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528 km parcourus du 2 au 9 mars 2021

67 315 km parcourus depuis le départ

Mardi 2 mars 2021 :

Notre cavale se poursuit toujours sous les 30°C du Kenya. Je vous avais laissés à la fin du dernier article sur notre bivouac en pleine nature, un peu isolés sur la route reliant Kiserian à Magadi.

Je vous avais également laissés avec le suspense de notre rendez-vous en terre inconnue. Un suspense pour nous aussi. Nous aimons d’ordinaire laisser guider notre cavale par le hasard mais pour une fois, nous avons rendez-vous. Grâce à nos amis, les Un tour à cinq, nous avons été mis en relation avec une famille Maasaï qu’ils avaient rencontrée l’an dernier.

Nous faisons donc route vers le sud. Les paysages sont magnifiques car nous sommes dans la grande fracture du Rift, née d’une déchirure de la croûte terrestre survenue il y a 30 millions d’années environ. Elle s’étend sur près de 7000 km dans l’Est de l’Afrique, de la Mer Rouge jusqu’au Mozambique. Bordée de hauts plateaux volcaniques, ce vaste fossé d’effondrement est une succession de dépressions et abrite de nombreux lacs.

Une route défoncée qui ne nous permet pas de dépasser les 35 km/h de moyenne. L’asphalte, quand il y en a, est pourri. La route est en travaux sur les 70 km de l’étape du jour. Usant.

Nous répondons toujours aux si nombreux signes des Maasaïs parés de rouge ou de bleu sur le bord de la route. On entend plusieurs fois par jour des « Nyumba au gari ? » signifiant en swahili « maison ou voiture ? »… Les Kényans lancent des cris admiratifs et des sifflements à notre passage.

Nous arrivons près de Magadi en surplombant le lac éponyme, le plus méridional du Kenya.

Je roule quand d’un coup Audrey me dit de m’arrêter car un homme sur le bas-côté brandit une pancarte sur laquelle est écrit « Benson ». Mais c’est notre rendez-vous ! Nous savions que Benson, chez qui nous sommes invités, nous attendait sur le bord de la route mais on avait compris que c’était plus loin.

De grands sourires cachés par notre masque Covid (nous ne le portons quasiment jamais mais comme Benson l’a, nous le mettons aussi évidement) marquent déjà le début de cette rencontre comme si on retrouvait un ami qu’on n’avait pas vu depuis longtemps… Benson est venu à notre rencontre car la piste menant chez lui ne figure sur aucune carte GPS. Maryline nous avait prévenus que la piste était pourrie… Elle est effectivement très pourrie. On avance au pas sur 7 km sur des pierres bien saillantes. La Tiny est fière d’elle et nous mène à bon port, en plein bush.

Nous arrivons à Parakuo, là où habite Benson. Il nous présente sa femme Purity et quelques uns de ses enfants et amis. Nous nous installons à l’ombre du soleil brûlant et commençons à échanger sur nos modes de vie respectifs. Quelle joie et quel privilège d’être invités dans cette famille Maasaï ! Benson est déçu que la Tiny soit trop large pour entrer dans l’enceinte du boma. Comme je vous l’avais présenté dans le dernier article, les bomas sont ces espaces de vie communautaires, entourés de clôtures naturelles de branchages épineux pour protéger les troupeaux de chèvres et de moutons des prédateurs nocturnes, ici des hyènes. Nous restons donc juste devant l’entrée du boma.

La propriété se résume à une habitation récente en tôles servant de chambres et d’un autre bâtiment en terre qui sert de cuisine. Il y a aussi un lit avec une peau de vache en guise de matelas étalée sur un sommier en branches. Quand Benson aura plus d’argent, il agrandira la partie des chambres avec un nouvel habitat en tôles. Il y a encore deux ans, ce joli bâtiment en tôles métalliques sur une chape de ciment, solide et étanche n’existait pas et les chambres étaient construites dans les mêmes matériaux que la cuisine. Contrairement aux autres familles Maasaïs qu’on a vues, celle de Benson semble vivre plus confortablement. Benson est salarié et travaille à la sécurité dans une usine à Magadi. 6 jours sur 7, il y va et en revient à pied. 14 km aller-retour avec une montagne à gravir. Par 40°C en ce moment. Nous apprenons qu’il a échangé sa journée de travail avec un collègue aujourd’hui pour nous accueillir.

Visite de la Tiny. Tous nos nouveaux amis Maasaïs sont surpris de notre équipement, du gaz, de l’électricité, de l’eau, du frigo que nous avons à bord de notre Tiny. Ils n’ont rien de cela. Un poteau électrique dessert bien leur boma mais le raccordement coûterait une fortune à Benson, plus de 400€. Il se contente donc d’un petit panneau solaire à peine suffisant pour fournir de l’énergie pour allumer une ampoule le soir. A tour de rôle, ils viennent recharger leur téléphone portable dans la Tiny. Ils jouent à faire jour/nuit avec l’interrupteur électrique de la Tiny, comme Christian Clavier dans Les Visiteurs ou bien comme de nombreux Mongols qu’on avait vus dans les steppes d’Asie… On les soupçonne aussi de nous demander un verre d’eau pour le plaisir et l’étonnement de voir couler l’eau au robinet.

Benson est fier de nous montrer son troupeau de bovins dont il prend soin. Après leur retour de leur journée en liberté dans le bush, il les ausculte un à un. Parmi les 120 têtes, il en repère un qui a la diarrhée. Aussitôt, il lui injecte un médicament.

Nous passons donc l’après-midi à discuter et dinons en mettant en commun les plats préparés par Audrey et par Purity. Le masque Covid qui était déjà tombé sur le menton a disparu.

Ruth, la maman de Benson passe la journée à s’occuper de sa petite fille Pianoi, dont la maman Naomi travaille à Magadi et ne revient pas le soir.

A la nuit tombée, le ciel étoilé est magnifique alors qu’aucune pollution lumineuse n’est présente. La voie lactée est de toute beauté.

Mercredi 3 mars 2021 :

La nuit a été bien calme, en pleine savane, juste bercée par les cloches des moutons et des chèvres. Réveil en douceur, puis traditionnelle matinée d’école entrecoupée de thés au lait et de cafés partagés avec nos hôtes.

Puis ce midi, nous invitons Benson et sa famille à se réunir autour de notre Billig, notre fameuse crêpière bretonne. Elle nous prend certes une place considérable et un poids phénoménal, mais elle nous permet de passer des moments mémorables et de remercier les familles qui nous accueillent au gré de notre cavale !

Il est l’heure où les écoliers rentrent pour la pause méridienne et nos deux litres de crêpes ne font pas long feu ! Mais le moment partagé restera longtemps ancré dans nos mémoires respectives.

Ruth, la maman de Benson, nous montre les bijoux traditionnels maasaïs qu’elle fabrique avec des perles de verre multicolores et qu’elle vend habituellement aux touristes venant au lac de Magadi voisin. Mais les temps sont durs en ce moment et les touristes ne sont plus au rendez-vous depuis bientôt un an. Nous nous faisons donc plaisir et faisons plaisir à cette femme en lui achetant de nombreux souvenirs et petits cadeaux d’avance pour les gens qu’on aime.

La parure corporelle tient une grande place chez les peuples pastoraux maasaïs du Kenya. Les femmes portent leurs bijoux en perles en grands et larges colliers multicolores. Traditionnellement dans la culture des guerriers maasaïs, le choix des couleurs et des ornements indique plusieurs caractéristiques sociales. Tout d’abord, il précise si la personne était Maasaï ou si elle appartenait à un autre groupe ethnique, car les perles maasaïs doivent répondre à certains critères esthétiques. Par ailleurs, les différents clans maasaïs utilisent des codes très précis de combinaisons de couleurs afin d’indiquer leurs liens de parenté. Enfin, l’arrangement des perles reflète aussi une position sociale au sein du groupe. Par exemple, la ceinture d’une jeune femme sera différente de celle d’un homme ou encore d’une femme déjà mariée, de même pour ses boucles d’oreilles… En dépit de ces règles culturelles assez strictes, la mode, impulsée par les femmes, influence l’évolution des motifs. Chaque nouvelle génération développe un style particulier, utilisant un certain type de matériau ou de couleurs et symboles qui les unit et les identifie. Les femmes continuent de créer leurs propres motifs et accessoires, et adaptent leurs créations aussi aux goûts des touristes.

Nous achetons, sans négocier, à cette élégante dame ses bijoux. En remerciements, elle nous offre à chacun des bracelets. Anaïs à son tour offre à chacun d’eux ses petits bracelets tissés. Victor offre à Purity une paire de boucles d’oreilles qu’il a taillées dans du bois d’olivier centenaire de l’île de Krk en Croatie.

Les parures sont tout simplement superbes. La ceinture de Peré aussi. De même que les bracelets.

Nous faisons connaissance avec Jenny, une belle sœur de Benson, qui vient d’un autre groupe maasaï à la frontière tanzanienne (raison pour laquelle elle est la seule à avoir les marques circulaires sur le visage, contrairement à tous les autres de la tribu où nous sommes). Nous lui commandons un petit bracelet de perles pour notre nièce Elsa, avec son prénom.

Dans cette famille maasaï, on sent que les pratiques ancestrales culturelles évoluent avec les nouvelles générations. La polygamie n’est plus d’usage par exemple.

Nakulapan, de son surnom maasaï Peré, nous fait une petite démonstration avec Benson, de danse traditionnelle qu’ils accompagnent de sons gutturaux. Nakulapan fait partie du même groupe de danseurs que celui de Benson. Régulièrement, ils sont invités à promouvoir la culture maasaï à l’étranger. Ils ont ainsi eu la chance de voyager dans de nombreux pays dont la France.

Benson est le seul à parler anglais mais il part cet après-midi travailler en ville à 15 heures. Il reviendra demain matin. Nous restons avec le reste de la famille et des amis. Nakulapan passe tout l’après-midi avec nous dans la Tiny. Il ne parle pas anglais. La discussion est vite limitée mais il nous observe patiemment ranger la Tiny, travailler sur l’ordinateur, préparer les thés et cafés et les innombrables verres d’eau qu’on offre par ce temps caniculaire. Je lui fais découvrir le groupe de musique des Têtes raides que j’aime tant. Nous improvisons une petite danse sur l’air de « Ginette ». Dan, le berger des troupeaux de chèvres et de moutons, reste également là à nous observer.

Anaïs et Victor partagent d’agréables moments avec les autres enfants de la communauté. Les petits Maasaïs apprennent l’anglais à l’école donc ils arrivent un peu à échanger. Victor sculpte toujours ses petits morceaux de bois sous le regard attentif de tout le monde. Nakulapan l’aide quelques instants.

Jeudi 4 mars 2021 :

Que c’est doux de prendre son temps, de partager avec nos nouveaux amis maasaïs ces moments. Respectivement, nous nous invitons à partager un thé ou un café. Puis, de nouveau, nous mettons en commun nos plats pour le déjeuner de ce midi.

Puis, pour éviter à Benson de marcher 7 km pour aller à son travail alors que la température dépasse largement 40°C, nous profitons de partir au même moment. Après les 7 km de piste, nous retrouvons l’enrobé à l’état toujours moyen et descendons vers Magadi où Benson travaille. Nous nous arrêtons à l’entrée de la ville dont l’accès est étonnement interdit aux visiteurs. Nous n’avions encore jamais vu cela.

Ce n’est pas bien grave car la ville n’a pas d’autre intérêt que son lac dont nous pouvons profiter juste avant d’y entrer. Des milliers de flamands nains (Phoenicopterus minor) viennent se nourrir des micro algues, crevettes et autres crustacés qui prolifèrent dans les eaux ce lac salé. Ce dernier est alimenté par les eaux des pluies qui lessivent les pentes volcaniques avoisinantes et emportent les sels minéraux, mais surtout par des sources chaudes salines. Ce lac inhospitalier contient une eau à haute teneur en sel mais il n’est toutefois pas totalement exempt de vie : une seule espèce de poisson endémique y vit dans des eaux alcalines (pH 10) dont la température dépasse 40°C.

Des industries sont présentes sur les rives du lac. Une usine de sel et une autre qui exploite les cristaux de sesquicarbonate du lac considérés comme les plus purs au monde pour produire du carbonate de soude utilisé par l’industrie du verre et celle des détergents.

Le moment est venu de nous séparer de Benson. Encore une magnifique rencontre dont nous nous souviendrons longtemps. Merci Maryline et Renaud !

Une longue route nous attend pour rejoindre Nairobi. La même que nous avons prise à l’aller pour venir à la rencontre de nos amis maasaïs. Et on connaît son état et notre rythme sur celle-ci. Nous prévoyons donc de rouler deux heures et de nous arrêter au même point de bivouac qu’au début de cet article où nous avions déjà dormi. Le revêtement est toujours aussi pourri. La poussière dégagée par les véhicules est aussi infernale. La température extérieure dépasse largement les 40°C. Dans la cabine, le thermomètre qui est à l’ombre affiche plus de 47°C. En roulant au maximum à 40 km/h, difficile de faire de l’air.

Mais au fur et à mesure de nos 70 km, nous passons de 600 mètres d’altitude à 1600 mètres. Aussi, l’air devient beaucoup plus respirable. Je ne roule pas vite aussi car depuis quelques jours, nous avons un bruit de tremblement métallique sous le châssis qui nous inquiète un peu. Je n’arrive pas à trouver d’où il vient. Je pensais qu’il venait d’une durite de frein mal fixée sur le châssis, mais non, le bruit persiste et s’amplifie.

Nous nous arrêtons pour la première fois remplir nos réservoirs d’eau dans une maison de l’eau comme on en trouvait en Mongolie. Les habitants n’ayant pas d’eau courante dans leur maison viennent ici remplir leur bidon. Pour 100 shillings, soit 0,75€, nous faisons le plein.

D’habitude, nous remettons de l’eau dans les stations-service en même temps que nous remettons du gasoil. Mais sur cet aller-retour, il n’y en a pas et de toutes façons, le réservoir de gasoil est encore plein. D’ailleurs, les stations sont assez espacées dans les campagnes du Kenya. Et puis, nous privilégions surtout celles de grandes marques comme Shell ou Total qui nous inspirent plus confiance en ce qui concerne la qualité du gasoil. Ce qui ne m’empêche pas de mettre de l’additif Chameau+ à chaque plein, sur les bons conseils de mon ami Judra.

J’en reviens à notre route qui fait trembler la Tiny. Il nous reste seulement 3 km à parcourir quand d’un coup, une fixation de la tôle sous le moteur vient de nouveau de céder. La tige filetée a encore rompu sous les secousses provoquées par les vibrations de la route. Voilà, ça ma fera un peu de bricolage pour demain…

Nouvelle inquiétude quand dans la dernière montée, la Tiny n’avance pas normalement. Alors certes, je n’ai pas beaucoup lancé le véhicule à cause des imperfections du revêtement mais ce n’est pas normal que même en deuxième rapport, la Tiny peine autant. Nous arrivons à notre bivouac et l’inquiétude est renforcée par une odeur de chaud au niveau de l’embrayage… D’où la difficulté à monter…

Petite soirée passée sur internet à chercher un mécano pour un éventuel remplacement de l’embrayage. Bien entendu, il faudra attendre demain matin faire de nouveaux tests sur la route, mais ça m’inquiète et me pourrit un peu ma soirée et ma nuit. J’ai certes un kit embrayage complet neuf dans ma réserve de pièces, mais j’aimerais bien éviter de passer par la case garage.

Vendredi 5 mars 2021 :

La nuit n’a pas été terrible de plus que le vent a fait ballotter notre cabane toute la nuit. J’ai pensé sans cesse à cet embrayage, mais aussi à ce bruit métallique, mais aussi à ce voyant de freins qui clignote. Il clignotait sans cesse lors de notre traversée des Balkans mais s’était arrêté de s’allumer en terre africaine. Mais depuis que nous avons refait un peu de montagne, le voyant rouge est revenu. Il va falloir que je pense à remplacer les plaquettes de freins à l’avant.

Alors que je bricole ma tôle sous le moteur, je vois un poids-lourd passer. Je l’arrête car il conduit un Mercedes. Et les véhicules à la marque à l’étoile sont rares au Kenya. Juste quelques poids-lourds, très peu de berlines, encore moins d’utilitaires (je n’ai vu qu’un seul Sprinter). Je demande au routier sympathique où il fait l’entretien de son véhicule dans la capitale voisine. Au cas où les prochains kilomètres confirment que l’embrayage est à changer, je préfère être sûr de l’endroit où aller. Il se plie en 4 pour m’indiquer deux endroits sur mon GPS et pour les appeler. L’un d’eux est même prêt à prendre la route aussitôt pour venir changer l’embrayage sur le bord de la route !

En début d’après-midi, nous prenons la route. En quelques kilomètres, nous prenons 400 mètres d’altitude et l’embrayage ne montre aucun signe de faiblesse. Ouf. Certainement que hier soir dans la dernière montée, obnubilé par les bruits métalliques et par cette tôle qui venait de se décrocher, j’ai un peu forcé sur l’embrayage en le faisant patiner un peu.

Je suis quand-même en contact avec Pops, un mécano indiqué sur notre appli de partage entre voyageurs iOverlander. Il nous attend pour remplacer les plaquettes de freins. Nous arrivons chez lui et il se met aussitôt au travail après qu’on se soit entendu sur le prix de 2000 shillings soit 15€ de main d’œuvre et que je lui ai fourni un jeu de plaquettes neuves. Mais après démontage, Pops, de façon très honnête, me montre que les plaquettes sont encore en bon état et qu’il n’est pas nécessaire de les remplacer. Je lui parle alors du bruit métallique qui m’inquiète aussi. Comme je l’ai déjà fait plusieurs fois sans succès, il se couche sous le châssis et en dix secondes trouve fièrement une patte de fixation de deuxième réservoir de gasoil qui s’est détachée et qui tremble avec les vibrations des routes africaines. Ouf… Pops, satisfait du commentaire que je viens de laisser sur l’application pour les prochains voyageurs et qui n’a pas eu à faire le travail prévu au niveau des freins me dit que du coup c’est gratuit ! Bon, il a quand même bossé 45 minutes, et est revenu sur son jour de repos. Il est ravi du billet de 1000 que je lui tends, qu’il redonne à son employé. Avant de partir, il nous indique que son papa est haut gradé à Nairobi, et que s’il nous arrive quoi que ce soit au Kenya, il nous faudra l’appeler ! Pops sera notre unique rencontre de la capitale, mais nous retiendrons de lui sa générosité et son sourire.

Bon, et maintenant, on fait quoi ? et bien pour la première fois depuis longtemps, nous n’avons aucun plan, aucune prévision… Mais un petit WhatsApp reçu ce matin de nos amis Noémie et Julien qui nous devancent un petit peu, suffit à nous convaincre de nous diriger vers le nord et le nord-ouest de la capitale au lieu de descendre directement vers la Tanzanie.

Il nous faut pour cela traverser l’infernale Nairobi, capitale de quelques 5 millions d’habitants. La circulation est très dense, très embouteillée. La pauvreté envahit un grand nombre de rues, avec de nombreux vendeurs piétinant entre les files de véhicules à l’arrêt tentant de vendre des bouteilles d’eau, du mobilier comme des porte-manteaux ou des miroirs… Le bidonville de Kibera que nous longeons s’étend sur plus de 250 hectares en plein centre de la capitale. Selon les ONG, plus d’un million de personnes vivraient dans ce plus grand bidonville d’Afrique.

De nombreux Kényans s’accrochent à nos fenêtres pour discuter avec nous ou pour apercevoir l’intérieur de la Tiny. Même la police nous arrête en éclatant de rire mais ce n’est juste que pour nous prendre en photo ! D’ailleurs la police est super cool au Kenya. On s’est fait arrêter quelques fois mais une seule fois pour un pseudo contrôle de papiers, et toutes les autres fois par des policiers morts de rires en voyant la Tiny ! Jamais on ne nous a demandé le Foreign permit ou la taxe routière dont nous avons fait le choix de ne pas nous acquitter.

Nous mettons deux heures à parcourir une quinzaine de kilomètres pour sortir de Nairobi qui ne nous a donné aucune envie de nous y poser pour y bivouaquer. Nous roulons vers le nord sur une autoroute à deux voies, ralentis par de nombreux ralentisseurs, des piétons qui traversent, des matatus (mini bus) s’arrêtant soudainement, des véhicules qui se doublent entre eux de manière dangereuse…

La fatigue se fait sentir et ne nous permettra pas d’atteindre un point de bivouac payant que nous avions trouvé au cas où nous ne trouvions rien de mieux. Au niveau de la ville de Thika, nous quittons au hasard la route principale par une bretelle qui semble mener à un quartier résidentiel aux chics maisons. L’enrobé s’arrête laissant place à des pistes de terre rouge défoncées, y compris dans ce beau quartier. Un homme est devant sa maison. J’éteins le moteur et nous commençons à échanger un peu puis nous lui demandons si nous pouvons bivouaquer sur un petit endroit herbeux devant sa maison. Aussitôt, Paul accepte. Nous voici garés en toute sécurité pour la nuit entre deux maisons, elles-mêmes protégées par de hautes clôtures en béton, surélevées de fils barbelés électrifiés ! Il aurait préféré nous faire dormir sur son parking mais la Tiny est trop haute pour passer le porche.

En soirée, Paul vient nous présenter son épouse Hélène et leur fille Ester, en nous souhaitant la bienvenue et en nous invitant à boire le thé chez eux demain matin.

Samedi 6 mars 2021 :

La nuit a été des plus calmes et bien reposante. Le couvre-feu nocturne imposé au Kenya à partir de 22 heures rend les nuits encore plus calmes car il n’y a quasiment plus de circulation.

Paul vient nous demander si nous avons passé une bonne nuit et renouveler son invitation à boire le thé. Victor, qui ce matin nous a préparé des pancakes, lui en offre une assiette. Après notre temps d’école, nous sonnons à la porte de cette belle maison. Quel contraste et quel écart de niveau de vie avec les familles chez qui nous sommes passés en terre Maasaï ! Ici, tout le confort d’une maison à l’européenne entre écran télé aux dimensions exagérées, box internet, robots ménagers, mobilier et déco soignés… Et quel accueil de cette famille si souriante ! Un thé au lait nous est servi accompagné de arrow-root, une sorte de racine de manioc. Hélène et Paul sont déçus de savoir que nous partons déjà. Comme quasiment chaque rencontre, nous échangeons nos numéros WhatsApp, ce qui nous permet de continuer à échanger avec ces personnes. Quasiment, car beaucoup de Kényans n’ont pas de smartphone mais un simple téléphone à touche comme on en avait il y a de nombreuses années en Europe.

La cavale reprend vers le nord en direction du Mont Kenya, la plus haute montagne du pays (5199 mètres d’altitude) et la deuxième plus haute d’Afrique après le Kilimandjaro. Mais il a aujourd’hui la tête dans les nuages. Nous apprécions de retrouver des températures moins caniculaires que celles que nous avions dans le sud du pays il y a deux jours.

Les paysages changent également et deviennent beaucoup plus verts au fur et à mesure que nous prenons doucement de l’altitude. Les terres volcaniques sont ici très fertiles. Le café, le riz y sont cultivés.

Des centaines de personnes vendent des fruits et légumes au bord de la route. Nous nous arrêtons pour acheter du riz en vrac, puis un peu plus loin des bananes quand tout à coup, sans même descendre du camion (encore mieux qu’un Drive !), des dizaines de femmes nous tendent des fruits à acheter par la fenêtre ! On a l’embarras du choix… nous achetons 18 grosses bananes pour 1,50€, 6 mangues pour 0,75€, 8 avocats pour 1,50€ et 20 mini goyaves pour 0,75€ !

Un peu plus haut, nous nous retrouvons sur un grand plateau. La verdure a disparu laissant place à des grands champs cultivés de céréales, de pommes de terre… et à des traversées de villes toujours pas très jolies, d’autant plus que d’immenses panneaux publicitaires polluent la vue.

Dès qu’on marque l’arrêt dans ces villes, une nuée de monde nous envahit.

Puis, à Nanyuki, nous changeons d’hémisphère en repassant au nord de la ligne équatoriale, ce qui ne nous était pas arrivé depuis bientôt deux mois alors que nous foulions lors d’une escale le sol de l’aéroport de Doha au Qatar.

Nous trouvons par hasard un super bivouac dans un espace vert au pied d’une petite rivière. Rapidement, des enfants arrivent pour jouer avec les nôtres. Anaïs et Victor apprennent aux petits Kényans à jouer à la pétanque.

Par hasard également, notre bivouac se trouve quasiment pile poil à l’équateur mais à quelques centaines de mètres au sud de la ligne imaginaire soit dans l’hémisphère sud de la Terre. A l’équateur, la durée du jour est toute l’année de 12 heures. Le Soleil passe directement au zénith de l’équateur deux fois, lors des équinoxes de mars et de septembre. Les lieux situés sur l’équateur connaissent les levers et couchers de soleil les plus rapides du monde. C’est l’endroit où le Soleil est vraiment au zénith à midi donc l’endroit où les panneaux solaires rechargent le mieux. D’ailleurs, nous n’avons plus le même problème que dans les Balkans en décembre dernier où on galérait un peu avec le rechargement de notre batterie auxiliaire. Au Kenya, notre frigo a beau tirer sur la batterie pour faire du froid, la batterie est toujours à son maxi. La tension baisse durant la nuit mais dès le milieu de la matinée suivante, nous sommes de nouveau à 100%.

Nous apprécions de dormir ce soir sous la couette. La température devrait baisser à 10°C à l’extérieur. C’est agréable de ne pas dormir tout en dégoulinant de transpiration.

Dimanche 7 mars 2021 :

Les rideaux à peine ouverts, Nancy et son mari Dunkan, habitant dans le petit village de l’autre côté de la petite rivière viennent nous souhaiter la bienvenue et veulent nous inviter chez eux. Nous leur donnons rendez-vous pour un peu plus tard après le petit déjeuner. Une autre passante se réjouit quand on lui annonce qu’on va certainement ne partir d’ici que demain !

Pas d’école ce matin, car les enfants et leur Mamantresse ont bien mérité une journée de pause. Nous partons rejoindre Nancy et Dunkan. Ils sont surpris mais tellement heureux qu’on ait tenu notre promesse de venir ! Le plus grand de leurs enfants, Nicolas, n’est pas parti à l’église ce matin car il nous attendait. Nancy a fait du ménage ce matin pour nous accueillir. Nancy est très joviale, avec une belle énergie aussi bien débordante que communicative. Ils font partie de l’ethnie des Murus, donc encore différente de l’ethnie Luo ou de l’ethnie Maasaï que nous avons croisées lors de nos deux premiers mois au Kenya. Ils ne représentent que 5% des Kényans et vivent principalement autour du Mont Kenya.

Nancy et Dunkan vivent, avec leurs deux garçons Nicolas et Newton, dans une maison en bois, couverte de tôles. Le sol est en terre battue. Il y a une pièce à vivre avec un minuscule coin cuisine se résumant à une petite bouteille de gaz et trois gamelles. Sur un petit vaisselier, une petite télé à tube cathodique qui ne reçoit par le satellite que 3 chaînes qui grésillent. Une petite chaine hifi diffusant une radio de l’ethnie voisine des Kikuyus. Une deuxième pièce séparée par un rideau sert d’unique chambre aux 4 membres de la famille. Au plafond sont tendus des emballages en nylon de sacs de 25 kg de riz importé du Pakistan. Au mur, quelques affiches de footballeurs du Manchester United, et un abécédaire en anglais de même qu’une affiche des animaux du Kenya. Un autre bâtiment à côté sert de stockage et aussi de lieu pour cuisiner au feu de bois. Sur leur terrain clôturé par une palissade en branches, errent quelques poules et une vache qui rentre la nuit.

Ils insistent tous deux pour qu’on soit leurs invités encore pour le déjeuner de ce midi. Dunkan part faire quelques courses avec ses enfants et les nôtres. Audrey aide Nancy à cuisiner du chou ainsi que des pommes de terre avec de la tomate.

Nous rentrons à notre Tiny après avoir retourné notre invitation pour ce soir à la Tiny.

Je renfile ma combinaison de mécanicien et sous le regard attentif de nombreux Kényans, j’apprends à mon petit Victor comment démonter une roue de la Tiny. Il s’est en effet aperçu qu’une pierre s’est coincée dans le jumelage de roues arrières. La pierre saillante est impossible à enlever sans démonter la roue. C’est un inconvénient d’avoir des roues jumelées mais en aucun cas, je ne regrette ce mode de transmission. En plus de 70 000 km, ce n’est que la deuxième fois que cela se produit. La première fois, c’était en plein milieu de la Pamir Highway à près de 5000 mètres d’altitude sur les hauts plateaux désolés du Tadjikistan, la plus belle route (mais aussi la plus difficile) de notre tour du monde. Le flanc du pneu intérieur a souffert mais je ne pense pas que ça ait traversé l’épaisseur du caoutchouc. Je vais essayer de continuer à rouler ainsi. Même si le pneu éclate, cela ne risque pas grand-chose car le deuxième pneu du jumelage me permettra de m’arrêter en sécurité. Ça ne passerait pas au contrôle technique en France mais nous ne sommes plus embêtés avec cela quand on voyage à l’étranger. Il est d’ailleurs périmé depuis un an.

Une chance que Victor se soit aperçu de cette pierre ce matin, car cela aurait pu faire éclater les deux pneus.

Je refixe aussi le deuxième réservoir de gasoil dont la patte de fixation s’est décrochée sur les pistes.

En fin d’après-midi, ce sont Nancy et Dunkan qui cette fois répondent à notre invitation. Nous aurions bien sorti la grosse crêpière dehors, mais rapidement, il y aurait eu 100 personnes à nourrir ! Aussi, nous préférons faire cuire quelques crêpes à la poêle à l’intérieur. Agréable moment passé à discuter avec eux. Encore une belle rencontre.

Je vous ai régulièrement et à juste titre vanté l’accueil iranien qui était de loin le meilleur qu’on ait reçu dans les 30 pays qu’on a visités depuis 2 ans et demi. Mais franchement, les Kényans arrivent (presque) au même stade ! Que de générosité de toutes ces familles. Et combien d’invitations auxquelles nous ne répondons pas parce que nous n’avons pas le temps ou bien tout simplement parce que par moment, on n’a pas trop envie, car ça fait aussi du bien de ne se retrouver que tous les 4. Juste au moment où j’écris ce paragraphe, je reçois un message WhatsApp d’un Kényan avec qui nous n’avons parlé que 5 minutes en faisant un plein d’eau il y a 3 jours et qui nous invite de nouveau chez lui : « schedule some time to visit me and my family at home… before you go back to France… you are now my family friend »…

Lundi 8 mars 2021 :

Ce matin, le Mont Kenya nous montre le peu de neige qu’il lui reste à son sommet perché à 5000 mètres.

Nous prévoyons de prendre la route aujourd’hui vers de nouvelles aventures mais nous nous plaisons tellement sur ce charmant bivouac que nous décidons de prolonger le plaisir pour une troisième nuit consécutive. D’autant plus qu’aujourd’hui, les villageois ont repris le chemin de l’école et du travail, donc nous sommes assez tranquilles, ce qui fait aussi du bien des fois. Nous ressentons en effet, comme en Iran, ce sentiment ambivalent à la fois de soif de rencontres mais aussi le besoin de nous retrouver dans notre cocon par moment.

Je profite du cours d’eau voisin à l’eau relativement claire pour me mettre à jour dans les lessives. Le linge ne met pas longtemps à sécher au soleil avec l’agréable petite brise.

Puis, nous nous mettons à jour dans diverses tâches administratives sur internet car il le faut aussi parfois. Nous mettons à jour aussi le blog.

Bref, une petite journée bien tranquille.

Mardi 9 mars 2021 :

Pour la seconde fois en Afrique, Audrey enfile ses chaussures de running et part courir. Tous les endroits ne s’y prêtent pas mais ici elle le sent bien. Nous avons vu d’autres joggeurs car nous ne sommes pas loin d’une belle zone résidentielle. Il y aussi des militaires de la base voisine qui courent. Aussi, elle ne sent pas seule et reçoit sourires et pouces levés. Un partage de position GPS par WhatsApp me permet également de me rassurer et de suivre sa progression. Ça faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas couru donc elle revient bien satisfaite de ses 6 km à 2000 mètres d’altitude, avec en toile de fond le sommet du volcan éteint du Mont Kenya.

Petit lavage de la carrosserie cabine de la Tiny qui était bien poussiéreuse avec la poussière et la boue des pistes empruntées ces dernières semaines.

La cavale continue après une pause technique en ville pour refaire les pleins d’eau et de carburant, pour faire le plein de provisions dans un supermarché. Enfin, nous pouvons vider nos poubelles. C’est en effet une difficulté ici car il n’y a aucun container pour cela, même en ville. Chaque habitant semble brûler ses ordures. Avec le mode de consommation que nous avons, nous produisons très peu de déchets mais quand-même de temps en temps, il faut…

Une seule fois, nous avons vu une décharge à ciel ouvert. L’ensemble du pays est globalement très propre. Les abords des routes ne sont pas plus sales qu’en France.

Nous prenons la route sur un axe tracé en jaune sur notre carte routière, qui nous fait gagner de nombreux kilomètres pour filer vers l’ouest. Mais au bout d’une dizaine de kilomètres, la mauvaise route se transforme en piste. Pas question de faire les 70 km avant de retrouver le bitume ainsi, surtout que le GPS nous indique 1000 mètres de dénivelé. Demi-tour et route vers le sud. Une autre route, jaune, file vers l’ouest. Nous nous y engageons mais de nouveau, elle se transforme en bonne puis en mauvaise piste. On continue. La Tiny est secouée mais elle avance, soulevant un épais nuage de poussière. Tant pis pour la Tiny qu’on avait lavée ce matin…

Nous voyons quelques singes et quelques zèbres. Enfin, l’enrobé nous permet d’avoir une conduite moins éreintante et un confort meilleur pour mes passagers. Nous filons vers l’ouest en changeant d’hémisphère à plusieurs reprises car la route longe l’équateur.

La nuit n’est pas loin de tomber et nous roulons depuis le début d’après-midi. Nous sortons de la route principale sur une piste sur laquelle on pense avoir repéré une zone pour bivouaquer mais comme à de nombreux endroits, les bords de chaussées sont très en dévers voire séparés par de gros fossés. Au bout de 6 km, demi-tour car l’état de la piste ne s’améliore pas. Décidément, cette journée est bien usante.

Le Soleil décline et impossible de trouver un endroit pour y passer la nuit. Nouvel essai sur une nouvelle piste mais nouvel échec au bout d’un kilomètre. Il faudrait un 4×4 pour poursuivre. Retour sur la route. Finalement, nous trouvons un petit dégagement sur le bord de la grande route. Nous demandons l’accord à un entrepreneur en travaux publics de stationner devant son dépôt. Après hésitation, il n’ose pas refuser face aux grands sourires d’Audrey et nous passons une nuit tranquille. Par hasard, nous dormons un peu avant Gwakungu, à la latitude -0’005, non loin de l’équateur mais encore dans l’hémisphère sud.


Petit rappel pour ceux qui veulent suivre notre progression en direct. Nous sommes équipés d’une balise GPS et notre position s’actualise en permanence en cliquant sur ce lien. Une fois cliqué dessus, cliquez de nouveau sur le bouton rouge « Chargez les données limitées ».