27. Turkménistan / Ouzbékistan : du 26 avril au 4 mai 2019 : Achgabat, Darvaza, Kunya-Urgench / Mer d’Aral, Noukous
1294 km parcourus du 26 avril au 4 mai 2019
22 382 km parcourus depuis le départ
Vendredi 26 avril 2019 :
Nous venons de passer notre dernière nuit en Iran. Enfin, certainement pas car s’il y a bien une certitude, c’est que nous reviendrons dans ce si merveilleux pays à la rencontre de ce peuple si accueillant dont je vous ai longuement parlé dans les précédents articles.
Une nouvelle page s’ouvre dans notre cavale à présent. Nous refermons aujourd’hui celle du Moyen-Orient et ouvrons celle de l’Asie Centrale qui va nous faire découvrir durant les deux prochains mois le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Kazakhstan. Changement de culture total. Nous partons vers l’inconnu.
C’est en compagnie de nos amis voyageurs, Gali et Compagnie ainsi que Val’ et Luc (qui n’avaient pas de nom de voyageurs, nous les appelons donc les Lav’ Cul…) que nous quittons l’Iran et notre dernier bivouac à Ghouchan à quelques dizaines de kilomètres du poste de frontière de Bājgirān.
Les paysages sont de toute beauté au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude. Le thermomètre dégringole et nous trouvons de la neige sur les bas-côtés.
C’est en force que nous arrivons au poste de douane iranien. Les formalités s’annoncent longues. Nous allons de bureau en bureau. Nous faisons tamponner le carnet de passage en douane de la Tiny, condition indispensable pour récupérer notre grosse caution laissée auprès de l’Automobile Club en France avant notre départ. La prochaine fois que nous en aurons besoin ce sera en Thaïlande, en Malaisie, en Inde, au Népal à moins que nous changions d’itinéraire d’ici là et que nous décidions d’aller faire un tour au Japon… ce qui nous trotte de plus en plus dans la tête. C’est au tour des passeports d’être tamponnés. Le portail de l’Iran se referme derrière nous. Au revoir Iran, et MERCI pour ton accueil. Une grille blanche marque l’entrée au Turkménistan.Nous savons qu’il est compliqué d’entrer dans ce pays considéré comme un des pays les plus fermés au monde. Nous l’avons déjà vérifié pour obtenir nos visas. Nous avions dû déposer une pré-demande d’autorisation pour l’obtenir auprès de l’ambassade du Turkménistan à Téhéran en Iran, accompagné d’une lettre de motivation expliquant pourquoi nous voulions traverser ce pays par voie terrestre. Dix jours après, nous obtenions par téléphone l’accord. Récemment à Mashhad, nous avons récupéré facilement nos visas au consulat turkmène en échange de 180 dollars pour toute la famille. Mais ces visas ne sont que des visas de transit de 5 jours maximum. Il y a moyen d’obtenir des visas de tourisme plus long mais à condition de payer un guide qui vous suit 24h/24.
Après environ une heure déjà passée aux douanes iraniennes, c’est trois heures à présent qui se passent à aller dans 7 bureaux différents côté Turkménistan. Plein de formulaires à remplir, à reremplir, à rereremplir dans le bureau d’après et surtout plein de choses à payer : désinfection du véhicule, frais d’entrée et de transit, frais de compensation de gasoil, frais d’assurance, frais de déclaration de transit, frais de documents, frais de banque… ce qui allège notre porte-monnaie de 183 dollars (ça revient cher le Turkménistan pour seulement 5 jours). Ah oui, on a aussi dû payer 34 dollars pour nous 4 pour avoir le droit de passer la frontière ! L’Iran ne coûtait pas moins cher mais nous avions « amorti » les 400€ de visas sur deux mois de voyage sur place et surtout avec un coût de vie extrêmement bas.
Nous devons indiquer notre itinéraire sur une carte et nous avons formelle interdiction d’en dévier. Une balise GPS nous est mise sur le véhicule et va nous dissuader de quitter l’axe prévu.
Après avoir été fouillés succinctement et reniflés par le chien, nous pouvons à présent fouler le sol de l’ancienne URSS dont le Turkménistan a pris son indépendance en 1991. Dernière consigne stricte des douaniers, interdiction formelle de s’arrêter et de prendre des photos sur les 20 prochains kilomètres ! Les caméras présentes à chaque virage nous en dissuadent…
Nous avançons nos montres d’une demi-heure. A présent, trois heures de décalage horaire avec la France.Vous ne connaissez pas le Turkménistan ? Nous non plus mais voici un petit préambule à notre arrivée dans ce régime dictatorial, l’un des plus autocratiques au monde. La situation des droits de l’homme au Turkménistan est critique. Pour l’ONG Human Rights Watch, « le Turkménistan reste l’un des pays les plus répressifs au monde, et affiche un bilan désastreux sur les droits de l’homme ». On peut citer parmi les atteintes aux libertés :
- Assimilation forcée des minorités ethniques
- Discrimination, restriction de la liberté de mouvement, interdiction des langues minoritaires
- Limitations délibérées de l’accès à la culture et à l’art (fermeture des bibliothèques en province)
- Interdiction des partis politiques (à l’exception du parti officiel)
- Justice expéditive (non-respect des droits de la défense) pour les opposants politiques
- Non-respect des droits des détenus, morts suspectes en prison
- Pas de liberté d’expression, notamment de liberté de la presse, pour ce qui touche à la politique du président. Selon Reporters sans frontière, En 2018, le Turkménistan a touché le fond et devient pour la première fois le pire pays au monde pour exercer en tant que journaliste, derrière la Corée du Nord.
- Pas d’accès à la presse internationale, peu à Internet
- Non-respect des droits des enfants, programmes scolaires fortement marqués par la propagande officielle
- Liberté de religion restreinte
- Quadrillage massif du pays et de la capitale par les forces de l’ordre, subissant une forte corruption et procédant à du racket sur les populations. En 2017, le Turkménistan occupe la 154ème place sur une échelle de corruption de 176 pays testés par Transparency International.
Toujours selon l’ONG Human Rights Watch, le pays pratiquerait la torture et l’emprisonnement politique.
Le chef de l’État, Gurbanguly Berdimuhamedow (« réélu », en 2017, à 98 % des voix), est considéré par beaucoup d’organisations non gouvernementales comme un autocrate à la tête d’une dictature. Récemment, il a par exemple ordonné à tous les possesseurs d’une voiture noire de la repeindre en blanc (sa couleur fétiche). Les voitures de couleurs sombres sont amenées à la fourrière. Une autre loi officieuse interdirait aux femmes de prendre le volant, sous peine de voir leur véhicule et leur permis de conduire confisqués. Il a également interdit l’importation de maillots de bain. Les autorités turkmènes interdisent par ailleurs désormais la vente de cigarettes et de tous les produits issus du tabac et le président interdit de fumer dans tout le pays. L’homosexualité masculine est illégale et punie de deux ans de prison.Bon, ça ne fait pas rêver… et 5 jours vont certainement être suffisants au Turkménistan…
Nous arrivons à Achgabat, capitale du pays. L’arrivée en descendant du col frontalier est impressionnante de par l’éclat et la blancheur de la ville. En 2013, elle est entrée au Guinness des records en raison de la plus grande densité d’immeubles en marbre au monde : plus de 540 édifices ont été inventoriés ! La superficie totale des bâtiments de marbre dans la ville dépasse les 4 500 000 m². Tout comme son prédécesseur, Gurbanguly Berdimuhamedow, le Président du Turkménistan a la folie des grandeurs. Grand adepte du culte de la personnalité, le président mégalomane fait construire des monuments à sa gloire, des statues de lui-même en or…
Il fait également construire des tribunes présidentielles, des ministères, des hôtels, des hippodromes… aux façades de marbre de Carrare !
Tout le mobilier urbain est en inox : abris-bus, feux de signalisation…
Il vient d’inaugurer un aéroport d’une capacité de 14 millions de passagers alors qu’en 2017, seulement 250 000 passagers ont été transportés. L’édifice veut devenir le hub de la région. Problème, le pays est l’un des plus fermés de la planète et accueille moins de 100 000 touristes par an. Le président n’a pas hésité à donner de sa personne. Une statue en or de 20 mètres de haut de l’homme chevauchant son fidèle destrier accueille les passagers. Le bâtiment est absolument magnifique avec une forme de faucon.D’où vient toute cette richesse ? L’économie du Turkménistan est fortement dépendante de l’exploitation de son gaz naturel, disposant de la cinquième plus importante réserve au monde (soit près de 12 % des réserves mondiales), ainsi que de son pétrole, qui représente 60 % de ses exportations.
Les habitants ne payent ni électricité, ni eau et jusqu’à récemment, se voyaient offrir 1000 litres de carburant par an.
Nous traversons la ville et nous faisons reprendre à plusieurs reprises par les militaires présents à chaque intersection car nous prenons des photos, ce qui est également interdit. Car oui, tout est interdit ici, de même que de cracher, se bagarrer, insulter ou même de rouler avec une voiture sale, sous peine de grosse amende… Les voitures (blanches) brillent, de même que les camions de chantier où pas une poussière n’est collée au châssis ou dans les garde-boues.
Pas un déchet ne traîne. Des centaines de personnes nettoient la ville, les parcs, les avenues, les ponts, les lampadaires…
Les routes de la capitale sont quasi désertes. Les voitures roulent au pas, bien sur leur voie de circulation. Les piétons sont respectés. Quel contraste avec l’Iran !
Les femmes très élégantes portent des longues tenues très colorées et des sortes de chapeaux assez volumineux !
Nous nous rendons au marché russe prenant place dans une immense halle. Là également, tout est nickel. Pas une pelure d’oignon par terre. Les étals sont parfaits. Pas un fruit trop mûr. Mais là encore, il est interdit de prendre des photos. Là encore, je me fais rappeler à l’ordre.
Nous parvenons à faire du change au marché noir à plus de quatre fois le taux officiel (1 euro pour 16,50 manats).
Ce qui nous permet de nous faire plaisir et d’acheter viande, charcuterie, fromage et alcool… tout ce qui nous a manqué en Iran… Quel bonheur de trinquer une (enfin, plusieurs…) bière avec les amis… Les bars sont cachés au sous-sol du marché. Ici, la cigarette est tolérée. Une jeune femme, se présentant comme journaliste vient à notre rencontre devant notre véhicule et nous demande si elle peut écrire un article sur nous ! Nous acceptons et répondons à ses quelques questions. Puis elle nous demande si elle peut nous prendre en photo. Nous acceptons et posons tous les 4 devant la Tiny. Mais elle s’aperçoit que Victor est descendu pieds nus et cela est interdit sur une photo. Victor chausse ses pieds. Elle reprend une photo mais s’aperçoit que Victor a enfilé des babouches et cela est interdit aussi car il faut des chaussures fermées. Troisième pose. Là, elle se rend compte que j’ai les mains dans les poches sur la photo et cela lui sera également refusé par sa rédaction. Quatrième pose.
Nous bivouaquons sur une place entre des immeubles résidentiels. La nuit s’annonce calme car un couvre-feu est imposé de 23 heures à 6 heures. Nous nous réfugions dans le camion des Lav’Cul.
Samedi 27 avril 2019 :
600 kilomètres de ligne quasi droite sont au programme des prochains jours. Nous savons que la première partie jusqu’à Darvaza est bonne. En fait, elle est à peu près bonne. Dès notre sortie de la capitale, nous arrivons sur un axe au revêtement asphalté assez moyen.Nous entrons dans le désert du Karakoum, occupant 350 000 km² soit plus de la moitié du territoire turkmène. Nous parcourons aujourd’hui environ 300 km avec pour seul paysage, un désert pas super beau. Il fait chaud mais c’est largement supportable car l’été la température y atteint 50 degrés, en hiver elle tombe à -20 degrés. Nous ne voyons quasiment aucune trace de vie. Seulement deux ou trois hameaux traversés aujourd’hui… Donc pas d’élevage, pas de culture, rien à l’horizon…
Aujourd’hui, le turbo fait de nouveau des siennes… Il y avait bien longtemps que ce n’était pas arrivé et c’est la première fois que le problème n’est pas lié à une température extérieure élevée. Pourtant, s’il y a un endroit où il ne faut pas tomber en panne, c’est bien au Turkménistan. Car aucun garage ici et surtout interdiction de dépasser le visa de 5 jours. Bon, vu la vitesse où on roule aujourd’hui, pas vraiment besoin de turbo, si ce n’est pour les reprises après chaque imperfection du bitume.
Nous faisons une pause près de deux cratères, certainement dus à des effondrements de cavités souterraines. L’un est rempli d’eau turquoise et de déchets plastiques.
De l’autre émane une boue bouillonnante ainsi que des poches de gaz dont certaines sont en feu.
Plus loin, à hauteur de Darvaza, nous quittons l’axe principal et bifurquons sur la droite en empruntant une piste sablonneuse, mais accessible facilement par temps sec sans 4×4, longue d’environ 7 km.
Au milieu du désert du Karakoum, à environ 260 kilomètres au nord d’Achgabat, une poche de gaz naturel a été découverte par des scientifiques soviétiques en 1971 qui ont mis en place une plate-forme de forage leur permettant d’évaluer la quantité de réserve de gaz disponible sur le site. Mais le sol se déroba en un large cratère et fit disparaître l’appareil de forage et le camp. À cause de cet incident, de grandes quantités de méthane furent libérées, créant un problème environnemental mais aussi un danger pour les habitants des villages voisins. Craignant la libération de gaz toxiques de la caverne, les scientifiques décidèrent de le brûler car les circonstances étaient telles que l’extraction du gaz était impossible. À l’époque, on s’attendait à ce que la totalité du gaz brûle en quelques semaines, mais la combustion se poursuit 48 ans plus tard.
Mais il s’agit avant tout d’une véritable catastrophe écologique pour le réchauffement climatique de notre planète. En 2010, le président du Turkménistan, Gurbanguly Berdimuhamedow, a ordonné que le trou soit fermé, ou que des mesures soient prises pour limiter son influence sur le développement d’autres gisements de gaz naturel dans la région. Mais rien d’efficace ne semble avoir été fait depuis.
Nous posons notre bivouac près du cratère et discutons un moment avec une famille d’expatriés français dont Abdel travaille pour un géant du bâtiment français qui construit des bâtiments de plusieurs centaines de millions de dollars aux façades en marbre…
Le nom « Porte de l’enfer » a été trouvé par les gens du pays. Il a été inspiré par l’incendie, la boue bouillante ainsi que les flammes orange du grand cratère large de 70 mètres de diamètre et profond de 20 mètres. Des langues de feu lèchent constamment les parois du cratère et des bourrasques d’air brûlant s’en échappent. La chaleur extrême, telle une porte de four qu’on ouvrirait sans prendre garde, et le grondement sourd du feu font tourner la tête, bien qu’on ne sente pas de gaz dans l’air. Le spectacle est impressionnant et nous restons longtemps à l’observer.
Une lueur orange incroyable perce la nuit noire qui vient de tomber et cela devient encore plus grandiose. Un oiseau survole le cratère et ses ailes phosphorescentes le transforment en oiseau rétro éclairé. C’est vraiment étonnant et magique.
Régulièrement, nous faisons des allers-retours pour observer le site.
La soirée est bien agréable avec nos amis voyageurs. Elle est également bien arrosée car la bouteille de vodka ne coûte ici que deux euros… L’un(e) d’entre nous le regrettera d’ailleurs en fin de soirée et surtout certainement demain mais je n’aime pas balancer donc je ne citerai pas de nom. Par décence et respect, je ne peux publier ici de photos.
Dimanche 28 avril 2019 :
La route n’était pas terrible hier mais on sait qu’elle est annoncée comme exécrable aujourd’hui pour rejoindre la frontière ouzbèque. Mais avant de rejoindre le bitume, nous nous amusons sur la piste. Puis, l’«asphalte» arrive, ou plutôt ce qu’il en reste… La route est défoncée. Il y a des nids de poules d’autruches tous les mètres. On fait du 25 km/h de moyenne. Parfois les bas-côtés sont moins pires que la route elle-même. Quel contraste avec l’extravagance de la capitale et de ses avenues à 2×3 voies parfaites (et désertes). Aucun entretien n’est fait sur cet axe. On pense d’ailleurs que c’est un choix délibéré du gouvernement qui n’a pas envie de voir ses habitants se déplacer dans son pays.
Gaëtan craque, laisse le volant à Linda et monte sur le vélo. Il roule aussi vite que nous sur 25 km !Pas d’habitants mais juste quelques rares animaux nous saluent en voyant la Tiny.
Nous arrivons péniblement à Ruhubelent, endroit où nos routes vont se séparer demain matin avec les autres voyageurs car nous avons fait le choix d’emprunter une autre frontière qu’eux pour quitter le Turkménistan et entrer en Ouzbékistan. Plein de gasoil à 0,08€ grâce à notre taux de change favorable. Sinon, on aurait payé 0,40€. Nous soldons également nos derniers manats turkmènes en achetant quelques bières et bouteilles de vodka à la superette du coin. Les bouteilles d’alcool ne sont pas en évidence sur les étals mais sous le comptoir du patron qui nous fait faire une dégustation.
Le shérif de la police arrive sur notre bivouac et descend de sa vieille voiture datant de l’ère soviétique. Ses trois dents en or brillent. Sa sacoche en cuir aussi. Il demande à visiter la Tiny et fait remarquer gentiment à Audrey qu’il y a beaucoup de bouteilles d’alcool dans notre sac de courses.
Tout le monde bricole sur son camion. Nos montures sont effectivement mises à rude épreuve sur ces routes défoncées.
Je découvre sur la Tiny un nouveau petit souci. Mon boîtier de direction fuit de l’huile… Il serait encore temps de commander un joint spi et se le faire ramener par la famille qui nous rejoint la semaine prochaine mais nous n’avons pas de réseau internet au Turkménistan. Soirée crêpes et moustiques (pas sur les crêpes. Quoi que.) Minuit, on frappe à la porte des camions. Ni Gali, ni les Lav’Cul n’ouvrent à ce policier (c’est pas sympa les copains !) qui tambourine. Moi, j’ouvre la fenêtre et lui explique en français qu’il me parle beaucoup trop fort et qu’il va réveiller les enfants. Il m’explique en russe je ne sais quoi. Je referme la fenêtre.
Lundi 29 avril 2019 :
Pas le temps de faire école ce matin encore. La priorité est à la route d’autant qu’on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre car nous n’avons aucun retour de voyageurs passés par là. Tous bifurquent vers le poste de frontière de Dasoguz. Nous décidons de monter plein nord, et d’entrer en Ouzbékistan par le poste de Kunya-Urgench, distant de 100 km.
Nous sommes contents des 10 premiers kilomètres malgré les profondes ornières dans le bitume et les nids d’autruches mais rapidement nous déchantons. L’asphalte s’arrête et nous nous retrouvons sur une piste de terre. Je roule à 8 ou 10 km/h. Il reste encore plusieurs dizaines de kilomètres. C’est usant, éreintant. Je souffre. Mes passagers aussi. Ma monture aussi.
La région est, contrairement à ce qu’on a vu jusqu’à présent, bien cultivée. Les terres sont irriguées et les rizières sont inondées. Le Turkménistan est aussi le dixième plus important producteur au monde de coton. Le pays est traversé par le canal du Karakoum, le plus long du monde avec 1375 km. Il a été creusé dans les années 1950 et 60 pour relier l’Amou-Daria, dont il utilise 20 % du débit, à la mer Caspienne. Malheureusement, les fuites importantes créent des lacs et des marais, et entraînent une importante salinisation.
Nous approchons de la ville de Kunya-Urgench dans le nord-ouest du Turkménistan. On retrouve des signes de vie, enfin, après cette longue traversée du désert. Des enfants tous habillés de la même façon pour se rendre à l’école nous saluent.
La vieille ville est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. C’est le seul site classé du pays. Il inclut une série de monuments en pisé et en terre cuite datant essentiellement du 11ème au 16ème siècle. Ces constructions d’inspiration islamique, qui comprennent une mosquée, les portes d’un caravansérail, des forteresses, des mausolées et un minaret haut de 60 mètres, témoignent des fabuleuses réalisations architecturales et artistiques dont le rayonnement est parvenu jusqu’en Iran et en Afghanistan.
Les gens sont aussi également très curieux et montent facilement dans la Tiny pour prendre des photos.Il ne faut pas traîner car la frontière ferme à 17 heures. Nous ne sommes plus qu’à une poignée de kilomètres. Quasiment pas de voitures traversent ce poste de frontière comme d’ailleurs les deux seuls autres postes permettant d’entrer en Ouzbékistan. Nous sommes seuls avec cette autre Renault Laguna occupée par trois jeunes voyageurs belges.
Il nous faut deux heures pour passer la frontière, se faire tamponner les passeports, se faire fouiller le camion, justifier pourquoi on a demandé une extension de nos visas iraniens (??), rendre le GPS, justifier qu’on est français et qu’on n’a plus besoin de visa pour entrer en Ouzbékistan, et surtout bien prendre note de la marque de vodka que me conseille de tester un des militaires…
La fatigue est là, nous ne voulons pas beaucoup rouler. La priorité est de remplir nos réserves d’eau, ce qui sera chose faite avec la lance karcher d’un laveur de voiture. La seconde priorité est de trouver de l’argent ouzbèque mais pas de distributeur de billets dans la ville de Xo’jayli. Je demande au premier passant s’il peut m’aider à changer des dollars. Il me fait signe de monter dans sa Lada hors d’âge et m’emmène dans le sous-sol d’un pavillon. Je fais la transaction avec l’habitant qui sort avec une liasse de soums, la monnaie locale.Troisième priorité, trouver un bivouac. Assez facile sur une petite place mais des gardiens sortent m’indiquant qu’il est interdit de stationner ici. Certes, c’est un bâtiment du gouvernement, mais ça semblait tranquille. Je négocie. Audrey négocie. On remonte dans le camion. La police ne tarde évidemment pas à arriver. Je négocie. Audrey négocie. Pas d’autre choix que de les suivre jusqu’à un autre parking. Un policier souriant vient discuter avec nous, nous indique le poste de police dont il ne faudra pas hésiter à pousser la porte en cas de besoin. On le rassure.
Mardi 30 avril 2019 :
Nous reprenons le rythme de l’école et de l’écriture du blog que nous avions perdu lors de notre traversée du Turkménistan. Soudain, une centaine de gamins entourent la Tiny. Nous sommes en fait stationnés devant une entrée d’école ! Anaïs et Victor échangent avec les élèves et se prêtent au jeu des selfies.
J’échange avec Joaquim qui me trouve un joint spi pour mon boîtier de direction. La famille devrait pouvoir nous le récupérer. Il ne nous reste plus que quelques jours avant de récupérer tout le monde à l’aéroport et décidons de faire un aller-retour jusqu’à la mer d’Aral.
La route est belle. Une quatre-voies nickel. Quel bonheur !
Nous croisons un camping-car français, celui de Nathalie et Stéphane, que nous avions déjà rencontrés sur deux rassemblements de voyageurs en France, mais nous ne savions pas qu’ils étaient ici ! Quelle coïncidence de trouver des vendéens sur cet axe désert. Nos chemins ne font que se croiser ici. Nous prenons juste le temps de partager un café mais nous devrions les revoir dans les deux mois à venir car nous allons emprunter le même itinéraire.
Soudain, la route devient assez pourrie puis très pourrie. Il ne reste « que » 100 km mais il nous faudra quasiment 2h30 pour rejoindre la ville de Moynaq.
On est le 30 avril et c’est le dernier jour du mois pour tenter de réaliser notre défi, enfin celui d’Émilie… qui consiste à « manger une spécialité locale (viande ou insecte) que nous n’avons jamais mangée et que nous n’aurions jamais souhaité manger sans ce défi ». Nous entrons dans le seul « restaurant » du village et commandons une Shashlik, spécialité culinaire de l’Ouzbékistan. Il s’agit d’une brochette de morceaux de gras issus de la queue du mouton, la partie la plus noble de l’animal. Le tout est accompagné d’oignons crus au vinaigre. Nous ajoutons un gros verre de vodka pour faire passer le tout… Ce n’est pas cher mais ça ne vaut pas plus…
Du coup, nous en profitons pour tester d’autres spécialités culinaires ouzbèques comme les Laghman (nouilles épaisses mélangées à des légumes et de la viande), les Manty (gros raviolis cuits à la vapeur et fourrés de viande) ou les Samsas
Nous traversons la ville et posons notre bivouac au pied de la mer d’Aral, ou plutôt du désert d’Aral. Soirée documentaire Arte pour tenter de comprendre cette catastrophe écologique. Décidément, cela fait deux catastrophes écologiques sur le même article. Et deux catastrophes à cause de la bêtise humaine. C’est aussi ça le voyage, prendre conscience et faire prendre conscience à Anaïs et Victor de la fragilité de notre planète.
Nuit non pas bercée par le clapotis des vagues mais par le silence du désert d’Aral…
Mercredi 1er mai 2019 :
La mer d’Aral est un lac d’eau salée d’Asie centrale partagé entre le Kazakhstan au nord et l’Ouzbékistan au sud. Dans les années 1960, la mer d’Aral, encore alimentée par les puissants fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, formait la quatrième plus vaste étendue lacustre du monde, avec une superficie de 66 458 km² (soit plus de 2 fois la superficie de la Belgique). Revenons sur cette tragédie qui a fait depuis perdre à la mer d’Aral, 75 % de sa surface, 14 mètres de profondeur et 90 % de son volume.En 1918, les autorités de la République socialiste fédérative soviétique de Russie procédèrent au détournement de ses principaux affluents afin d’irriguer des zones désertiques de l’Ouzbékistan pour y implanter des rizières et des champs de coton. Au début des années 1960, les économistes soviétiques décidèrent d’intensifier la culture du coton en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria furent privés d’une partie de leurs eaux pour irriguer les cultures par plusieurs canaux dont celui de Karakoum. Le manque d’apport en eau assécha alors peu à peu la mer dont le niveau baissait de 20 à 60 cm par an. Cet assèchement est une des plus importantes catastrophes environnementales du 20ème siècle.
La séparation entre la Petite mer au nord au Kazakhstan et la Grande mer au sud en Ouzbékistan date de 1989. En août 2005 s’est achevée la construction de la digue de Kokaral (financée par la Banque mondiale) qui sépare à présent la petite partie nord de la mer d’Aral, la Petite mer d’Aral, du reste de la dépression, la préservant ainsi de l’assèchement. Son niveau a même remonté spectaculairement, plus vite que ne l’espéraient les experts et la pêche a repris depuis 2006.
Mais la partie sud devant laquelle nous nous trouvons, appelée Grande Aral ne reçoit pratiquement plus d’eau de surface et est en grande partie asséchée. Ceci a eu pour effet d’augmenter sa salinité et la plupart des espèces endémiques ont disparu. Le nombre d’espèces de poissons est passé de 32 à 6. Les quantités gigantesques de pesticides qui, jadis, étaient charriés par les deux fleuves se sont déposés au fond du bassin de l’Aral avec le sel laissé par les eaux, et se sont retrouvés, au fur et à mesure que l’évaporation progressait, à l’air libre en raison des vents violents. Ils ont provoqué une forte hausse du taux de mortalité infantile (parmi les plus élevés du monde aujourd’hui), une augmentation du nombre des cancers et des cas d’anémies, ainsi que le développement d’autres maladies respiratoires directement reliés à l’exposition à des produits chimiques, phénomènes confirmés par des études de l’OMS.Sur la dernière vue Google Maps ci-dessous, la puniase rouge marque la ville de Moynaq, ancien port. La petite langue d’eau au nord-ouest de la ville est à 90 km !
Pour empêcher cet assèchement total, de multiples projets de tentatives de sauvetage ont été évoqués comme le détournement des fleuves Volga, Ob et Irtych, le creusement d’un canal depuis la mer Caspienne, l’amélioration des canaux d’irrigation, le remplacement du coton par des espèces moins gourmandes en eau mais rien n’est fait pour l’instant, du moins rien de concluant si ce n’est sauver la petite mer d’Aral.
Sur l’ancien fond au sud de la Grande mer d’Aral, l’Ouzbékistan a planté 300 000 hectares de saxaoul, des arbustes, qui produiraient 167 000 tonnes d’oxygène en absorbant 230 000 tonnes de CO². Ces plantes sont une aide contre l’érosion et elles permettent de réduire l’effet de serre.
C’est toujours ça de bon pour la planète mais parallèlement à ce type de projet, l’Ouzbékistan reste le 2ème exportateur mondial de coton en 2011 et deux millions d’hectares de cette plante y sont encore cultivés. Or l’irrigation reste incontrôlée puisque le coton est une culture qui demande beaucoup d’eau, accentuant ainsi les phénomènes naturels d’assèchement.
La grande mer d’Aral, qui fournissait autrefois des dizaines de milliers de tonnes de poissons par an, a très peu de chances de revoir le jour. Le village de Moynaq dont 10 000 personnes vivaient de la pêche s’est en partie vider de sa population. En 1921, une grave famine sévissait dans la région de la Volga. Lénine appela la flotte de la mer d’Aral à l’aide et en quelques jours, 21 000 tonnes de poissons furent acheminées, sauvant des milliers de Russes. Aujourd’hui Moynaq est en profonde mutation touristique. Des bâtiments flambants neufs sortent de terre partout remplaçant les entrepôts désertés de mise en conserve des poissons.
Autre catastrophe écologique, en 1948, un laboratoire de fabrication et un site d’essais d’armes biologiques top-secret ont été établis sur l’île de Vozrojdénia située au centre de la mer d’Aral. Mais la base a été abandonnée à la suite de la désintégration de l’URSS. Mais aujourd’hui, ce qui était une île ne l’est plus et tout le monde a accès à ce site d’enfouissement, bien qu’il aurait été décontaminé par les américains et les ouzbeks en 2002 suite aux attentats à l’anthrax l’année précédente aux USA.
Nous sommes garés sur le port de Moynaq, désormais au milieu des terres, qui fut le plus grand port de la mer d’Aral, au bord de la grande mer du sud. Devant nous, une immensité désertique, désolante. Pas de trace d’eau à l’horizon mais simplement des carcasses de bateaux de pêche rouillés. On a un sentiment de malaise devant cette catastrophe environnementale. Espérons que les enfants resteront marqués par ce désastre écologique macabre.
Nous quittons Moynaq et faisons route inverse. Mais nous ne regrettons pas cet aller-retour. 45 km/h maxi sur cet asphalte démoli sur une centaine de kilomètres.
En fin d’après-midi, nous bivouaquons au même endroit qu’il y a deux jours dans la ville de Xo’jayli mais en prenant garde cette fois de ne pas se garer devant l’entrée de l’école. Quelques élèves viennent voir Anaïs et Victor pendant leur pause de midi. Anaïs se voit offrir un dessin. Victor entame une partie de foot. Un petit garçon va lui acheter une glace.
J-4 avant l’arrivée de la famille. L’excitation monte ! L’impatience est là ! Il est temps de réserver les nuits d’hôtels pour eux car nous risquons d’être serrés pour dormir à 8 dans la Tiny. Mais pour cela, il nous faut aussi faire le programme précis de nos 10 prochains jours, ce que nous n’avons pas l’habitude de faire en temps normal. On vit plus au jour le jour d’ordinaire ! Cela occupe notre soirée.
Jeudi 2 mai 2019 :
Journée tranquille aujourd’hui, seulement 15 km de route au programme pour rejoindre la ville de Noukous, réputée pour son musée des Beaux-Arts du Karakalpakstan (c’est le nom de la région où nous sommes). Audrey et les enfants partent le visiter. Je reste à la Tiny craignant ne pas apprécier à sa juste valeur cette collection unique de tableaux de l’avant-garde et post-avant-garde soviétique rassemblée par Igor Savitsky.
Malgré le risque d’être dénoncé comme anticommuniste et d’être déporté en Sibérie, il réussit à sauver plus de 90 000 œuvres d’artistes réprimés durant la période stalinienne (Falk, Lyssenko, Popova, Chterenberg…), œuvres qu’il entreposa dans les archives du musée de Noukous. Noukous était loin de Moscou et de son pouvoir totalitaire, et les tableaux furent oubliés du monde. Ils ne réapparurent qu’avec la Perestroïka (réformes économiques et sociales menées par le président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev entre 1985 et 1991) et, en 1988, une première exposition fut présentée au Musée russe de Saint-Pétersbourg.
Le musée comporte aussi un étage consacré à l’artisanat karakalpak : bijoux, tissus, vêtements… Audrey et les enfants apprécient beaucoup la richesse de l’exposition.
Bivouac non loin du parking du musée. Des enfants ouzbeks viennent jouer avec Anaïs et Victor. Les échanges simples en anglais se font de plus en plus facilement. Victor hésite encore un peu mais n’a pas trop peur de dire deux mots en anglais. Anaïs est plus à l’aise.
Nous discutons avec un couple de Suisses voyageant en 4×4 cellule puis avec deux policiers à qui nous expliquons que nous allons dormir là. Ils auraient au moins pu passer le message à leurs collègues qui sont venus taper à la porte à 22h30. Prenant exemple sur nos amis voyageurs, nous n’ouvrons pas. Ils tapent à la fenêtre. Nous n’ouvrons toujours pas. J’observe discrètement derrière le rideau. Ils restent une heure près de la Tiny et s’en vont.
Vendredi 3 mai 2019 :
Journée tranquille : rangement, école, blog, administratif, discussion avec des passants intrigués, change à la banque d’euros contre des soums (10 000 soums = 1,09€). Route en direction d’Ourguench mais nous nous arrêtons bivouaquer au bord d’une rivière à l’eau marron. Dommage, on avait prévu de faire une lessive et éventuellement de se baigner. Mais le coin est calme et ombragé. Victor construit un mini village avec un peu de terre et trois morceaux de bois tandis que sa sœur jongle et jongle encore. Nuit bercée par les chants des grenouilles.
Samedi 4 mai 2019 :
Dernier jour d’école. Ce midi, les vacances commencent pour 10 jours car les papis, mamie et tonton arrivent demain matin à l’aéroport ! En début d’après-midi, nous roulons en direction de l’aéroport pour être sur place demain matin à 8h55 dans le hall des arrivées !Nous nous arrêtons faire le plein d’eau mais pas de robinet… il faut pomper à l’eau et remplir 40 bidons de 5 litres ! Maria, la propriétaire des lieux est trop sympa et veut même pomper pour nous… Nous lui offrons une tablette de chocolat. Elle revient avec un foulard qu’elle offre à Anaïs !
Bivouac près d’un parc au pied de l’aéroport d’Ourguench. Je découvre une nouvelle fuite assez importante au niveau de mon réservoir de gasoil, mais ne parviens pas à voir d’où elle vient… Suite au prochain numéro !