524 km parcourus du 14 au 20 mars 2020
54 323 km parcourus depuis le départ
Samedi 14 mars 2020 :
Comme je vous l’expliquais dernièrement, après notre refoulement de dernière minute à la frontière birmane et notre traversée express de la Thaïlande pour rejoindre la Malaisie, nous avons besoin de repos. Le stress a été important de ne pas pouvoir nous réfugier à temps dans ce pays avant la fermeture de la frontière. La fatigue des 1700 km en 4 jours s’est accumulée. Mais la sérénité est maintenant là. Le temps de voir comment l’épidémie du Covid-19 évolue, nous pouvons rester au maximum 90 jours en Malaisie. D’ici là, on aura donc pris la décision de notre prochaine destination qui on l’espère sera l’Afrique du Sud début juin après une pause sur l’île de La Réunion. Mais bien entendu, nous ne sommes pas en mesure, alors que le bilan explose dans tous les sens et que les frontières sur tous les continents se ferment les unes après les autres, de prédire l’avenir, même à court terme. Le Covid-19 épargnait jusqu’à présent la Malaisie mais, comme partout, le virus se propage. A nous de rester vigilants pour nous protéger et protéger les autres. Ce bivouac est l’idéal pour nous reposer et pour appliquer les mesures de distanciation sociale !
Mais alors que nous sommes loin de nos proches, alors que nous sentons l’inquiétude de tout le monde, alors que nous allons peut-être devoir modifier ou raccourcir la fin de notre belle aventure, c’est avec joie que nous accueillons et que nous partageons notre bivouac avec Sidonie et Sylvain (Les Rock’n’roule), nos compagnons de convoi de la traversée du Myanmar. Journée tranquille à reprendre l’école après 4 jours de pause, à souffler, à boire des bières pour supporter les 43°C de température ressentis ! A défaut d’ombre, heureusement, il y a un peu d’air.
Dimanche 15 mars 2020 :
Comme hier, nous profitons de ce charmant endroit au bord du lac de Timah Tasoh et de nos charmants compagnons de bivouac. Nous gardons un œil régulier sur l’actualité, locale et internationale. Nous nous questionnons beaucoup, comme Sido et Sylvain et tant d’autres voyageurs, sur la suite de notre voyage. Je passe la matinée à m’occuper de l’entretien de la Tiny et notamment à vidanger l’huile du moteur, pour la 6ème fois depuis le début du voyage.
Les premiers échanges avec les Malaisiens sont sympathiques. On retrouve avec joie, l’accueil des musulmans. Ils parlent dans l’ensemble très bien anglais ce qui facilite la communication. Déjà, nous recevons en cadeau des œufs, de l’huile, des petits gâteaux et même une invitation lors de notre prochain passage à Kuala Lumpur !
Nous recevons la visite de nombreux Malaisiens qui prennent des dizaines de photos de notre campement. Ils sont assez curieux mais assez respectueux en demandant s’ils peuvent prendre des photos. Bon, j’interviens quand-même auprès de l’un d’entre eux, à qui j’avais donné l’autorisation de prendre une photo, car alors qu’on est en train de manger installés dehors, il reste 10 minutes à nous mitrailler avec son téléobjectif… C’est étonnant ces différences de cultures juste en passant une frontière. Cependant, ils ne sont pas « intrusifs » comme d’autres nationalités (Iran, Mongolie, Vietnam) à monter dans la Tiny sans même demander l’autorisation.
De nombreux couples de futurs mariés viennent se faire photographier auprès du lac et profitent de la Tiny pour prendre de (très) longues poses devant !
Anaïs et Victor, après ces quelques journées, à ne pas bouger de leur siège durant notre traversée de la Thaïlande, apprécient de gambader sur ces grands espaces, d’aller jouer auprès du lac…
Demain, nous allons prendre des routes différentes de nos amis. C’est donc avec quelques heures d’avance que nous fêtons l’anniversaire de Sido. Ce qui nous donne l’occasion de prendre du bon temps autour de notre crêpière et de savourer une bouteille de Champagne qu’ils sortent de leur cave. Merci les amis !
Lundi 16 mars 2020 :
Nous prenons la route, après cette pause de trois nuits au même endroit qui nous a permis de bien souffler. A présent, à nous la Malaisie pour visiter. Nous roulons vers l’île de Penang. Une île peuplée de 1,6 millions d’habitants. Nous y accédons par un des deux immenses ponts à haubans la reliant à la péninsule malaise. Celui que nous empruntons est long de 8 kilomètres.
Le pont voisin, le Jambatan Sultan Muadzam Shah Bridge a une longueur totale de 24 km, ce qui en fait le plus long pont d’Asie du Sud-Est !
Nous arrivons face à une forêt d’immeubles dans la capitale historique de Georgetown. Nous circulons sur de grands axes au milieu de hauts immeubles avant d’arriver dans la partie plus ancienne où de vieux bâtiments coloniaux témoignent du passé prestigieux de la ville. A l’époque coloniale, Penang, la « perle de l’Orient » fut l’un des trois grands comptoirs britanniques du détroit de Malacca. De par sa position stratégique, la ville au 18ème siècle intéressa les Anglais qui étaient en pleine expansion territoriale. Leurs navires chargés d’opium et de thé y faisaient escale entre l’Inde et la Chine. L’île était aussi un point stratégique pour contrer les ambitions néerlandaises en Indonésie et françaises en Indochine. Aujourd’hui Penang est une plaque tournante du commerce maritime.
Nous arrivons sur un bivouac bien situé non loin du centre historique de Georgetown devant les ruines d’une école.
Il est un peu tard pour partir visiter. La température approchant les 40°C est difficilement supportable. Nous nous posons et irons visiter demain matin.
Mardi 17 mars 2020 :
La nuit n’a pas été reposante avec les températures qui n’ont pas baissé dans la nuit. Au réveil, il fait encore presque 30°C dans la Tiny. Il y a bien longtemps qu’en France, on serait déjà en alerte canicule avec un bandeau rouge en bas de l’écran de BFM TV… Mais le bandeau rouge qu’on imagine défiler en boucle actuellement pour d’autres raisons en France résonne jusqu’ici. En raison de la pandémie du Covid-19, l’Asie du Sud-Est jusqu’à présent épargnée voit ses mesures de protection renforcées. Nous apprenons au réveil qu’à son tour, la Malaisie annonce un confinement à partir de ce soir minuit. Pour l’instant, 15 jours de privation de circuler, de fermetures des écoles, des magasins… Mais on s’attend déjà à un renouvellement de cette juste mesure prise pour nous protéger. Que faire ? Prendre le risque d’être bloqués au minimum un mois sur l’île de Penang ? La visite de la ville de Georgetown mérite bien quelques jours de visite mais tout va fermer à partir de demain. Se poser sur une plage ? Non, car on ne pourra jamais supporter ce climat pendant un mois. Nous décidons donc de ne consacrer que notre matinée à la visite de la ville et de prendre la route en début d’après-midi pour prendre un peu d’altitude à l’intérieur des terres. Dommage, nous qui avions prévu de nous poser dans cette ville au moins trois jours tellement il y a de choses à visiter. Mais c’est ainsi.
Nous allons marcher dans les vieux quartiers où se mélangent les églises, les mosquées, les temples chinois, hindous et bouddhiques. L’architecture coloniale et chinoise se côtoient. La ville de par sa richesse architecturale et culturelle est classée au Patrimoine mondial par l’UNESCO.
Les Chinois peuplent à plus de 40% la ville. Autant dire qu’on voit beaucoup de devantures avec des idéogrammes, et des trishaws pilotés par des hommes coiffés de chapeaux de paille. Mais le tourisme est en berne en ce moment et nous croisons peu de touristes.
L’Eastern and Oriental Hotel construit en 1885 est un palace mythique occupant un édifice colonial. Il a accueilli des écrivains et des artistes célèbres comme Charlie Chaplin.
Le City Hall achevé en 1903 abrite l’hôtel de ville derrière sa façade blanche décorée de colonnes corinthiennes.
L’église Saint Georges est la plus ancienne église anglicane d’Asie du Sud Est. Cet édifice de style néoclassique avec fronton et colonnes date de 1818.
La Clock Tower a été édifiée pour commémorer le jubilé de diamant de la reine Victoria. Elle mesure d’ailleurs 60 pieds de hauteur.
Le Kuan Yin Teng Temple est le plus vieux temple chinois de la ville. Il date de 1800. C’est un sanctuaire très fréquenté par les fidèles qui viennent se recueillir, brûler des papiers, faire des offrandes d’huile. D’énormes bâtons d’encens brûlent. De nombreuses lampes en soie rouge et or décorent le temple.
L’art de rue est une spécificité de la ville et on aimerait passer plus de temps à partir à la découverte de toutes ces œuvres de street art.
On aurait aimé également passer du temps à tester l’incroyable variété de spécialités culinaires de la ville réputée pour sa gastronomie mais il est temps de prendre la route.
Plusieurs signaux nous rappellent que le Covid-19 est en train d’arriver à grands pas en Malaisie.
Nous nous arrêtons, en vue de notre confinement, à l’hypermarché Tesco. Et là, comme partout, c’est la panique dans les rayons… Mais nous parvenons quand-même à compléter notre stock alimentaire pour être en autosuffisance quelques semaines.
Nous roulons sur l’autoroute bordée de milliers d’hectares de plantations de palmiers à huile. La Malaisie produit 35% de l’huile de palme dans le monde au deuxième rang mondial derrière l’Indonésie qui en produit 50%. Bien loin derrière en troisième place, la Thaïlande n’en produit que 3%. Autant dire qu’il y en a partout.
Nous roulons dans le but de nous percher sur les hauteurs des montagnes malaisiennes dans le massif des Cameron Highlands. C’est un vaste plateau montagneux à 1400 mètres d’altitude où on compte se poser pour notre confinement imposé. En fin d’après-midi, nous arrivons sur le camping que nous avons repéré auparavant sur internet. Mais celui-ci nous refuse l’entrée car il va fermer ce soir pour 15 jours. L’après-midi est déjà bien avancée et nous n’avons pas de bivouac et demain nous ne pourrons pas rouler. Nous continuons sur une étroite route sinueuse vers Tanah Rata mais pas moyen de s’arrêter, ni de trouver un bivouac. C’est une autre Malaisie que nous voyons. Des petites maisons sur pilotis, construites en bambou et coiffées de tôles refont leur apparition, bien loin des hauts buildings de verre et d’acier de ce matin.
Les montagnes sont recouvertes de superbes plantations de thé mais aussi d’horribles cultures sous serres plastique. Nous arrivons finalement dans cette petite ville où nous retrouvons Sido et Sylvain, qui eux aussi ont décidé de trouver un peu de fraîcheur. Mais le deuxième camping dans lequel nous arrivons est également fermé. De nuit, nous nous réfugions sur le parking privé d’un hôtel qui fera l’affaire pour ce soir mais pas pour le mois à venir.
Mercredi 18 mars 2020 :
Sido et Sylvain ont eu un contact par les réseaux sociaux qui nous met gracieusement à disposition une maison pour nous poser le temps qu’il faudra. Quelle générosité ces Malaisiens ! Ils partent en reconnaissance après avoir eu un laisser-passer de police les autorisant à changer de province. L’entrave à la circulation ne concerne pas encore les déplacements au sein d’une même province. De notre côté, nous tournons en ville pour essayer de trouver un meilleur bivouac. Cette proposition de maison prêtée est alléchante mais on a peur d’avoir trop chaud car elle se situe dans la plaine à deux heures de route. Et on sera peut-être à l’étroit pour que les enfants puissent galoper dehors.
Finalement, sans beaucoup chercher, nous trouvons un chouette lieu sur le parking de la mosquée Abu Bakar. Son grand parking asphalté domine la ville. Pas d’ombre mais un joli abri nous protégeant du soleil et de la pluie car la région est assez arrosée ici, bien que nous arrivions dans la meilleure saison. On peut y installer notre matériel de camping. On peut se brancher sur l’électricité et on a de l’eau à disposition, ce qui est le paradis pour des voyageurs s’installant un long moment au même endroit. Le luxe même ! L’endroit est gardé par un vigile. On vient nous accueillir et nous dire qu’il n’y a pas de problème pour qu’on s’installe ici. On apprécie beaucoup d’être à 1440 mètres d’altitude et d’avoir des températures clémentes ne dépassant pas les 25°C. On a une jolie vue sur la ville de Tanah Rata.
On vit donc notre première journée de confinement, bien décidés à jouer la sagesse pour nous protéger et protéger les autres et pour participer à l’effort collectif et indispensable. Je ne vous cache pas que l’angoisse monte quand-même quant à l’organisation de la suite de notre aventure.
Déjà, on se pose forcément la question de rentrer immédiatement en France en laissant la Tiny en gardiennage ici. Mais qu’allons-nous faire en France ? On n’a plus de maison. Il est hors de question qu’on aille s’installer chez des amis ou de la famille car l’idée est justement de se confiner chacun chez soi. Et on se doit de protéger les autres car revenant de voyage et après avoir passé 24 heures dans les aéroports et les avions, on serait porteurs éventuels du virus. On pourrait bien louer quelque part un petit gîte en France mais les enfants n’auraient aucun jeux ou activités pour s’occuper. Et puis moralement, ce serait tellement dur de se savoir près de nos proches sans pouvoir en profiter. D’un point de vue sanitaire, nous avons la chance d’être dans le pays le mieux équipé d’Asie du Sud-Est au point de vue qualité de soins si nous venions à être malade. Pas certain qu’on soit plus rassurés en France avec les hôpitaux bondés et privés de matériel. Comme nous avons souscrit notre assurance rapatriement avant le début de l’épidémie, celle-ci nous couvrirait si le besoin se présentait de revenir en France pour raison de santé. Nous avons pris contact avec l’Ambassade de France à Kuala Lumpur pour nous signaler. Nous recevrons désormais les alertes par mail de la cellule de crise. Le seul risque que l’on prend est que les vols commerciaux s’arrêtent. Mais pour l’instant, il y en a encore régulièrement.
Donc, nous pensons et espérons avoir fait le bon choix de nous poser ici et de profiter de notre nouveau bivouac. Nous sommes suffisamment isolés pour n’avoir la visite de personne. Quelques chemins de randonnées démarrant à 200 mètres de notre bivouac nous permettront éventuellement de nous évader pour prendre l’air.
On n’est pas malheureux mais le moral est moyen. Il est encore tôt pour prendre une décision mais peut-être que notre rêve de découvrir l’Afrique va lui aussi s’envoler, alors que nous venons juste de renoncer à l’Inde et au Népal. C’est dur. Mais on n’est pas à plaindre.
On pense beaucoup à nos amis voyageurs qui pour certains vivent des situations bien plus compliquées que nous, étant contraints d’abandonner leur véhicule et de revenir en France. On pense à tous les voyageurs en sac à dos qui se voient refuser l’accès à leurs hôtels et qui n’ont d’autres choix que de rentrer alors que les vols commerciaux sont indisponibles sur certaines lignes. On pense à tous les futurs voyageurs qui devaient partir d’ici un à deux mois, qui ont déjà posé leur démission ou enclenché leur congé sabbatique, qui ont mis leur maison en location ou dénoncé leur bail et qui voient leur projet d’une vie tomber à l’eau. On n’est donc vraiment pas malheureux. Nous avons le temps de laisser passer l’orage. Plus de deux mois à attendre avant notre rendez-vous sur l’île de La Réunion fin mai où on espère que notre moment tant attendu avec la famille pourra être maintenu.
L’accueil du gardien de la mosquée et de l’imam est très sympathique. Ils nous amènent même à manger !
Jeudi 19 mars 2020 :
Tout comme vous, notre petite vie en confinement s’organise, à la différence près, que nous sommes déjà habitués à vivre 24/24 ensemble, dans un petit espace, à faire l’école à nos enfants… On pense bien fort à notre famille, à nos amis qui sont loin de nous. On pense aussi très fort à nos amis voyageurs, avec qui nous avons passé tant de bons moments ces derniers mois, pour qui le voyage se termine ces jours-ci et qui sont sur le chemin du retour (déjà prévu à cette date depuis longtemps et non lié à l’épidémie) et qui arrivent en France dans un climat bien particulier.
Le moral a des hauts et des bas. De gros moments de doute laissent place à un peu d’optimisme et d’envie d’aller de l’avant en se disant que tout va s’arranger.
Anaïs et Victor écoutent d’une oreille nos conversations avec Audrey, et nos appels avec des amis présents sur différents continents. Ils perçoivent notre inquiétude. Mais ils restent sages, patients. Ils passent des heures à s’occuper, à jouer aux Lego, à confectionner des bijoux, à dessiner. Ils passent un peu plus de temps que d’habitude sur les écrans. Eux aussi ont besoin d’échanger avec leurs amis.
On tourne un peu en rond. On passe des heures à ranger, à nettoyer la Tiny, mais comme pour vous certainement, on aura vite fait le tour… Je nettoie le bivouac. Victor désherbe notre jardin. On s’approprie les lieux. On tend la corde à linge. On enchaine les lessives. La journée passe assez vite.
Vendredi 20 mars 2020 :
Le bivouac est parfait mais nous surplombons la mosquée et nous sommes donc au niveau du haut du minaret en haut duquel des hauts parleurs sont dirigés dans notre direction. Ils sont à une dizaine de mètres. L’appel à la prière de 6h15 est bien matinal. On se retrouve assis d’un seul coup avec l’impression que le muezzin est dans notre lit !
Le rythme du matin ne change pas beaucoup de notre vie habituelle de voyageurs. Le programme scolaire se déroule toujours bien.
Cet après-midi, nous partons randonner. Plusieurs sentiers partent depuis notre bivouac. Il y a tellement longtemps qu’on n’a pas marché ! Et puis, le confinement n’est pas encore total. En plus de trois heures de randonnée, nous ne croisons que deux personnes. La marche n’est pas longue. Environ 5,5 km mais 400 mètres de dénivelé positif pour arriver au sommet du Gunung Berembum à 1840 mètres d’altitude. Que ça fait du bien de s’oxygéner et de se dégourdir les jambes…
De retour à la Tiny, l’imam de la mosquée nous apporte de nouveau à manger ! Les enfants reprennent leurs activités.
Avec Audrey, on passe beaucoup de temps à suivre l’actualité internationale. Nous avons le vertige à la lecture des bilans en hausse exponentielle et à ses courbes qui ne cessent de monter à la verticale. Au-delà le nombre effrayant des victimes liées à la pandémie du Covid-19, en ce qui nous concerne, on suit beaucoup des sites spécialisés sur les frontières qui une à une se ferment. Il n’y a plus aucun continent ou sous-continent épargnés. Les groupes privés sur Facebook de voyageurs que nous suivons qui d’ordinaire, ne diffusent que des bonnes nouvelles des 4 coins de la planète, sont quasi entièrement dédiés à la triste réalité de la déferlante de la pandémie de coronavirus qui progresse inexorablement. Une à une, les familles de voyageurs, que l’on suit sur les réseaux sociaux ou sur les différents blogs, renoncent à leur rêve et rentrent au bercail. Nombre d’entre elles se mettent comme nous en confinement mais l’inquiétude et l’angoisse montent. Les points rouges grossissent de jour en jour sur les cartes de tous les continents. On s’interroge de plus en plus sur la suite de notre itinéraire. Évidemment, nul ne sait l’ampleur que va prendre l’épidémie. Mais nul n’est optimiste, ni naïf, ni dupe. On peut espérer que dans deux à trois mois, le plus dur soit passé en France et en Europe, à condition que le confinement qui est aujourd’hui la seule clé pour vaincre l’épidémie, donne du temps aux soignants de sauver des vies.
Mais on craint qu’en Afrique, notre prochain continent, la situation soit plus compliquée à gérer. Alors que dans certains pays, le taux de personnes déjà atteintes par le SIDA atteint 20% des adultes, qui sont donc immuno-déficientes, à quel rythme va se développer le Covid-19, quand il va arriver pour de bon ? Ces pays commencent juste à être touchés donc d’ici deux à trois mois, on craint le pire pour ces populations. Plusieurs mesures drastiques ont déjà été prises par certains gouvernements pour enrayer la chaîne de transmission du virus mais ces pays n’auront pas les moyens de confiner leur population comme dans de nombreuses autres régions du monde. En Afrique, où les revenus des personnes sont essentiellement liés à l’économie informelle, le confinement va être extrêmement compliqué à faire appliquer. Cette mesure va poser un gros problème de survie, car presque tous les Africains sont obligés de travailler hors de chez eux, sans quoi, ils n’ont pas de quoi subvenir à leurs besoins. La plupart d’entre eux n’ont pas de réserves bancaires et ne feront pas de télétravail. De plus, la pandémie ne sera pas freinée par les gestes barrières préconisés, comme le lavage des mains car l’accès à l’eau est déjà une problématique dans de nombreuses zones du continent. La surpopulation, les bidonvilles, les problèmes d’hygiène, la malnutrition ne vont rien arranger. Étant données les conditions de vie misérables dans de nombreuses villes et townships, cela pourrait provoquer une hécatombe sanitaire et sociale. Le ministre sud-africain de la Santé, a déjà qualifié la situation d’« explosive ». L’Organisation Mondiale de la Santé vient de sonner l’alarme et a invité l’Afrique « à se réveiller et à se préparer au pire » le plus tôt possible.
Sera-t-il donc raisonnable dans deux à trois mois de décider d’envoyer la Tiny en Afrique du Sud et de partir sillonner le continent durant un an, tout en sachant que la situation sanitaire est déjà préoccupante et que le système de santé déjà gravement défaillant et manquant cruellement de moyens n’est pas du tout adapté pour affronter le virus ?
Au-delà l’aspect sanitaire, des familles de voyageurs actuellement sur place ne nous donnent pas des nouvelles rassurantes de la réaction de certains Africains face aux occidentaux. Nous appelons cet après-midi des amis voyageurs actuellement en Tanzanie et en Namibie. Même si globalement les populations restent accueillantes, ils reçoivent déjà quelques signes d’agressivité, de suspicion, d’hostilité et de racisme à leur égard face à cette « maladie de Blancs ». Là où ils recevaient des pouces levés et des sourires, ils commencent à se voir maintenant traités de « corona », ils rencontrent des personnes leur faisant signe de partir. D’autres se cachent le nez quand ils les voient passer. Des cyclistes se sont fait caillasser la semaine dernière en Éthiopie. Nous craignons que ce problème sanitaire ne fasse qu’accentuer les tensions communautaires et sociales dans de nombreux pays instables comme le Soudan, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud. La ministre de la Défense du Zimbabwe a récemment dit que l’épidémie de Coronavirus qui frappe l’Europe et les États-Unis est le « signe d’une vengeance divine contre des pays qui sanctionnent le Zimbabwe ».
Cela fait quelques jours que nous commençons à préparer les enfants mais ça y est, nous leur annonçons que nous renonçons à partir en Afrique. Victor fond en larmes, nous disant qu’il ne veut pas que le voyage s’arrête et qu’il n’a pas envie de rentrer. Anaïs, qui est plus grande pour contenir ses émotions, semble moins affectée par l’idée de partir visiter un autre continent et nous dit que du moment que le voyage continue, ça ira… Leur réaction, au fond de nous, nous réconforte en nous disant qu’ils se sentent bien dans notre riche aventure. Mais nous sommes tellement peinés et déchirés de renoncer à ce continent.
Voici donc le programme que nous envisageons. Bien entendu, il évoluera certainement compte tenu de l’évolution de la pandémie. Déjà, la fin du mois de mars et le mois d’avril vont être consacrés à l’isolement, au confinement et à la « distanciation sociale ». C’est quand même le comble pour des voyageurs pour qui la première raison du voyage est d’aller à la rencontre de l’autre. Mais il n’y a pas le choix. En espérant que cela s’améliore d’ici un mois et que les conditions de circulation nous le permettent, nous passerons le mois de mai à la visite de la Malaisie. Ensuite, à condition que le confinement en France et en outre-mer et que les restrictions de passages de frontières soient levés, on espère pouvoir maintenir notre passage sur l’île de La Réunion. Durant ce moment, la Tiny naviguera entre la Malaisie (Kuala Lumpur) et la France (Le Havre). Nous sommes déjà en contact avec Daryl, qui s’occupera du gardiennage sécurisé de la Tiny en attendant le bateau et de son chargement sur le flat-rack (container). Déjà, nombre de nos amis sont passés par les services de ce transitaire et nous n’avons que des bons retours. Nous sommes donc rassurés à ce sujet. Au cas où nous devrions rentrer en urgence si on apprenait que les vols commerciaux s’arrêtaient, nous ne sommes pas loin de l’aéroport et du dépôt de Daryl. Et oui, ceci est peut-être le dernier article de l’Asie du Sud-Est… Peut-être que dans le prochain, je vous dirai que nous avons atterri à Roissy !
En tout cas, chère famille, chers amis, chers anonymes qui nous lisent, soyez prudents, restez à l’abri. On pense fort à vous. On tire notre chapeau et on pense fort à tous nos proches qui bossent dans le milieu de la santé en France et qui tous les jours se battent pour sauver des vies tout en faisant face à une pénurie de moyens. On pense à tous nos proches qui bossent, la trouille au ventre, car ils ont des professions indispensables et qui prennent également des risques au quotidien. On pense à ceux qui mettent tous les moyens en place pour faire en sorte que les enfants puissent continuer à recevoir un enseignement à distance. On pense à ceux qui prennent des risques en se portant volontaires pour garder les enfants du personnel médical mobilisé pour nous sauver. On pense enfin à tous nos proches qui gèrent des entreprises, ou qui en tant qu’indépendants rament également. Courage à toutes et à tous.
Quant à nous, rassurez-vous, notre aventure ne va pas s’arrêter et on continuera à vous faire rêver et à vous donner encore de la lecture pendant au moins un an… On prévoit, dès que les conditions sanitaires le permettront, de partir faire une jolie boucle en Europe pour notre dernière année de cavale.
Voilà donc où nous en sommes. Beaucoup de « si » et de « à condition de… » mais c’est ainsi. Nous avons déjà eu l’énorme chance de vivre cette première moitié de voyage encore mieux que nous l’avions imaginée et rêvée. On ne vous cache pas que c’est une immense frustration de ne pas aller à la rencontre des peuples de l’Inde et de l’Afrique mais ça nous fera une excuse valable pour repartir !