedans. A l’approche de ce camp, les check points se multiplient mais aucun policier ne nous arrête.

Mae Sot

Nous arrivons à Mae Sot, notre longue boucle de 630 kilomètres depuis Chiang Mai se termine. Après quelques courses, nous rejoignons les autres membres de notre convoi avec qui nous allons traverser le Myanmar car nous sommes obligés de le faire avec un guide qui nous accompagne durant les 14 prochains jours. Aussi, nous nous sommes réunis pour partager les frais de l’agence qui s’élèvent tout de même à 500 dollars par véhicule auquel il faut évidemment ajouter les visas de 40 dollars par personne. Ça fait cher pour 14 jours de traversée mais c’est la seule route possible pour continuer notre route vers l’Inde, en espérant encore une fois qu’on nous laissera passer. Mais cela reste raisonnable. Nous avons dépensé bien plus pour la Chine ou le Vietnam.

Nous retrouvons donc une famille de roumains, composée de Roxana, Adrian et leurs deux filles Mara et Irina, au volant d’un Mercedes 310 4×4 avec qui nous avions déjà passé un moment sur l’île de Qeshm en Iran il y a un peu plus d’un an. Sidonie et Sylvain, sont français et conduisent un fourgon Fiat Ducato. Rada et Henning sont allemands et sont au volant d’un véhicule mythique que nous avons beaucoup vu en Russie et en Mongolie et avec lequel nous avions fait notre excursion dans le désert de Gobi, un UAZ assez récent. Enfin, Stuart est un motard australien. Le bivouac s’installe pour les deux prochaines nuits au bord d’un lac artificiel à côté de Mae Sot. Nous faisons tous connaissance et évidemment parlons beaucoup de l’incertitude quant à la suite de notre itinéraire…

Lundi 9 mars 2020 :

Journée technique avec gros ménage, grosse lessive grâce à l’eau du château d’eau voisin dans le réservoir duquel je monte remplir mes bidons, quelques bricolages sur la Tiny. Nous profitons du lac voisin pour nous rafraîchir aussi.

Le sujet de conversation et de réflexion est toujours là… J’appelle l’Ambassade de France en Inde qui évidemment ne peut se prononcer sur la situation du Coronavirus dans 15 jours. Aujourd’hui, selon eux, la situation reste très confuse et c’est un peu du cas par cas. Ils m’annoncent que dans la journée, ils vont mettre à jour leurs consignes sur le site du gouvernement, en invitant les français à ne plus se rendre en Inde… Finalement, il n’y a pas de désistement dans le groupe. Tout le monde fait le pari que ça marchera. Si ça ne marche pas, nous serons au moins trois équipages en galère, car si jamais l’Inde bloque l’entrée aux ressortissants français, il y a de grande chance pour que nos compagnons allemands soient aussi refoulés. Réponse le 24 mars !