Samedi 8 janvier 2022 :
Mon papa, ma petite marraine et mes beaux-parents nous accompagnent encore pour notre découverte de la si belle et si intense île de La Réunion. Nous avons toujours la chance d’être logés chez nos amis Alex et François que nous ne remercierons jamais assez de mettre à notre disposition un cadre si agréable pour savourer ces moments partagés et privilégiés en famille. Déjà la moitié de leur séjour mais ça, on n’y pense pas car il nous reste encore du temps à profiter ensemble.
Ce matin, nous nous rendons au marché forain de Saint-Pierre, le long de la plage de la Ravine Blanche, l’un des plus réputés de l’île car il s’agit d’un festival de couleurs, de senteurs et d’odeurs épicées. En milieu de matinée, on y croise plus de touristes que de locaux mais l’ambiance reste agréable. Difficile d’appliquer les règles de distanciation sociale car les allées sont bondées. Nous apprécions les stands artisanaux péi, c’est-à-dire de La Réunion, mais aussi ceux de Madagascar et de tout l’Océan Indien. Peu de chinoiseries mais un peu quand-même. Évidemment, il y a beaucoup de stands de ce que tout zoreil en vacances va ramener en métropole dans sa valise : des gousses de vanille, des épices, des préparations de rhums arrangés, des sacs et des chapeaux en vacoa…
Le marché alimentaire est bien achalandé et les prix bien moins chers qu’en supermarché. Des fruits et des légumes, des œufs, du poisson, de la viande, du fromage…, bref, tout ce qu’on peut trouver sur un marché mais aussi avec des produits locaux préparés du type samoussas, bonbons piment, piments farcis, poulets grillés, achards de légumes, sarcives, gâteaux patates… On apprécie la beauté des étals des fruits exotiques et l’innombrable variété de légumes, mais aussi des fleurs, des plantes aromatiques et médicinales.
Après-midi repos car le temps n’est pas top. La saison des pluies, avec du retard, est en train de s’installer sur les Mascareignes. Petites courses, écriture de cartes postales, rédaction du blog, lecture, sieste, piscine, école, câlins aux chiens Lila et Loulou et à la chatte Salta… occupent notre après-midi.
Dimanche 9 janvier 2022 :
Audrey reste avec Anaïs et Victor pour faire l’école et je pars faire visiter à nos invités le charmant village voisin de L’Entre-Deux. En chemin, nous nous arrêtons voir le Pont du Bras de la Plaine qui enjambe la profonde ravine sur une longueur totale de 305 mètres. Du tablier à 110 mètres au-dessus du vide, du saut à l’élastique est proposé. Ce serait le deuxième plus haut tablier de pont en France.
A 400 mètres d’altitude, avec quelques degrés de moins que dans les Bas, nous arrivons à L’Entre-Deux et nous commençons une grande marche dans le village à la recherche des plus jolies cases créoles enfouies sous la végétation si luxuriante. Un régal. Elles sont pour beaucoup bien entretenues, restaurées et entourées de magnifiques parcs et jardins. La plupart sont des cases pavillon. L’architecture typique de ces cases traditionnelles créoles est symétrique. Les toits sont souvent à 4 pans. La majorité ont des varangues. Importée dès l’époque de la Compagnie des Indes et d’influence pondichérienne, la varangue est la véranda typique de la case réunionnaise. Au départ élément de protection contre le soleil, elle devient progressivement une véritable pièce à vivre en façade de la maison et dispose de son mobilier spécifique, essentiellement composé de fauteuils de repos créoles.
Les cases créoles traditionnelles sont souvent peintes de couleurs vives et sont construites pour la majorité en bois avec un toit en tôle. Elles sont plus rarement couvertes de bardeaux, lattes de bois disposées en quinconce sur le toit mais aussi sur les murs de manière à se superposer comme des tuiles. Ils permettent de faire glisser les gouttes de pluie et constituent une excellente protection contre le vent. Ils sont traditionnellement taillés à la main pour ne pas casser les fibres du bois de tamarin. Un mur en bardeaux peut durer entre 100 et 150 ans. Quelques maisons, les plus cossues, sont construites en pierres de basalte et les toits sont mansardés avec des fenêtres sur le toit.
L’orientation de la case est importante et la façade la plus décorée est en bordure de route. Toutes ont des lambrequins. En bois à l’origine, ces dentelles décoratives sont maintenant souvent en tôle, et ont vocation à remplacer les gouttières, leurs pointes servant à guider les gouttes de pluies vers le bas. On plante en général en dessous des petits buissons afin d’absorber l’eau et de pas éclabousser les murs.
Outre les cases pavillon, on voit aussi des cases Satec. Dans les années 1960, on utilisa de plus en plus le béton dans la construction des maisons. La case Satec est construite de matériaux préfabriqués pour diminuer les coûts de fabrication. Son toit est plat.
Nous prenons encore un peu d’altitude et montons au point de vue de Coteau sec pour profiter d’un joli panorama sur L’Entre-Deux et sur le Dimitile culminant à 1837 mètres d’altitude (où se réfugièrent les esclaves en fuite) et qui surplombe le charmant village. Encore un beau parking qui ferait un joli bivouac pour la Tiny…
L’après-midi, tous ensemble, nous allons visiter le Domaine du Café Grillé à Saint-Pierre. Il s’agit d’un jardin botanique créole de 4 hectares avec une importante collection d’espèces exotiques : plantes ornementales, plantes de rocailles, plantes à parfums, lianes, mais aussi un sous-bois créole, une bambouseraie, une palmeraie, des fruitiers et des plantes endémiques et indigènes. On découvre également les grandes cultures de l’île : canne à sucre, vanille, vétiver et enfin le café (Bourbon rond) qui a été la toute première grande culture menée au 18ème siècle. Nous avons la chance d’avoir une visite guidée avec William, un guide botaniste génial, sympathique, drôle, passionné et passionnant qui je dois l’avouer me fait même passer un bon moment. Je crois bien que c’est la première fois que je prends du plaisir dans un jardin botanique !
Un petit mot à présent sur les cultures agricoles de l’île. On parle ici de La Réunion lontan qui consiste à se nourrir des fruits de la terre. Il existe peu d’endroits dans le monde où une si grande variété agricole peut être observée sur un espace aussi restreint (2 500 km²). A La Réunion, la diversité des climats provoquée par les différences d’altitude et par la position géographique de l’île a engendré un vaste éventail de productions péi allant des cultures purement tropicales (mangue, canne à sucre, vanille…) aux productions caractéristiques des zones tempérées (pomme de terre, élevage laitier…). La quasi-totalité des fruits et légumes courants peut être produite sur ce petit caillou grâce à l’ensoleillement et aux différents paliers d’altitude. Aux vertes et lumineuses étendues de cannes succèdent des vergers de manguiers et de letchis, des forêts cultivées pour la discrète vanille, des alpages ouverts sur les cieux des Hauts et balayés par les nuages, des pâtures où les vaches ruminent à l’ombre des fougères arborescentes, des damiers de parcelles où se succèdent ananas, poireaux, oignons, géranium et tomates.
La vocation agricole diversifiée de l’île est fondée sur son potentiel naturel, mais elle est également largement ancrée dans son histoire. Cette histoire se scinde principalement en deux périodes : celle de la conquête des terres, du café et de la diversification des cultures aux 17ème et 18ème siècles, et celle liée à la canne à sucre à partir du 19ème siècle.
La mode du café, née dans les dernières années du règne de Louis XIV, prend de l’ampleur sous Louis XV. Après des premiers essais engagés en 1709 à La Réunion, le gouverneur Justamond ordonne en 1715 que chaque colon plante au moins cent caféiers (moka) par individu (libre ou esclave) vivant sur sa plantation. L’ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon du 1er décembre 1724 punit même de mort les malfaiteurs qui détruiraient leurs beaux caféiers. Ce développement du café transforme les paysages de l’île, mais aussi son paysage social avec le développement de l’esclavage et l’enrichissement des plus fortunés capables d’investir. A côté du café, les colons sont incités à produire du blé nécessaire aux navires de passage. Ils développent également le tabac, le coton, l’indigotier, le maïs, le riz, les plantes à parfum, les plantes vivrières, et les épices.
L’apogée de la diversité paysagère de l’île Bourbon se situe sans doute au tournant du 18ème et du 19ème siècles. Le blé et le maïs dominent partout, l’élevage dans les parties basses de l’Ouest et du Sud, le riz et les légumes sur les mi-pentes, le coton un peu plus haut. A partir du début du 19ème siècle, le développement de la canne à sucre va progressivement supplanter de nombreuses cultures et contribuer à unifier quelque peu les paysages des pentes cultivées. L’abolition de l’esclavage en 1848 ne permettra plus de disposer d’une main d’œuvre gratuite pour la culture du café nécessitant beaucoup de travail. Pour faire face à l’effondrement du cours du sucre à la fin du siècle et à la crise économique, la diversification est à nouveau recherchée : vanille, lentilles, thé, mûrier, coton, paille chouchou, plantes à parfum. Pendant la deuxième Guerre mondiale, les plantes vivrières sont cultivées pour assurer la survie de la population, avant le retour de la canne au premier plan après la départementalisation.
L’accroissement démographique rapide de l’île constitue un enjeu pour l’agriculture. Si la canne à sucre structure toujours le paysage et occupe aujourd’hui plus de 55% de la surface agricole, l’agriculture s’est efficacement diversifiée au cours des dernières décennies. Le déclin des productions traditionnelles de géranium et de vanille s’est accompagné du développement des productions de fruits et légumes, de viandes et d’œufs. Cette évolution permet de couvrir 70% des besoins du marché du frais par la production locale, et 50% en y incluant les produits transformés. Mais il y a aussi beaucoup de produits importés et ce n’est d’ailleurs pas difficile de repérer au supermarché les carottes fluos et hyper calibrées importées de Chine. Les prix des fruits et légumes au magasin sont d’une manière générale assez chers alors qu’on les trouve facilement sur les marchés forains ou sur les bords de route des étalages de petits producteurs, à prix raisonnable.
J’en reviens au Domaine du Café Grillé. Nous en terminons avec cette passionnante visite du jardin botanique autour d’un énorme alambic qui a pour but de séparer les huiles contenues dans les végétaux. Ces huiles essentielles obtenues ainsi par distillation sont destinées à un usage pharmaceutique, cosmétique ainsi qu’alimentaire. Dans le passé l’île Bourbon était réputée pour l’obtention des huiles essentielles de fleurs d’Ylang-ylang, de racines de vétiver, et de feuilles de géranium rosat. Aujourd’hui, il ne reste que quelques producteurs d’huiles essentielles de géranium. Il faut environ 800 kg de feuilles de géranium pour faire 1 kg d’huile essentielle. Les feuilles de citronnelle sont aussi distillées ici. Il en faut environ 100 kg pour faire 1kg d’huile essentielle.
Notre guide nous explique la culture du café Bourbon pointu.
A la fin de notre parcours, nous visitons une ajoupa qui est la hutte traditionnelle où étaient logés les ouvriers agricoles.
Petit musée présentant de jolies pièces autour du café.
Dégustation de café d’exception de la production du terroir de l’île, tous légèrement caféinés : un bourbon pointu (café léger et fruité légèrement acidulé), un bourbon rond (café intense aux notes de cacao) ou bien un sublime de Bourbon (un peu un mélange des deux)… le tout en ce dimanche avec un petit concert de Maloya avec le groupe LAM KAF. Le Maloya est un véritable héritage africain et malgache. Les ouvriers des plantations des îles de l’Océan Indien, issus de la diaspora malgache ou africaine, entrainés en ces lieux par la force en tant qu’esclaves, n’en oubliaient pas pour autant leur culture d’origine. Les musiques qu’ils ont continué à entretenir, de manière clandestine, ont contribué à la naissance d’une musique rituelle souvent liée à des survivances de religions anciennes : rites de possession, culte des ancêtres, cérémonies de transes libératoires… De nos jours, si l’aspect festif de ces musiques a souvent dépassé le cadre de l’expression de ces rites d’antan, cet art musical rappelle néanmoins que l’héritage africain perdure dans les îles de l’Océan Indien. Le Maloya joué et dansé à La Réunion en est un des témoignages les plus vivants. Le groupe LAM KAF est bien agréable à écouter en sirotant notre café d’exception. Cependant ce groupe de Maloya ne joue pas des instruments traditionnels que sont l’idiophone piker, le tambour rouler, le tambour cylindrique, l’arc musical bobre, le kayamb ou le tambour matalom.
Nous roulons en direction du Canal Saint-Etienne à Bois d’Olive près de Saint-Louis pour voir une curiosité géologique de l’île. Ce canal longe d’incroyables falaises de coulées pyroclastiques. Elles correspondent à la phase explosive de la formation de La Réunion. Les coulées pyroclastiques sont violentes et sont un mélange de gaz, de cendres, de lave, de bombes… Les pierres ponces (tâches noires sur la paroi) sont des fragments de magma visqueux, projetés hors du cratère et transportés dans la nuée ardente. Elles se sont déposées et refroidies dans un mélange de cendres qui formaient cette dernière. Ces cendres sont des petites particules de lave pulvérisées par l’explosion. A l’heure actuelle, ce genre de catastrophe (nuée ardente) ne peut pas se reproduire à La Réunion car il n’y a plus suffisamment de magma sous le Piton des Neiges. Quant au Piton de la Fournaise, il est encore trop jeune pour présenter une activité volcanique de nature aussi explosive. Les trous qu’on voit sont dus à l’érosion par le vent et le ruissellement des eaux de pluies.
Retour à la case où nous coupons un régime de bananes. 27 kg sur la balance ! Comme chaque pied ne donne qu’un seul régime, il faut le couper pour ne pas affaiblir le reste du bananier. Les bananes encore vertes vont passer au jaune en quelques jours.
Soirée rhum et raclette. Même en plein été, ça passe… Certain(e)s ont un peu abusé (pas de la raclette) mais je ne citerai personne car je n’aime pas balancer. Surtout que j’ai beaucoup de respect pour ma belle-maman. Zut, j’ai balancé.
Lundi 10 janvier 2022 :
Le réveil matinal est difficile pour certain(e)s. Dès 7h15, nous sommes déjà tous dans les deux voitures pour nous rendre dans le Cirque de Cilaos, classé par l’UNESCO au Patrimoine de l’Humanité. Il nous faut partir de bonne heure pour avoir le temps de faire la route et de profiter des paysages car la météo de cet après-midi et de tous les prochains jours est annoncée très humide.
En raison de son caractère inaccessible, Cilaos de son étymologie malgache Tsilaosa « lieu où l’on se sent en sécurité » fut l’un des hauts-lieux du marronnage. Évadés de chez leurs maîtres et poursuivis par les chasseurs d’esclaves, les Marrons se réfugièrent en clans sous les ordres de grands chefs rebelles dans le cirque pour établir des campements et vivre en toute liberté. Mais en 1744, devant le nombre croissant de Marrons réfugiés dans le cirque, les Blancs décident d’organiser des expéditions punitives aux méthodes radicales. Les Marrons disparaissent.
Au début du 19ème siècle, seules les pentes raides et vertigineuses du sentier du Cap noir permettaient d’accéder au Cirque de Cilaos. Il fut tracé suite à la découverte de sources dans le cirque. Ce voyage de 36 km s’effectuait à pied, à cheval, à dos de mulet ou en chaises à porteurs pour les plus riches. Au sein d’abrupts paysages, cette extraordinaire épopée parsemée de multiples dangers durait une journée entière.
Dès 1835, l’enclavement du cirque profite aux Blancs sans terres, exclus de la société coloniale. Pour échapper à la misère, ils quittent les Bas monopolisés par la canne à sucre des grands propriétaires. Ils défrichent les terres de Cilaos et y développent une agriculture de subsistance : lentilles, vignes, élevage. Entre 1927 et 1932, une spectaculaire et tortueuse route aux 400 virages est construite à flanc de montagne. Cette infrastructure titanesque a permis l’essor démographique et touristique de Cilaos. Les 36 km depuis La Rivière Saint-Louis offrent un voyage pittoresque grâce à de grandioses paysages. Cette route est tout simplement impressionnante. Chaque nouveau virage nous permet de jouir d’une vue insoupçonnable sur les reliefs. Nous l’avions prise une seule fois jusqu’à présent en bus dans le sens de la descente suite à notre randonnée de 9 jours dans Mafate que nous avions terminée dans la ville de Cilaos. Et on ne faisait pas les malins dans le bus… Le Tunnel de Gueule Rouge, qui serait bien étroit pour la Tiny, nous fait passer sous de hauts reliefs. Ces derniers sont en train d’être cachés par les nuages.
Arrivés dans le cirque, en traversant le village de Cilaos, au-dessus du clocher de l’église, nous voyons juste quelques secondes le Piton des Neiges, le toit de l’Océan Indien. Son sommet, trop haut avec ses 3071 mètres, soit presque 2 km au-dessus de nos têtes, se cache à nouveau assez vite. Nous voyons les parois vertigineuses du cirque et le Grand Bénare, les Trois Salazes, le Col du Taïbit par lequel nous sommes sortis du Cirque de Mafate pour rejoindre celui de Cilaos.
Nous montons directement au belvédère de La Roche Merveilleuse. La légende dit que les femmes qui avaient des problèmes de fertilité venaient frotter leur ventre contre le rocher, ce qui les rendait fécondes. Les nuages sont déjà là et cachent les plus hauts sommets mais on se rend bien compte que le cirque est clairement délimité par d’immenses falaises quasi-verticales appelées « remparts » dont les sommets dominent l’île et forment un cercle presque parfait de 10 km de diamètre. Jolie vue sur le cirque et la ville de Cilaos.
Nous surplombons l’Îlet-à-Cordes qui tient son nom du fait que les Noirs Marrons se hissaient jusqu’au plateau de l’îlet grâce à des cordes. Ces lianes, jetées depuis le haut des remparts, leur permettaient de ne pas laisser de traces aux chasseurs de Marrons.
Après un pique-nique petit déjeuner, nous empruntons un petit circuit en boucle d’1,2 kilomètre dans une forêt magnifique. Un peu glissant par endroit et des marches un peu hautes pour les plus petits d’entre nous mais c’est magnifique. La pluie ne nous décourage pas et prudemment, nous arrivons à marcher bien protégés par nos ponchos.
Nous descendons dans le village de Cilaos et visitons une boutique d’une maître-artisan en broderie. Cilaos est spécialisée depuis le début du 20ème siècle dans les « Jours Anciens », des travaux d’aiguille et de jours sur toile. La technique s’est depuis transmise de génération en génération, donnant naissance à ce style de broderie de tradition populaire propre à La Réunion et reconnue internationalement. La Maison de la Broderie est fermée mais nous allons contempler le travail de Luciane Techer qui est fière de nous présenter dans sa petite boutique en compagnie de sa maman de 94 ans ses Jours de Cilaos, de véritables œuvres d’art. Cette maître-artisan a hérité de ce savoir-faire. De nombreuses ouvrières de Cilaos ont obtenu le titre de Meilleure ouvrière de France. Les broderies sont uniques en leur genre puisque chaque brodeuse y apporte sa touche personnelle. Mais il leur devient difficile de vendre au juste prix de grandes créations comme des nappes et Luciane préfère vendre des petits souvenirs comme des marques pages, des cartes postales, des portes clés. Elle est cependant fière de nous montrer une belle œuvre d’art qui est une commande pour une robe de mariée.
Nous déambulons dans la rue commerçante de Cilaos bordées de quelques jolies constructions créoles dont certaines qui nécessitent de façon urgente un plan de sauvegarde.
Un peu de chinoiseries à vendre mais aussi pas mal d’artisanat local. Aussi des épices, du vin, mais également les célèbres lentilles vendues à prix d’or. La culture de la lentille a été introduite depuis le peuplement du cirque à partir de 1850 par des familles de colons principalement originaires de Saint-Louis. Elles servaient même de monnaie d’échange à une certaine époque. Avec les haricots, les lentilles sont les principales cultures des habitants de Cilaos. Plantation de subsistance au départ, la lentille de Cilaos a été vite reconnue pour sa qualité. La savoir-faire lié à son exploitation s’est lui aussi transmis de génération en génération faisant de la lentille un produit emblématique du Cirque de Cilaos auquel la trentaine de producteurs sont très attachés. Les grands noms de la cuisine française lui font souvent honneur. Mais bon, elles sont vendues à 20€ le kg.
Nous apprécions déambuler dans une épicerie et lire les petites affiches écrites en créole que je vous invite à déchiffrer.
Le vin fut introduit au départ sur l’île par les premiers colons français vers 1771. Puis, pour éviter d’avoir à descendre sans cesse à Saint-Louis pour le ravitaillement, les premiers habitants de Cilaos eurent l’idée de produire leur propre vin sur place vers 1860. Aujourd’hui, le Cirque de Cilaos est le seul endroit où on produit du vin sur l’île. C’est l’un des plus hauts vignobles de France. Les vendanges se font en janvier et février mais chaque année, c’est la période des caprices de la météo avec le risque de voir la récolte des viticulteurs détruite sous l’effet d’un cyclone dévastateur.
La pluie est là et nous incite à prendre le chemin du retour. Le même qu’à l’aller évidemment car il n’y en a qu’un. La fabuleuse Route aux 400 virages longe une paroi rocheuse abrupte d’un côté et une gorge profonde de l’autre. A elle seule, cette route fait partie de la visite de Cilaos. Virages en épingles à cheveux très serrés, tunnels étroits non éclairés, voie de circulation permettant difficilement le croisement avec les autres véhicules.
La végétation est très dense. Au fur et à mesure de notre descente vers les Bas, la pluie se renforce ne facilitant pas la conduite déjà pas évidente. Un éboulement de grosses pierres vient d’avoir lieu sur la route. Heureusement, aucune voiture ne passait à ce moment-là. LA DDE est déjà là. Il n’est pas rare que des glissements de terrain ou de boue entrainent la fermeture de la route le temps du nettoyage. Quelques jours plus tard, nous apprendrons qu’un rocher a traversé le pare-brise d’une voiture, ne faisant heureusement aucune victime.
Après-midi repos à la case. La météo est annoncée pluvieuse pour plusieurs jours. Heureusement, pas de phénomène cyclonique en vue à court terme mais juste beaucoup de précipitations. Alerte orange météo sur l’Est de l’île avec un cumul de pluies de plus de 300 mm d’eau prévu juste pour la prochaine nuit. La pluviométrie à La Réunion est marquée par une forte disparité entre l’Est et l’Ouest de l’île. On distingue la côte sous le vent de la côte au vent. La côte au vent (à l’Est) reçoit les alizés de face, qui apportent les masses d’air humide notamment à l’origine des précipitations, tandis que la côte sous le vent (à l’Ouest), protégée des alizés et de leurs précipitations par le relief, est beaucoup plus sèche. Le point le plus arrosé de la côte Est se situe au Nord du Piton de la Fournaise, dans les Hauts de Sainte-Rose, et enregistre une pluviométrie annuelle moyenne de plus de 11 000 mm, alors que la pointe des Trois Bassins, près de Saint-Paul dans l’Ouest ne reçoit en moyenne que 436 mm par an, ce qui constitue un écart record à l’échelle mondiale sur si peu de distance. Par ailleurs, pour un endroit donné, la pluie peut être absente pendant plusieurs mois, et tomber ensuite de façon importante, notamment au passage d’une dépression ou d’un cyclone. Les foyers de précipitations les plus intenses sont situés entre 1000 et 2000 mètres.
Un record de précipitations sur l’île date de près de 5000 mm, oui 5 mètres d’eau, tombés en 2007 sur les pentes du volcan… en seulement 4 jours ! A titre de comparaison, il est tombé 785 mm de pluie sur toute l’année de 2020 en Charente-Maritime ou 474 mm dans les Bouches du Rhône. Même sur le département le plus pluvieux de métropole, dans les Pyrénées Atlantique, il est tombé 1334 mm de précipitations la même année.
Voici une autre illustration des pluies réellement enregistrées sur un cumul de 3 jours en ce moment.
Mardi 11 janvier 2022 :
Daniel et mon papa sont heureux et prennent plaisir de bricoler un peu dans la maison qu’on nous prête. Des petites vis par-ci par-là pour consolider des tables et des chaises, faire un peu de plâtre, régler un portillon, tondre la pelouse, tailler des arbustes… Même en vacances, ils ne peuvent s’en empêcher…
Les enfants font pendant ce temps une bonne séance d’école ce matin. Audrey, Liliane et Huguette nous régalent de bons petits plats.
Réception d’un SMS sur le téléphone : « nous avons le regret de vous annoncer que votre vol Air Austral à destination de Johannesburg du 30 janvier est annulé ». Décidément, c’est l’ascenseur émotionnel cette cavale. Combien de retournements de situation nous avons eus depuis ce fichu Covid ! Combien de vols achetés pour rien et remboursés au bout de 18 mois ! Combien d’argent dépensé dans des visas qui ne nous ont servi à rien (Myanmar, Inde) ! Combien de dizaines d’heures passées à étudier des plans B, C, D voire même Q… Mais bon, c’est certainement un peu notre force, nous avons toujours réussi à rebondir. Certes avec quelques paris et quelques prises de risques, quelques longues insomnies et quelques dépenses non prévues dans notre budget. Pas facile de voyager par temps de pandémie mondiale où les règles propres à chaque pays changent sans cesse. Dans le dernier article, je vous avais expliqué la joie que nous avions d’apprendre que la France venait d’enlever la semaine dernière le classement « rouge écarlate » de l’Afrique australe, ce qui nous autorisait à rejoindre l’Afrique du Sud, et donc notre fidèle Tiny, à la fin du mois, sans nécessité de justifier d’un motif impérieux. Branle-bas de combat ce matin. Il nous faut donc trouver une solution de remplacement. Mais pas facile de quitter La Réunion. Une seule compagnie dessert l’Afrique du Sud, qui est celle qui vient d’annuler notre billet et qui le repousse au mieux le 10 mars. Il nous faut donc trouver une destination intermédiaire. Pas moyen de passer par Madagascar avant début mars. Pas moyen de passer par Rodrigues, les Comores ou Mayotte car le deuxième vol ensuite pour rejoindre l’Afrique du Sud refera escale à La Réunion.
Nous décidons donc de passer par l’île Maurice. Seulement 45 minutes de vol pour nous rendre sur cette île à 170 km à l’Est de La Réunion. Le prix du vol n’est pas proportionnel à la distance car il coûte aussi cher que pour rentrer en métropole. Mais nous n’avons pas le choix, il nous faut bien sortir de notre petit caillou. Nous passons quelques heures à nous creuser la tête, à comparer les différentes options. Quitte à passer par Maurice, autant ne pas y faire qu’une simple escale et nous décidons d’y rester une dizaine de jours pour visiter cette île. Les prix des voitures et de petites locations sont même moins chers qu’à La Réunion. De Maurice, nous pourrons ensuite voler mi-février vers l’Afrique du Sud. Encore de nombreuses recherches pour trouver tout ce dont nous avons besoin. Et surtout soulagés d’avoir trouvé une solution car les vols sont ouverts entre Maurice et l’Afrique du Sud avec une autre compagnie aérienne.
Aujourd’hui, nous allons visiter le MADOI, le Musée des Arts Décoratifs de l’Océan Indien logé dans le domaine caféier de Maison Rouge. Cet ensemble agricole du 18ème siècle, cerné par de profondes ravines, est implanté sur un jeu de terrasses, à la limite des mauvaises terres, sur les hauteurs de Saint-Louis. Nous visitons ce domaine, mais pas la maison de maître de 1835 qui le surplombe car elle est en restauration. Nous découvrons les plateformes de séchage (nommées argamasses) de grains de café de Bourbon Pointu. Près d’un énorme banian, poussent les plants de café.
Le musée prend place dans les anciennes écuries du domaine agricole. L’exposition temporaire « Arts de l’Islam. Un passé pour un présent » à l’intérieur du musée présente une belle sélection de 10 œuvres d’art, à la fois historiques et contemporaines, illustrant la diversité culturelle et confessionnelle au sein du monde islamique depuis treize siècles. Ces objets magnifiques proviennent des collections du département des Arts de l’Islam du Louvre et de collections nationales et régionales. Elles permettent une immersion au sein des cultures islamiques, de l’Espagne à l’Inde, du 7ème au 19ème siècle, et révèlent l’importance des échanges anciens et étroits tissés entre la France et l’Orient et sa civilisation islamique autant arabe que turque, indienne, iranienne, asiatique ou maghrébine. Parmi ces chefs-d’œuvre du Louvre, un jali indien (écran ajouré à l’intérieur d’une fenêtre) en grès rose du 18ème siècle, un cabinet indien recouvert de bois précieux et de nacre, des bases décorées de pipes à eau d’Inde du 18ème siècle, un Coran iranien du 19ème siècle, un porte-Coran ottoman du 18ème siècle, une cuillère à fard d’Iran du 8ème siècle, une planche coranique marocaine du 20ème siècle et encore d’autres…
L’artiste franco-comorienne Myriam Omar Awadi expose son œuvre autour du tissu traditionnel comorien appelé Chiromani.
Bref, encore une belle découverte de l’île de La Réunion. On nous avait dit qu’on ne venait pas sur cette île pour ses plages. Quoique découvrir les poissons colorés et les coraux du lagon nous émerveille. On savait qu’on y venait surtout pour randonner. Mais on ne se doutait pas qu’on pouvait aussi y venir pour son côté culturel et ses nombreux musées qui nous passionnent.
Dans le Chemin de Maison Rouge, nous nous régalons encore une fois de belles cases créoles en bardeaux.
Passage devant la Mosquée Moubarak de Saint-Louis qui possède le plus beau minaret de l’île. Il est haut de 33 mètres.
Non loin de celle-ci, un joli baobab pousse sur le trottoir. C’est le premier qu’on voit sur l’île.
Mercredi 12 janvier 2022 :
On continue avec la visite des musées régionaux. Cet après-midi, nous partons à Saint-Leu pour visiter Stella Matutina. Le musée est installé dans une ancienne usine sucrière ayant fonctionné de 1858 à 1978.
On y découvre les techniques industrielles de la fabrication du sucre de canne sur près de 200 ans. Le processus de fabrication et de l’exploitation du sucre est bien mis en valeur par les vestiges industriels des impressionnantes machines encore en place dans l’usine que l’on observe depuis des passerelles.
Mais le musée nous apporte aussi beaucoup d’informations sur l’Histoire de La Réunion et de sa population à travers un parcours dans l’histoire croisée du sucre et de l’île Bourbon, qui met en lumière les particularités culturelles et économiques de cette île : données historiques sur le peuplement, l’esclavage et l’engagisme, récits de vie, collections historiques et ethnographiques, objets insolites, témoignages des anciens travailleurs, documents d’archives, produits issus de l’activité sucrière, affiches publicitaires……
Jolie expo de portraits photographiés par Yann Arthus Bertrand des hommes et des femmes, miroirs de la société et de l’identité réunionnaises, qui ont permis à cette agro-industrie d’exister, de se développer, d’innover.
Enfin, le musée propose d’aller à la rencontre des Réunionnais en dehors des murs de l’établissement sucrier, à travers une balade-nostalgie dans le « temps lontan » et la reconstitution des boutiques chinoises « boutik sinois » qu’on trouve encore aujourd’hui à certains coins de rues de l’île.
Nous apprécions aussi l’exposition temporaire des œuvres de l’artiste Jace qui peint des petits Gouzous sur toute l’île et dont je vous ai déjà parlé. Ici, dans toute l’ancienne usine sucrière, on retrouve des œuvres de Gouzous, dont certains sont même dans les cylindres qui ont écrasé des tonnes de cannes.
Bénéficiant du label Musée de France, le musée Stella Matutina s’inscrit en tant que gardien des mémoires, des transmissions et de la conservation. Nous visitons ainsi une formidable expo temporaire sur l’Histoire maritime de La Réunion : Les Pirates de l’île Bourbon. Il y a trois siècles, des capitaines forbans de renom ont accosté sur les rivages de l’île Bourbon, en y laissant l’empreinte ardente de leur légende. Ils profitèrent parfois de l’occasion pour débarquer, au gré des circonstances, des dizaines d’hommes d’équipage en quête d’amnistie et de vie honnête. Beaucoup de ces pirates repentis ne partiront plus. Réimplantés dans la colonie insulaire, ils se marieront et feront souche dans l’île. Ces forbans contribueront ainsi à son peuplement originel. Avery, Desmarestz, Bowen, White, Condent ou encore le fameux Olivier le Vasseur dit « La Buse », autant de noms de capitaines forbans restés gravés dans les chroniques. Cette expo sur la piraterie est fascinante. Voyageurs des mers, conquérants des terres, pilleurs de navires, gardiens de trésors, ces pirates ont bercé l’imaginaire des Réunionnais depuis leur plus jeune enfance. Mais derrière ce masque rempli de mystère, il existe une réalité qui ne peut être négligée pour la population réunionnaise. La piraterie a en effet participé au peuplement de l’île dès le début de sa découverte. Après l’âge d’or dans les mers caribéennes, nombre de pirates ont trouvé refuge dans l’Océan Indien. Ces hommes débarquant sur l’île pour y cacher leur trésor s’y sont également installés. Appelés forbans, ces derniers ont formé ainsi les premières lignées familiales réunionnaises.
Nous sortons encore une fois comblés par la qualité des musées régionaux de l’île. Celui-ci n’a pas échappé à la règle de la parfaite et complète muséographie, de la qualitative mise en valeur du patrimoine historique de l’île, de la valorisation de l’héritage culturel de la population réunionnaise.
En quittant le musée, nous passons devant la magnifique Maison Bédier abritant le Fonds régional d’Art Contemporain. Une belle case construite au 19ème siècle, en même temps que l’usine sucrière voisine.
Sans transition, GRRRR, j’arrive enfin à joindre le service client de notre compagnie aérienne qui ne mérite pas un coup de pub. Je souhaite changer les billets qu’elle a annulés hier. Mais je tombe sur le cul quand mon interlocuteur m’informe qu’il faut un motif impérieux pour se rendre à Maurice. Quoi ??? Bon, il n’y est pour rien et m’informe juste de la réglementation actuelle. Mais l’île Maurice n’est plus considérée comme un pays rouge écarlate, comme plus aucun pays dans le monde d’ailleurs. Donc il n’y a plus besoin de justifier d’un motif impérieux ? Même sur le site du ministère des Affaires étrangères, il est précisé que l’île Maurice est ouverte. Mais il y a bien une petite ligne effectivement sur le site de l’ambassade de France à Maurice qui dit qu’il faut bien un motif impérieux seulement si on voyage entre La Réunion et Maurice… mais pas entre la France et Maurice. Allez y comprendre quelque chose… Toujours est-il que l’ascenseur émotionnel continue et alors qu’on avait déjà rebondi une énième fois à une nouvelle péripétie et qu’on se faisait une joie d’aller découvrir les plages paradisiaques de l’île sœur, nous voici obligés de trouver une nouvelle solution pour rejoindre notre Tiny en Afrique du Sud… Oui, en toute modestie, nous en avons du courage pour rebondir à chaque fois avec ce foutu Covid. Il en faut de la volonté et de la force de caractère pour rebondir à chaque nouvelle déception. Une nouvelle fois, nous allons devoir nous remuer pour trouver un autre plan…
Après cette passionnante visite, nous reprenons la voiture et nous rendons à la Pointe au Sel. Un magnifique site protégé sur la commune de Saint-Leu et mis en valeur par le Conservatoire du Littoral. Profitant ici d’un des climats les plus secs de l’île, les habitants récoltaient du sel dès le 17ème siècle, en le recueillant dans des grandes feuilles de palmier. Rapidement, l’activité se développa et la Pointe devint le plus gros site de production du sel à La Réunion. C’est le seul endroit de l’île où on peut produire cet or blanc grâce à l’ensoleillement et aux faibles pluies du secteur. La production atteint son apogée durant la seconde Guerre mondiale. Avant le conflit, le sel consommé à La Réunion venait essentiellement de Madagascar. Mais durant la guerre, les échanges avec la grande île sont bloqués. La seule solution pour éviter toute pénurie était de produire du sel sur ce site en pompant l’eau de mer. Ces salines ont été construites en 1942 par le propriétaire de l’usine sucrière de Stella Matutina de laquelle nous sortons. Mais la production s’est de nouveau effondrée et a été abandonnée car non rentable. Après une nouvelle tentative d’exploitation dans les années 1960, le site fut abandonné. Depuis quelques années, un projet de restauration des salines fut lancé et la production a repris dans un souci de concilier les aspects économique, écologique et culturel. Depuis le bassin de tête, l’eau s’écoule par gravité par des petits canaux à travers 23 bassins de décantation jusqu’aux 14 bassins appelés cristallisoirs. C’est ici que se forment les cristaux de sel. Les sauniers cueillent la fleur de sel en surface à l’aide d’une lousse. La fleur de sel est ensuite séchée au Soleil dans des paniers en bambou. Le gros sel est ramassé au fond du bassin et disposé en pyramides sur les bords pour sécher.
Nous poursuivons par un petit passage symbolique pour mon papa et ma marraine devant le monument aux morts de la ville des Avirons. Il a été ramené depuis leur terre natale d’Algérie française où ils ont grandi jusqu’à leur adolescence, du village de Marengo. Alors gamins, ils passaient régulièrement devant quand ils allaient passer les vacances dans le cabanon sur la plage de Matarès près de Tipasa. Seulement environ une quinzaine de ces monuments ont été sauvés et ramenés en métropole.
Retour à la case après une nouvelle journée bien remplie. Après un petit rafraichissement de la piscine chauffée par le Soleil à 29°C, le ti-punch est encore bien apprécié. Il fait encore 30°C à l’heure de passer à table.
Nous passons donc encore de longs moments devant les écrans pour préparer la suite de notre voyage. Où allons-nous aller ? Notre départ de l’île était initialement prévu dans 6 jours, avant d’être une première fois reporté de 12 jours, avant d’être annulé… Alors oui, nous avons la chance d’être sur le territoire français et donc de ne pas être contraints par des durées de visas qui expireraient. On a aussi la chance de savoir notre Tiny en sécurité et elle aussi, en Afrique du Sud, n’a pas de contrainte de devoir sortir rapidement du territoire pour des raisons administratives. On a aussi la chance d’avoir nos amis Alex et François qui n’arrêtent pas de nous dire qu’ils ne nous mettront pas à la porte ! Mais bon, il faut trouver ce plan B… Mais pas de recherche concluante pour ce soir.
Jeudi 13 janvier 2022 :
Un départ encore matinal, très matinal. Nos invités vont mettre du temps à récupérer de leur voyage à La Réunion à leur retour en métropole la semaine prochaine ! Dès 6 heures, nous sommes déjà en route. En route vers l’un des points les plus éloignés de là où nous résidons à Saint-Pierre. Pour la première fois, nous partons dans le Cirque de Salazie, au Nord-Est du Parc National de La Réunion. Son accès se fait depuis la ville côtière de Saint-André. Nous choisissons l’option de passer par le littoral, plus confortable et plus roulant que la Route des Plaines traversant l’île dans sa diagonale, mais plus longue de 40 km. Ce sont toujours les vacances scolaires et le passage de la Route du littoral n’est pas congestionné ce matin, bien qu’un basculement de chaussée ait lieu depuis plusieurs jours. En raison des fortes pluies et des risques d’éboulement, la voie la plus proche de la falaise est interdite à la circulation.
Comme souvent quand on bascule du côté Est de l’île, le climat change. Nous sommes pourtant partis de bonne heure ce matin pour profiter de la météo dégagée prévue sur Salazie. Mais ce sont des trombes d’eau qui se déversent sur nous. Il en devient même difficile de conduire sur la route sinueuse qui s’enfonce dans le cirque tellement il pleut. Les cascades déversent des tonnes d’eau dans la Rivière du Mât en contrebas. Nous sommes un peu déçus évidemment d’avoir fait deux heures de route et de trouver ce temps. Mais finalement, la situation évolue. Les sommets sont certes un peu bouchés mais nous pouvons pleinement profiter de ce magnifique rempart de cirque tapissé de hautes cascades de quelques dizaines de mètres de hauteur qui surgissent à plusieurs endroits niveaux de la falaise. Juste superbe. Les remparts, les fossés, les terrains non entretenus sont tapissés d’une végétation impénétrable.
Comme par miracle, nous arrivons au premier point d’intérêt de la journée au Voile de la mariée et il s’arrête de pleuvoir.
Premier point de vue sur le cirque qui se dégage un peu.
Nous poursuivons jusqu’au village de Hell-Bourg que nous traversons sans nous y arrêter pour monter le surplomber depuis le point de vue de Bé-maho et de son aire de pique-nique où nous prenons notre petit-déjeuner. Nous sommes à 1045 mètres d’altitude. Là aussi, la chance nous sourit et les nuages qui bouchent tout le cirque à notre arrivée se dégagent les uns après les autres, dévoilant la beauté du village et la vue panoramique sur le Cirque de Salazie. Face à nous, les plus hauts sommets à plus de 2000 mètres ont la tête dans les nuages mais on voit bien le Piton Bénoune et le rempart Nord du cirque avec le Piton des Fougères, le Piton Bé Massoune…
Nous descendons dans Hell-Bourg, un village classé parmi Les plus beaux villages de France, le seul d’ailleurs classé en outre-mer. Dans les années 1830, Hell-Bourg est encore un territoire sauvage lorsqu’arrivent ses premiers habitants : les esclaves Marrons qui fuient les plantations de la côte, et les premiers colons que la violence des cyclones ramène également vers l’intérieur de l’île. C’est en chassant que deux d’entre eux font la découverte, au lieu-dit Bé-maho, de sources aux vertus thérapeutiques rapidement reconnues, notamment pour traiter l’anémie. Une station thermale naît et les premiers curistes sont installés dans de simples paillotes. La construction de l’établissement thermal en 1852 amorce l’apogée de la station. D’Afrique du Sud, de l’île Maurice, du Kenya, du Mozambique… l’on se presse à Hell-Bourg pour « prendre les eaux ». Profitant de la fraîcheur du Cirque de Salazie, les riches familles de l’île s’y retrouvent chaque été. Une vie mondaine s’organise et les grandes familles créoles de la côte remplacent les paillotes par de belles « cases de changement d’air » ou plutôt de belles villas ornées de frontons tandis que s’ouvre un casino. Des riches bourgeois viennent en cure. Mais en 1948, un cyclone tarit les sources et met fin à l’activité thermale du village.
Hell-Bourg est bel et bien le plus joli village que nous ayons vu sur l’île. On tombe sous le charme de ses cases créoles traditionnelles au style raffiné, témoins de la splendeur de l’époque coloniale. Pour la majorité d’entre elles, elles sont bien restaurées et bien mises en valeur autour de magnifiques petits jardinets luxuriants ou de plus grands parcs paysagers pour les plus cossues. D’autres nécessitent rapidement des travaux de restauration car le bois s’abîme vite avec les conditions extrêmes de pluviométrie et le taux d’humidité du Cirque de Salazie.
Nous découvrons les maisons avec des guétalis qui sont des petits pavillons d’angle au coin des propriétés. Inspirés des moucharabiehs des maisons arabes de la côte swahilie au Kenya et en Tanzanie, le guétali permettait aux habitants de la maison d’observer et de guetter les mouvements dans la rue sans être vus.
Nous visitons à présent la Maison Morange. Après une période de déclin à la fin du 19ème siècle, Hell-Bourg connaît un certain renouveau dans les années 1925-1930. C’est durant cette période que le directeur de la sucrerie de Bois Rouge décide d’y faire construire sa maison de villégiature au centre du village avec une vue panoramique sur le Piton des Neiges et sur le Piton d’Enchaing. C’est une maison moderne car elle est l’une des premières à intégrer sous le même toit toutes les pièces de réception, les chambres, la cuisine et la salle de bain. Ce n’est en effet qu’à partir des années 1960 que cette distribution se développera dans toutes les maisons réunionnaises. Au centre de la façade, le propriétaire fait aménager une varangue soutenue par des colonnes d’inspiration néoclassique.
Depuis 2015, cette prestigieuse maison abrite le Musée des Musiques et instruments de l’Océan Indien. Il abrite la fascinante collection privée de plus de 1500 instruments populaires, précieux et insolites, rassemblée par deux passionnés, Robert Fonlupt et François Ménard. Nous avons eu le plaisir de discuter avec François, ce grand voyageur qui a ramené depuis quelques décennies d’incroyables instruments de tous les pays bordant l’Océan Indien. Exceptionnelle scénographie très pédagogique de grande qualité, tout y est soigné, la présentation, l’éclairage, les explications bien illustrées, les bandes sonores des instruments présentés que nous écoutons via un audioguide, les vidéos (mariage, cérémonies, fêtes, festivals) que les passionnés ont récolté durant leur voyage. Un régal d’écouter des musiques aussi variées que celles de rituels hindouistes avec des musiciens tambourinaires et des joueurs de hautbois Nagaswaram aux sonorités orientales, celles de musiques de Chine avec des anciennes sonorités de carillons de cloches de bronze Bianzhong ou de pierre Teqing retrouvés dans des sépultures antiques ou bien des sonorités plus récentes comme les orgues bouche Sheng ou encore les cythares, celles du Séga importé de la Vieille Europe par les navigateurs et colonisateurs européens avec leur accordéons, saxophones, violons, trompettes et réadaptés au contexte et aux musiques locales, celles des musiques religieuses du Tibet jouées par des monumentales trompes Rag–Doung ou des conques Dung-Kar, ou bien encore celles des instruments malgaches dont l’impressionnante Valiha, une cythare fabriquée à partir d’un bambou sur lequel sont tendues des cordes…
Une magnifique présentation des musiques des peuples – d’origine européenne, indonésienne, africaine, indienne, chinoise, malgache – qui, au fil de migrations successives, ont constitué les sociétés de La Réunion et des autres îles de l’Océan Indien. Tous ont apporté avec eux leurs us et coutumes, leurs cultures, leurs religions, leurs musiques qui font aujourd’hui la richesse de ce qu’est la société réunionnaise : un endroit unique au monde par la richesse multi ethnique de son peuplement issu de continents aussi divers et par la mosaïque culturelle qui en résulte. On apprécie aussi les représentations d’un salon de musique d’un Maharadjah du 16ème siècle, d’une case africaine, d’un atelier d’un luthier indien, d’un boudoir du Mandarin chinois…
L’expo temporaire sur le voyage du luth en Orient est toute aussi passionnante. Elle met en valeur l’oud, un instrument emblématique de la musique traditionnelle arabe.
Bref, un musée qui entre dans l’un des plus beaux qu’on ait vu ! On a adoré ce parcours musical, visuel et ludique à la découverte d’instruments populaires, précieux et insolites. On a adoré s’immerger à travers les musiques et les cultures traditionnelles des peuples fondateurs de La Réunion en vibrant aux sons des peuples présents dans l’Océan Indien…
Le billet d’entrée est jumelé avec la Maison Folio. Au cœur du village d’Hell-Bourg, nous poussons le portail de cette authentique case créole, véritable témoin d’une page d’histoire de cette ancienne station thermale au 19ème siècle et de cette époque fastueuse. Construite en bois imputrescible, elle est remarquablement conservée malgré son âge et les agressions du climat et des insectes. Le style et le charme de l’époque coloniale perdurent à travers lambrequins et décorations géométriques. Ses caractéristiques architecturales, adaptées au climat, la rendent très agréable à la vie sous les tropiques.
Une partie de l’habitation est encore habitée par ses propriétaires. Nous pouvons visiter quelques pièces avec les meubles d’époque de style créole en bois de couleur de la région. A l’extérieur, la cour créole était constituée de trois petits bâtiments pour abriter les pièces d’eau, la salle à manger et deux chambres d’amis. Le jardin créole tropical est agréable avec son kiosque et sa fontaine des Trois grâces, un véritable écrin de verdure caractéristique de l’art de « vivre créole » d’antan. C’est sympa mais la visite guidée ne nous enthousiasme pas. Un peu trop d’anecdotes farfelues ou déplacées de la part du guide. Et puis aussi un peu trop de monde sans doute pour apprécier pleinement cette visite guidée. Alors, les uns après les autres, nous nous éclipsons de la visite guidée et déambulons à notre rythme dans ce joli domaine.
Puis nous prenons de nouveau plaisir à continuer à flâner dans les rues d’Hell-Bourg, à regarder dans les cours et jardins les fougères arborescentes et les bambous gigantesques, à découvrir les si belles cases créoles.
Nous croisons le chemin d’un bébé tangue.
Nous sortons du cirque où nous avons eu la chance de finalement avoir eu du beau temps aujourd’hui, ce qui n’était pas gagné ce matin lorsque nous sommes arrivés. Nous apprécions cette luxuriante vallée qui nous mène vers l’océan. Le Voile de la mariée est plus dégagé que ce matin.
Petit arrêt devant le Temple du Colosse à Saint-André. Avec ses couleurs chatoyantes, il est dédié à la déesse Pandialé et fut construit par les engagés indiens au 19ème siècle. C’est le plus grand temple de La Réunion. Il a été reconstruit en 1991. Je vous rappelle que les engagés sont les travailleurs recrutés en Inde, en Chine, en Indonésie, au Mozambique, à Madagascar au 19ème siècle pour pallier le manque de main d’œuvre suite à l’abolition de l’esclavage. Les contrats de 5 ans s’apparentaient à un esclavagisme déguisé. Au total, 160 000 travailleurs étrangers furent recrutés et en 1877, un tiers de la population de l’île était issu de l’engagisme. Cette pratique a perduré jusqu’en 1930 et est à l’origine du métissage actuel.
Cette longue journée continue avec un nouvel arrêt à la Cascade Niagara près de Sainte-Suzanne haute de 25 mètres. La rivière l’alimentant est en crue depuis quelques jours et on a vu des vidéos impressionnantes sur les réseaux sociaux. Nous ne sommes pas les seuls curieux et nous devons nous garer assez loin pour accéder au site car le passage à gué est fermé à la circulation. Arrivés sur place, le niveau a bien baissé mais est nettement supérieur à celui de notre dernier passage dont je vous remets une photo. Je vous glisse aussi une photo de la même cascade en 1995 avec un déjà beau jeune homme au pied de celle-ci. J’étais à l’époque plus chevelu et moins frileux…
Retour à la case où avec Audrey, nous nous mettons aussitôt sur l’ordinateur. Il nous faut trouver le fameux plan B pour quitter l’île et rejoindre l’Afrique du Sud et notre Tiny qui n’est qu’à 2800 km. Mais comme je vous le disais, nous sommes bloqués. Pas d’autre choix que de passer par la case départ. La case France. Oui, oui, pas d’autre choix que de passer par Paris à 9400 km pour reprendre dans la foulée un autre avion pour de nouveau voler 8700 km vers Johannesburg. Nous ne sommes vraiment pas fiers de notre bilan carbone sur ce coup-là. On s’en serait bien passé d’enchainer près de 22 heures de vol et notre porte-monnaie aussi. Mais c’est ainsi. C’est l’unique solution pour reprendre notre cavale pour les trois derniers mois restants de notre tour du monde. Décollage de La Réunion le 26 janvier pour un changement express d’hémisphère à condition qu’un contretemps de dernière minute ne vienne encore nous en empêcher… On ne sait jamais, un test Covid positif à la dernière minute, un cyclone qui arrive sur l’île, une fermeture des frontières…
Suite au prochain épisode dans lequel nous vous révèlerons nos projets !!! Mais plus rien ne vous étonne de la part des Mollalpagas en cavale…