Je vous avais laissés dans le dernier article avec un suspense que les plus curieux d’entre vous auront certainement décelé quant à notre destination de vacances. Et bien nous voici sur l’archipel des Mascareignes… ça ne vous aide pas ? ça ne vous parle pas ? Non ?

Retour sur notre après-midi d’hier. Après avoir laissé en toute confiance notre Tiny house à nos amis Mariana et Georges, nous décollons à 14h45 de l’Aéroport international OR Tambo de Johannesburg en Afrique du Sud. Plein Est pour 3h47 de vol à bord d’un Airbus A220-300 de la compagnie Air Austral. Survol du Mozambique, de l’Océan Indien, de Madagascar puis atterrissage sur un petit caillou volcanique surgit il y a 3 à 4 millions d’années des profondeurs de l’océan. Un caillou français… L’île intense comme on l’appelle ici. L’île de La Réunion !

Pourquoi cette île dans notre tour du monde ? Eh bien pourquoi pas ! 26 ans après avoir mis les pieds une première fois sur cette île, j’ai enfin le plaisir d’y revenir en famille. J’ai eu la chance de découvrir cette île en 1995 (j’avais alors l’âge d’Anaïs) avec mes parents, ma sœur et celui qui allait devenir mon beau-frère suite à une romantique demande en fiançailles sur le Piton de la Fournaise.

À 20h26, l’avion atterrit à l’Aéroport international Roland Garros de Saint-Denis de La Réunion. Au tapis à bagages, nous attendons car il manque un de nos bagages. Finalement alors que nous n’avons plus beaucoup d’espoir, celui-ci arrive, tout seul sur le tapis. Ouf.

Nous redoutons un peu l’étape du contrôle sanitaire car Anaïs et Victor, qui n’ont pas encore pu être vaccinés contre le Covid-19 devraient avoir un motif impérieux pour entrer sur le territoire français en venant d’un pays classé orange. Mais le personnel de l’ARS qui nous accueille nous dit que comme ils sont accompagnés de parents vaccinés, ils ne sont pas soumis aux motifs impérieux et donc aux restrictions qui vont avec (quarantaine de 7 jours et test PCR à l’issu de cet isolement). Quant à nous, un prélèvement salivaire est réalisé. Résultats demain par SMS. Nous voici donc de nouveau en France 305 jours après l’avoir quittée après notre passage éclair en janvier dernier.

Décalage horaire. Nous perdons deux heures par rapport à l’Afrique du Sud, ce qui nous fait maintenant trois heures avec la France. Il est donc 21h30 mais 18h30 en France ou plutôt la métropole comme on l’appelle ici.

Nous sortons de l’aéroport et nous sommes accueillis par Jean-Pierre de l’appartement AirBnb que nous avons réservé pour ce soir à Sainte Marie. Accueil un peu bizarre. Nous occupons une chambre de la maison des propriétaires. Marie-Estelle et Jean-Pierre proposent l’apéro, ce que nous déclinons au départ. Puis ils reproposent, ce que nous acceptons ! Après ce petit shot de rhum arrangé, petit saut dans la piscine pour me rafraîchir. Nous discutons longuement avec Charles, son frère et sa sœur, qui logent dans ce AirBnb et découvrent eux aussi l’île. Puis au lit, car la journée est bien longue depuis ce matin 9h30 que nous avons quitté la maison de Mariana et Georges à Pretoria.

Lundi 15 novembre 2021 :

Jean Pierre ne manque pas de nous réclamer 1€ pour l’apéro d’hier soir… Mouais… bon cet AirBnb nous a bien dépannés hier soir. Mais on aurait rêvé mieux pour un premier accueil sur l’île. Au bout de la rue, nous sautons dans un bus pour traverser l’île du Nord au Sud. Dans trois bus en fait. Que c’est doux d’entendre parler français ou plutôt créole autour de nous. Ce n’est pas désagréable non plus de lire tous les panneaux dans notre langue natale. Victor : « oh mais regardez, il y a même un Leclerc ! »… Tiens au fait, on roule à droite en France, il faut se réhabituer non pas encore à conduire mais au moins à faire attention à regarder du bon côté quand on traverse la rue.

Des souvenirs reviennent vite pour moi en revoyant certaines choses comme les petits autels rouges dédiés à Saint Expedit dans les virages dont j’aurai l’occasion de vous reparler. Nous empruntons la Route de la Corniche dominée par son immense et dangereuse falaise puis nous découvrons en parallèle les travaux du plus long viaduc de France répondant au nom de Nouvelle Route du Littoral entre Saint Denis et La Grande Chaloupe. Que le paysage a bien changé depuis 26 ans ! De temps en temps, des blocs rocheux se détachent malgré les filets de protection et atterrissent sur la route actuelle, provoquant parfois des morts et paralysant la circulation. Ce projet dont les Réunionnais entendent parler depuis des années verra-t-il le bout un jour ? Les travaux de cette route sécurisée de 5,4 kilomètres à 30 mètres au-dessus du niveau de la mer ont été lancés en 2013. Il s’agit certes d’une prouesse technique de construire un tel ouvrage devant résister à la houle et surtout aux cyclones, mais la fin des travaux est sans cesse repoussée…

Des Réunionnaises nous interpellent dans le bus dans une bonne ambiance et nous souhaitent la bienvenue sur leur île. On adore cet accent créole. Le bus marque l’arrêt à l’abribus suivant quand un des passagers frappe fort trois fois dans ses mains.

Je ne reconnais pas grand-chose de la Route des plages pas plus que de la traversée de la ville de Saint Gilles où nous avions séjourné en 1995 dans la maison de mon parrain et de ma tante. Je découvre qu’une route a même été construite sur Les Hauts pour désengorger le littoral. La Route des Tamarins est une nouvelle route depuis 2009 reliant les 33 km séparant Saint-Paul à L’Étang-Salé en longeant le flanc des premières pentes des Hauts de l’Ouest de l’île. Il faut dire qu’il y a aujourd’hui 850 000 habitants alors qu’il y en avait 200 000 de moins quand j’étais venu. Et déjà à l’époque, la circulation était très dense.

Nous arrivons à midi à la gare de Saint Pierre dans le Sud de l’île où notre ami François est là pour nous accueillir. Alexandra et François, que nous n’avions rencontrés physiquement qu’une seule fois entre nos deux voyages sont aussi de grands voyageurs. Outre un premier voyage en backpack autour du monde, ils ont eux aussi récidivé en 2019, cette fois avec leurs enfants Enora et Titouan, en parcourant l’Amérique du Sud en camping-car avant de revenir vivre sur l’île de La Réunion qu’ils habitent depuis 25 ans. Nous arrivons chez eux et n’avons qu’à mettre les pieds sous la table. Nous faisons connaissance de leurs amis métropolitains Pauline et Thierry en vacances chez eux. Nous sommes presque voisins avec ces derniers d’ailleurs et ils ont ramené dans leurs bagages depuis Les Sables d’Olonne des mogettes, ce plat typiquement vendéen qu’on affectionne tant et qu’on aime aussi déguster en Charente Maritime ! Quel pur bonheur de manger à près de 9500 km de notre pays de cœur des mogettes et du jambon vendéen ! Merci les amis de nous avoir attendus pour les déguster…

Nous voici une heure plus tard déjà repartis. De retour de leur voyage en Amérique du Sud, Alexandra et François ont créé une nouvelle activité professionnelle. Ils gèrent désormais avec passion une école alternative privée hors-contrat qui accueille des enfants de 6 à 18 ans. Forts de leurs expériences professionnelles dans l’enseignement, le journalisme, la communication, l’entreprenariat, le web-marketing et le coaching, ils ont créé récemment l’École des Créateurs (école primaire, collège, lycée).

Chaque lundi après-midi, ils mènent une animation « invité mystère » où leur groupe classe de grands doit poser des questions fermées puis des questions ouvertes pour deviner qui se cache derrière ce rideau accroché au plafond. Et nous avons l’honneur d’être leur invité mystère aujourd’hui. Leur mission du jour est donc de trouver quel est le métier d’Audrey qui se prête au jeu de tourner le dos au projecteur. Les élèves ne voient donc que son ombre. Et tenez vous bien, en 7 minutes, à l’aide de questions très pertinentes, ils arrivent à trouver son métier de professeur des écoles. Et là, François qui anime l’atelier, relance un nouveau jeu « bon ok vous avez trouvé mais c’est son ancien métier, mais maintenant elle fait autre chose… ».

C’est reparti pour de nouvelles questions : bonjour invité mystère, est ce que tu es végan ? Est-ce que tu fais du yoga ? Est-ce que tu es avocat ? Est-ce que tu es campeuse ? Est-ce que tu vis sur la route ? Oui ? Mais est-ce que tu vis sur une quatre-voies ? Est-ce que tu es dans la spiritualité ? Est-ce que tu es SDF ? Est-ce que tu es naturiste ? Est-ce que tu es gitane ? Est-ce que tu fais un road trip ? Oh mais tu es voyageuse en van et tu fais le tour du monde ? Bravo les élèves, vous avez trouvé. Mais là, Audrey ne sort pas toute seule de derrière le rideau et c’est tous les 4 que nous sortons de l’ombre et que nous découvrons ce chouette et sympathique groupe d’élèves. S’en suit un bel échange et une belle discussion. Ils ont un tas de questions très pertinentes à nous poser sur notre aventure et semblent bien intéressés par les quelques photos qu’on leur montre.

Anaïs et Victor sont enchantés qu’Alex et François leur proposent d’intégrer ce groupe durant une semaine complète dans les prochains jours.

N’étant pas encore autonome dans nos mouvements sur l’île, François nous accompagne faire quelques courses au Leclerc et au Decathlon. Je ne vais pas dire que c’est un bonheur de retrouver ces temples de l’hyper consommation mais franchement ça fait plaisir de retrouver ces repères et ces rayons bien achalandés de produits que nous connaissons. Nous n’étions pas non plus en manque car l’Afrique du Sud était bien garnie en hypermarchés. Nous ne sommes pas là non plus pour remplir le Caddie de fromages et de charcuteries qui nous font de l’œil mais surtout pour préparer notre expédition de demain. Et puis, c’est aussi agréable de retrouver les prix affichés en Euros et de ne pas avoir à faire la gymnastique de diviser les prix par 5,6 comme on le faisait depuis six mois en Afrique du Sud et en Namibie. En même temps maintenant on connait bien notre table de 5,6… ce qui ne sert vraiment à rien mais on la connait.

Nous nous retrouvons tous chez Alexandra et François et leurs deux enfants Enora et Titouan pour passer une bien agréable soirée de retrouvailles. La discussion va bon train avec leurs autres invités, des amis Réunionnais Flo et Jé ainsi que Pauline et Thierry leurs amis vendéens, avec qui nous faisons plus ample connaissance.

Mais il nous faut abréger cette belle soirée qu’on aurait bien envie de faire durer tant les échanges sont passionnants et il est déjà tard quand on se met à commencer à préparer nos sacs de randonnée pour demain. Autant cet exercice peut paraître facile pour des tourdumondistes habitués à tout empaqueter leur vie dans 4 sacs à dos, autant pour nous ce n’est pas la même chose. Et oui car demain matin, nous partons pour un nouveau voyage en terre inconnue. A peine atterris sur l’île de La Réunion que nous partons dans un de ses endroits les plus inaccessibles et les plus mystérieux pour y passer une grosse semaine !

Mardi 16 novembre 2021 :

François très gentiment nous accompagne à la gare routière de Saint Pierre avec nos encombrants sacs. C’est en Car Jaune que nous nous dirigeons vers Les Hauts de la commune de Saint Paul dans le hameau de Sans Souci, au pied de la Citerne rouge, point de départ de notre expédition.

10h36 : une sacrée aventure commence pour nous. Une première pour nous. Nous partons pour 8 jours de randonnée avec tout le matériel sur le dos : toile de tente, duvets, matelas, réchaud, gamelles, vêtements de pluie, et toute la panoplie du randonneur ainsi que de nombreux litres d’eau pour affronter la chaleur de cette première journée.

Quoi de mieux pour profiter pleinement de l’île de La Réunion dès notre arrivée que de s’immerger dans un de ses coins les plus reculés, les plus escarpés, les plus énigmatiques. Le Cirque de Mafate !

Juste pour revenir quelques millions d’années en arrière, environ quatre, un volcan a surgi de l’Océan Indien donnant naissance à l’île de La Réunion. Les poches magmatiques se sont ensuite partiellement effondrées et l’érosion a façonné trois cirques disposés de façon circulaire autour d’un piton. Sur les trois cirques, seuls celui de Salazie et celui de Cilaos sont accessibles par une route. Celui de Mafate ne l’est que par les airs ou par des sentiers de randonnée. Pour ceux qui commencent à nous connaître, vous imaginez quelle solution on a retenue. Bien que d’hélicoptère, le spectacle doit être fantastique.

C’était un doux rêve depuis plusieurs années que nous accomplissons aujourd’hui en allant découvrir le cirque de cette façon. D’ordinaire les randonneurs séjournent en gîte. Nous nous sommes penchés sur cette option mais à 150€ ou 200€ la nuit pour nous 4 en demi-pension, nous n’aurions jamais pu profiter du cirque comme nous nous apprêtons à le faire, pendant 9 jours et 8 nuits. Nous avons eu la chance, toujours grâce à nos amis Alexandra et François, d’être mis en relation avec Agnès, l’une de leurs amies enseignantes dans une des écoles du Cirque de Mafate. Elle-même nous a mis en relation avec trois autres de ses collègues enseignant dans le cirque pour que nous intervenions dans chacune des écoles une demi-journée pour présenter notre tour du monde aux petits Mafatais. Quelle chance pour nous de pouvoir découvrir ce système éducatif dans cet endroit si inaccessible. Ces institutrices ont de plus proposé de nous héberger quelques nuits. Entre cette proposition si gentille plus le prêt de matériel de camping que nos amis nous ont fait, on devrait s’en sortir à moindre frais et surtout prendre le plaisir de prendre notre temps et de ne pas juste traverser le cirque en trois ou quatre jours.

Une très rude montée de 2,2 kilomètres et 250 mètres de dénivelé, au départ du hameau de Sans Souci nous fait vraiment souffrir. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas marché. Mais surtout, nous n’avons jamais marché avec sur le dos 14 kilos pour Audrey, 16 pour moi, une dizaine pour Anaïs et 6 pour Victor. On grimpe de manière abrupte par un raccourci qui effleure les lacets de la piste en traversant les champs des dernières cases de Sans Souci. Ces raccourcis évitent de longues portions de piste mais cassent un peu les jambes et coupent le souffle. Jolie vue sur le littoral de l’Ouest de l’île de La Réunion de Saint-Paul jusqu’à La Possession ainsi que les grues du Port.

Le difficile effort accompli en arrivant en haut de cette forte montée est vite oublié aux premiers regards sur le rempart en face vers Dos d’Âne de l’autre côté de la Rivière des Galets que nous surplombons de plusieurs centaines de mètres. Le sentier de la Canalisation des Orangers (l’un des 6 accès au cirque) parfois très étroit et vertigineux est assez plat sur une dizaine de kilomètres mais peu abrité du Soleil. Puis, la large vallée s’enfonce peu à peu au cœur de l’île. Les remparts en bordure se font de plus en plus hauts. Les panoramas sont grandioses avec cette entrée du cirque qu’on voit se dessiner de plus en plus jusqu’à y pénétrer totalement.

De nombreux hélicoptères font des rotations avec les différentes îlets (hameaux) de l’île, unique moyen de ravitaillement pour les Mafatais. Sur la piste en contrebas longeant le fleuve, seuls les 4×4 peuvent y accéder. Ils assurent les transferts sur douze kilomètres entre le village de la Rivière des Galets et Deux Bras, pour les randonneurs comme pour les locaux. Pour 90€, ils emmènent au bout du chemin les matériaux et provisions pour les habitants. Le taxi étant moins cher que l’hélicoptère, cette course leur permet d’économiser quelques couteux temps de vol à 30€ la minute. Les habitants missionnent ensuite un hélico qui livrent dans des filets les marchandises directement devant chez eux. La rotation d’hélico qui dure juste quelques minutes coûte 180€ pour 800 kg de marchandises. D’autres îlets à l’autre extrémité du cirque se font livrer sans 4×4 et pour des rotations plus courtes en hélico au départ du Col des Bœufs pour 150€.

Un passage d’une zone bien humide nous permet de remplir nos 5 gourdes d’eau sous la fine Cascade Flamand. La végétation est ici luxuriante puis redevient plus sèche juste après. Petit passage d’un tunnel.

La rando continue le long de la tuyauterie de 300 mm construite ici entre 1965 et 1975 pour amener de l’eau du cœur de Mafate sur le littoral. On distingue de mieux en mieux le sentier qui descend vers l’îlet des Lataniers où nous sommes attendus demain soir.

Il ne reste qu’un kilomètre quand nous arrivons au cœur de la Ravine Grand-mère au point de captage d’où part la Canalisation des Orangers. Encore un point bienvenu pour refaire le plein de nos gourdes avant le dernier effort. Il nous faut en effet maintenant affronter dans un étroit passage les pentes du sentier construit à même le lit du torrent. La montée est difficile. Les marches sont hautes.

Puis nous sommes récompensés enfin après 13 km de marche par l’arrivée dans l’îlet des Orangers. Il est situé à 990 mètres d’altitude. Quelques cases en bois et couvertes de tôles, pour certaines reconverties en gites, sont éparpillées autour de la place, de son église, de sa Maison pour tous, de son école et de la cantine.

Nous faisons connaissance avec Agnès, l’enseignante de la classe unique de cet îlet. Elle nous accueille dans son logement de fonction et nous n’aurons donc pas à monter la tente ce soir. Nous nous alourdissons de quelques kilos car Agnès nous prête une deuxième tente, une mousse et un duvet supplémentaire que nous laisserons dans la dernière école à la sortie du cirque dans une semaine. Mais, nous nous allégeons d’un peu de nourriture et Audrey prépare un délicieux dahl que nous partageons avec Agnès.

Nous avons tant de questions à poser à notre hôte sur le fonctionnement de son école. Elle aussi sur notre voyage. Joli moment de partage comme on les aime. Agnès enseigne dans le cœur de Mafate depuis trois ans. Tous les week-end, ou plutôt dès le vendredi midi, elle rentre à pied chez elle dans Les Bas (ce qu’on appelle Les Bas à La Réunion, ce sont tous les villages et villes construits sur le littoral). Le lundi matin, elle revient. Les cours ont donc lieu du lundi après-midi au vendredi midi et pour compenser, les enfants ont cours le mercredi toute la journée. Le vendredi, Agnès quitte son école à 13 heures et part pour plusieurs heures de rando (13 km) et de transport en commun. Elle arrive chez elle à 19 heures alors qu’elle n’habite qu’à 25 km à vol d’oiseau ! C’est difficile mais c’est évidemment son choix et quelle expérience dans une carrière. Pas de supplément de salaire pour ces enseignants mais juste un bonus de points dans leur progression de carrière, s’ils réalisent au moins trois ans dans le cirque. Le logement de fonction est un avantage en nature qu’ont tous les enseignants du cirque. L’Éducation nationale, à chaque reprise après les périodes de vacances scolaires finance à chaque instituteur un aller simple en hélicoptère vers Mafate pour les aider à emmener la nourriture pour les 5 semaines environ à venir.

Il y a 7 écoles dans le cirque. Deux îlets n’ont donc pas d’école. C’est le cas pour l’îlet voisin des Lataniers. Voisin car juste deux kilomètres mais il y a 400 mètres de dénivelé. Les enfants des Lataniers ont donc 1h30 de marche pour se rendre à l’école et 1h15 pour en revenir, 5 jours par semaine. Dès 4 ans, pour les plus jeunes, ils ont 2000 mètres de dénivelé positif par semaine à franchir. On ne pensait pas qu’en France, cela pouvait exister. Ils sont aidés pour cela par un accompagnateur embauché en tant que personnel communal. Un autre accompagnateur aide les enfants des Hauts des Orangers à se rendre à l’école quotidiennement.

Bilan de la journée : 13,1 km, 876 mètres de D+ (dénivelé positif), 336 mètres de D- (dénivelé négatif)

Avant d’aller se coucher, petit mot historique sur le peuplement du cirque. « Mafate » est originellement le nom d’un chef de clan d’esclaves marrons. L’esclavage a sévi sur l’île de La Réunion dès son peuplement au milieu du 17ème siècle. En 1715, l’île compte 1200 habitants dont presque la moitié d’esclaves achetés par la France en Afrique, en Inde et à Madagascar. Ils travaillaient d’abord à la culture du café, puis à celle de la canne à sucre à compter du début du 19ème siècle. A cette période entre 1810 et 1815, La Réunion fut prise aux Français par les Anglais. Mais certains de ces esclaves, fuient les plantations face à leurs conditions de travail difficiles et se réfugient dans Les Hauts de l’île et dans le Cirque de Mafate. On appelle ces esclaves, les Marrons. Avant la fin du 19ème siècle, près de 200 familles se sont installées malgré le refus des autorités de leur accorder des concessions. Les Mafatais sont alors chassés dans le but de transformer le cirque en zone protégée. Des maisons sont brulées, les gardes forestiers constituent des milices armées et des lois impitoyables sont imposées aux habitants, comme par exemple l’interdiction de ramasser du bois.

L’esclavage n’est définitivement aboli que le 20 décembre 1848, date devenue une fête « fèt kaf » et un jour férié sur l’île. 62 000 esclaves retrouvèrent la liberté. Mais les colons continuent à faire venir des gens de l’extérieur pour travailler dans les champs. On appelle cela l’engagisme. Venant de tout l’Océan Indien mais aussi de Chine pour travailler à La Réunion pour une durée minimum de 5 ans, ils perçoivent un salaire mais sont toujours traités comme des esclaves. Cet engagisme dure jusqu’en 1933. La majorité des engagés ne repartira jamais dans son pays d’origine, ce qui fait la richesse culturelle de l’île aujourd’hui et son métissage si caractéristique. En 1946, La Réunion devient un département français et n’est plus une colonie.

Mercredi 17 novembre 2021 :

Après une bonne nuit réparatrice dans un bon lit, nous nous rendons dès 8h30 avec Agnès dans sa classe unique de 18 élèves âgés de 3 à 11 ans. Quel boulot ! La journée commence par un moment d’anglais dans le jardin potager de l’école qu’Agnès a comme chouette projet de développer, de même qu’un arboretum pour sensibiliser les enfants de Mafate aux bienfaits de l’autoproduction, ce qui étonnamment à tendance à disparaitre des mœurs.

Puis, nous entrons en classe et durant trois heures, nous présentons aux élèves une sélection de photos de notre cavale autour du monde. Ils sont bien intéressés par notre aventure et participent bien en posant des questions.

Oups désolé les enfants, ce n’est pas poli mais nous devons nous interrompre quelques instants pour répondre à un appel WhatsApp tant attendu. Ma filleule, notre nièce et notre cousine adorée Émilie vient juste de donner naissance à une adorable petite Yuna. Quel bonheur de profiter des toutes premières minutes de vie de cette jolie princesse dont Anaïs a l’honneur et la joie d’être la marraine. Mais que c’est dur aussi d’être loin des personnes qu’on aime dans ces moments-là. Voilà, la belle récréation est terminée et nous retournons en classe !

Alors que les élèves jouent devant l’école pendant la récréation, branle bas de combat, un hélico arrive pour se poser à quelques mètres des enfants. Ceux-ci semblent avoir l’habitude et se réfugient dans l’école en fermant les volets pour éviter les projections de cailloux et de poussière.

En début d’après-midi, encore plus chargés qu’hier, nous nous rendons à l’îlet des Lataniers, en empruntant un chemin très raide, celui qu’empruntent quotidiennement les marmailles (comme on appelle les enfants ici). On n’a donc pas le droit de se plaindre… On se rend encore plus compte de l’effort physique qu’ils doivent mener et de la présence plus qu’indispensable d’un accompagnateur adulte pour descendre ces 400 mètres de dénivelé. Quand il pleut, donc parfois pendant quelques semaines en janvier ou en août, le chemin est trop dangereux et les enfants ne vont donc pas à l’école.

Nous sommes ce soir invités chez des amis d’Agnès, Céline et Benoît et leurs deux jeunes enfants Lili et Mona. Cette famille a récemment décidé de changer de vie et de troquer leur trépidante vie à Londres pour venir s’installer dans un des endroits les plus difficiles d’accès du Cirque de Mafate !

Il est extrêmement rare que des zoreilles (Blancs de métropole) ou même des Réunionnais puissent s’installer dans Mafate. Ne cherchez pas sur Le Bon Coin ! On l’a fait dans un excès débordant de folie en se disant qu’on allait venir vivre ici… Il n’y a pas d’offres et d’ailleurs, nul n’est propriétaire d’un terrain dans ce cirque géré par l’ONF. Ce sont des concessions d’une durée de 18 ans (150€ de loyer par an pour une habitation ou 500€ pour un gîte) qui sont accordées aux résidents de Mafate. Ils sont cependant propriétaires des cases qu’ils bâtissent mais ils ne sont pas certains que les concessions seront renouvelées.

Céline et Benoît font donc partie des rares qui ont pu s’installer ici dans un cadre paradisiaque dans le fond du cirque. Céline est d’origine belge mais Benoît a la famille de son père d’origine créole et une grande partie habite encore sur l’île, ce qui aide pour l’intégration. Tous les mardis, Benoît part en trottinant sur les sentiers pour faire des courses en ville à Saint Paul et revient avec 10 à 15 kg de produits frais pour la semaine. Pour les produits secs, de même que pour les matériaux nécessaires à la rénovation de leur case, ils font des rotations en hélicoptère. Il n’y a en effet que des toutes petites épiceries dans quelques îlets, plus à destination des touristes que des habitants car les prix, compte tenu de la difficulté d’approvisionnement en hélico et d’une marge plus que conséquente, sont prohibitifs. Cela reste donc pour eux un moyen de dépannage mais pour nous, nous n’avons pas le choix. Tiens par exemple, un paquet de biscuits et 3 demi baguettes congelées nous coûtent ce soir 12€ ! Les locaux n’ont donc pas d’autres solutions que d’acheter dans les supermarchés dans Les Bas et de se faire livrer par hélico les charges les plus lourdes et qui se conservent plusieurs mois et de faire des allers-retours à pied dans Les Bas pour les produits frais.

C’est donc une des raisons pour laquelle Céline et Benoît sont en train de transformer leur jardin pour être de plus en plus autonomes en fruits et légumes.

L’électricité, comme partout dans Mafate, est produite individuellement par des panneaux solaires sur chaque case. Des chauffe-eau solaires sont aussi installés sur chaque propriété. Ceci est financé, dans certaines zones du cirque, par des aides gouvernementales. Il n’y a jamais eu de ligne téléphonique installée à Mafate, mise à part dans les écoles, ce qui ne pose plus de problème aujourd’hui à l’heure où la 4G couvre le cirque, mais qui devait encore plus marquer l’isolement il y a quelques années. Cette bonne connexion permet à Benoît de travailler à distance pour son entreprise. Le ramassage des ordures ménagères est centralisé par îlet et des hélicoptères viennent retirer des big bag pleins de déchets (pas de tri sélectif, même pas le verre).

Concernant l’eau, c’est un autre problème et cela est très variable d’un îlet à un autre. Ici aux Lataniers, ils ont la chance d’être juste sous la source de la Ravine Grand-mère. Du coup, ils ont même trop d’eau à disposition. Ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres îlets du cirque comme ceux des Orangers ou de Roche Plate pour lesquels l’accès à l’eau est de plus en plus difficile. La ressource devient de plus en plus rare du fait qu’elle est de plus en plus exploitée par le nombre croissant de touristes venant randonner et séjourner dans les gites de Mafate. Depuis la création en 2007 du Parc national de La Réunion (qui englobe 42% de l’île) et en 2010 de l’inscription par l’UNESCO des « Pitons, cirques et remparts de l’île de La Réunion » au Patrimoine mondial, Mafate devient de plus en plus un haut-lieu du tourisme de randonnée. Les 750 habitants du cirque voient passer sur les sentiers des dizaines de milliers de randonneurs par an, 80 000 selon certaines sources.

Nous passons donc une bonne soirée autour d’un dahl (oui, encore un mais c’est vite préparé, facile à cuisiner et les ingrédients secs sont pratiques dans nos sacs à porter) qu’Audrey cuisine au feu de bois. La majorité des Mafatais cuisinent au feu de bois car le gaz est contraignant et onéreux à transporter par hélico. Benoît et Céline nous font découvrir quelques spécialités créoles qu’ils cuisinent eux-mêmes comme un délicieux achard de légumes. C’est super sympa et nous sommes chanceux pour cette deuxième soirée de passer un moment avec des habitants du cirque qui nous racontent leur quotidien fait certes de contraintes mais dans un cadre de vie incroyable.

De nouveau ce soir, nous n’avons pas à monter nos tentes, et nos hôtes nous laissent même leur chambre pour qu’on dorme confortablement dans un bon lit.

Bilan de la journée : 2,4 km, 56 mètres de D+, 427 mètres de D-

Jeudi 18 novembre 2021 :

7h30, nous disons déjà au revoir à nos charmants hôtes, Céline et Benoît, et à leurs deux adorables petites filles. Nous quittons l’îlet des Lataniers mais au lieu de prendre le chemin le plus court vers notre étape de ce soir qui passerait par La Brêche, nous privilégions, sur les bons conseils de Mafatais, le sentier qui passe par l’îlet à Cordes. Effectivement la rando est juste magnifique. Un peu vertigineuse mais tellement belle !

Que c’est bon ! Que nous sommes heureux d’être enfin sur l’île de La Réunion. Cette île sur laquelle on rêve tant de venir depuis des années. Cette île où nous devions retrouver Émilie et Boris en 2020 si le Covid-19 ne nous avait pas tout fait annuler au dernier moment. On avait en effet prévu d’envoyer par bateau notre Tiny entre l’Inde et l’Afrique du Sud et pendant cette traversée océanique, on aurait donc fait une pause sur cette île. Mais c’est ainsi. On a aussi pas mal tremblé ces derniers temps avec la timide reprise épidémique du virus en Afrique australe et sur l’île et nous avions peur que de nouveau, ce voyage soit annulé au dernier moment. On a donc du mal à réaliser qu’on y est. Bon en même temps, ce serait difficile de ne pas réaliser alors que nous sommes dans le fin fond du Cirque de Mafate. Quelle entrée en matière ! Cet endroit si emblématique de l’île, si mystérieux quant à la vie qu’y mènent les Mafataises et les Mafatais.

Je ne pense pas qu’il y ait d’autres endroits en France si isolés, où certains de ses habitants ne vont quasiment jamais en ville, où certains enfants doivent marcher 1h30 pour aller à l’école. D’ailleurs, Céline qui nous a hébergés hier n’est sortie qu’une seule fois du cirque depuis le mois de juillet. Les anciens quant à eux n’ont plus la force de monter les 400 à 1000 mètres de dénivelés entre leur îlet et le haut du cirque où on peut trouver des transports en communs pour descendre faire les courses dans Les Bas. Jusque dans les années 80 à 90, il se dit que certains Mafatais n’avaient jamais vu la mer. Ce ne serait plus le cas aujourd’hui.

Une fois par mois, une mission médicale intervient dans chacun des 7 dispensaires répartis dans le cirque. Deux infirmières sillonnent le cirque à pied toutes les semaines. Une assistante sociale également. Le service du PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne) effectue des évacuations sanitaires par les airs pour les cas les plus graves, quand la météo le permet. Le prêtre vient en hélico et se déplace aussi à pied et célèbre des messes à tour de rôle une fois par mois dans chacun des îlets équipés d’une chapelle. Par coutume, il y a très peu de mariages dans Mafate. Le facteur de Mafate, le célèbre facteur qui a fait plus de 200 000 km à pied dans sa carrière a pris sa retraite. Sa tournée lui prenait 4 jours pour distribuer le courrier aux quelques 300 familles réparties sur les 100 km² du cirque. Il est remplacé par deux collègues qui se partagent à pied la tournée après s’être désormais fait livrer le courrier par hélicoptère.

Les collégiens rejoignent les établissements de Saint-Paul, Salazie ou La Possession et ils sont hébergés en internat ou dans des familles d’accueil (400€ par mois) mais ne reviennent alors dans ce deuxième cas que pendant les vacances dans leur famille. Mais ces deux moyens sont de moins en moins utilisés par les familles qui préfèrent quitter le cirque quand l’ainé des enfants à l’âge d’entrer au collège, et aller habiter dans un logement qu’ils louent dans Les Bas emmenant avec eux les plus jeunes de la fratrie, ce qui a donc tendance à vider les écoles qui restent. Il arrive que le papa ou la maman restent dans le cirque pour s’occuper des gîtes.

Seulement depuis 2006, les élèves des îlets des Orangers et de Roche Plate vont au collège dans Les Bas. Avant 2006, ils arrêtaient leur scolarité à 11 ans. Mais depuis (presque) tous les élèves en âge d’y aller vont au collège. Mais une fois qu’ils ont goûté à la vie des Bas et de la ville, certains adolescents ne souhaitent pas revenir vivre à Mafate. Du coup il y a peu de jeunes ménages qui se créent dans Mafate et donc pas de natalité. Qu’adviendra-t-il de ces 7 écoles primaires ? Cependant certains, après avoir atteint la fin de la scolarité obligatoire, remontent à l’âge de 16 ans dans le cirque. D’autres passent un CAP en hôtellerie ou restauration, ce qui leur permet de travailler dans les gîtes, quasi seule source de revenus à Mafate. Le tourisme explose dans le cirque avec la multiplication de ces capacités d’hébergement. Il n’est pas rare de trouver plus d’une dizaine de gîtes de 10 à 15 couchages par îlet qui n’ont qu’une cinquantaine d’habitants. Ceux qui ne sont pas gîteurs travaillent pour les écoles (cantiniers, garçons de cours, ATSEM, accompagnateurs) ou pour l’ONF (Office national des forêts) qui entretient les sentiers. Environ 40% des Mafatais perçoivent les minimas sociaux de type RSA.

Nous voici donc en route en direction de l’îlet de Roche Plate. Aujourd’hui, la chaleur est encore écrasante mais il y a un peu de vent heureusement qui nous rafraîchit.

Le ballet des hélicos ne cesse pas dans le ciel. Les machines volent à toute allure, jusqu’à 300 km/h, et s’inclinent presque à la verticale pour se frayer un passage entre les cols. Quand il ne s’agit pas des rotations de livraison de nourriture ou de matériaux de construction ou d’une nouvelle machine à laver pour les locaux, les gîtes ou les épiceries, des enlèvements de déchets ou bien pour l’organisation de funérailles avec un cercueil à transporter jusqu’aux différents cimetières du cirque par les airs, ce sont les touristes qui s’envoient en l’air pour profiter d’un panorama certainement inoubliable sur les cirques de La Réunion mais aussi sur le volcan, sur les lagons, sur les cascades gigantesques…

Nous voyons aussi passer à plusieurs reprises juste au-dessus des lignes de crêtes des remparts naturels du cirque mais aussi au fond de celui-ci le Dash 8. C’est un avion bombardier d’eau qui s’entraîne et effectue des lâchers d’eau. Les incendies ici ne sont maîtrisables en effet que par les airs. Il n’y a aucun autre service de pompiers dans le Cirque de Mafate. Les habitants s’entraident et tentent d’éteindre eux-mêmes les incendies quand une case prend feu. Le Dash 8 fait son retour à La Réunion au début de la saison de l’été austral durant laquelle les feux de forêts sont malheureusement plus fréquents. En octobre tous les ans depuis 2010, suite aux impressionnants et dévastateurs feux qui ont ravagé le Maïdo, l’avion arrive depuis la métropole et sa base de Nîmes. Ce n’est pas un avion de type Canadair et il doit atterrir à chaque fois à l’Aéroport de Saint Pierre pour refaire le plein d’eau et de produit retardant.

Nous marchons toujours dominés par l’imposant rempart du Maïdo haut d’un kilomètre. C’est constamment un régal pour les yeux et on peut y vider plusieurs batteries d’appareil photo et remplir plusieurs cartes SD tellement on a envie d’immortaliser tous ces panoramas. Il culmine à 2208 mètres d’altitude et nous y monterons en voiture dans les prochaines semaines pour avoir un point de vue panoramique sur le Cirque de Mafate. Mais le panorama est tellement large, tellement étendu que ça ne rentre pas dans le cadre de l’appareil photo pourtant pourvu d’un grand angle !

Le sentier après être passé par plusieurs passages à flanc de falaise, bien exposé au soleil matinal, se poursuit en coupant plusieurs courbes de niveau bien rapprochées sur notre GPS et longe en le surplombant le lit de la Rivière des Galets. Nous traversons l’îlet à Cordes aujourd’hui inhabité à cause de sa difficulté d’accès, avant de descendre progressivement dans la Ravine Roche Plate. Petite pause pique-nique dans le sentier Dacerle juste au pied du Piton Bronchard.

Exténués plus par la chaleur et le poids de nos sacs que par la fatigue physique de la randonnée, nous arrivons à l’îlet de Roche Plate, petit îlet d’une vingtaine de familles. L’école est tout en bas du village. Mince l’école a déménagé, elle est tout en haut du village maintenant. On remonte. Un pan de falaise du Maïdo menace de s’effondrer sur une partie du village désormais classée en zone rouge.

L’école a été évacuée du jour au lendemain l’an dernier, les bureaux de l’ONF et des gîtes et habitations également. C’est d’ailleurs impressionnant de voir cet îlet construit à 1150 mètres d’altitude au pied de cette falaise haute de 1000 mètres. La maîtresse n’a même plus les clés pour rentrer récupérer tout le matériel pédagogique et a dû faire tout racheter pour la nouvelle école.

Les écoliers ont été relogés dans l’église puis sous un chapiteau de 9 m² en attendant la construction d’une nouvelle école en bâtiments modulaires qui vient d’être inaugurée. Ce qui pourrait être plus économique en métropole a coûté ici 450 000€ compte tenu de la difficulté d’approvisionnement du chantier exclusivement à coût de rotations d’hélicoptères durant 5 semaines de travaux. Une nouvelle école en ossature bois est prévue mais les effectifs sont à la baisse. 9 élèves cette année. Un de moins dans deux ans. Puis deux de moins à la rentrée suivante. Le prochain nouvel entrant n’a que 6 mois. Et il n’y a pas de nouvelles familles qui viennent s’installer.

Ce bâtiment provisoire sera le prochain logement de fonction de l’institutrice ou de l’instituteur qui viendra remplacer dans quelques années Sabine qui est l’une des seules institutrices à habiter le Cirque de Mafate. Sabine enseigne ici depuis 27 ans. Nous faisons rapidement connaissance avec elle et visitons l’école avant de revenir demain.

Nous redescendons en bas du village pour monter notre premier bivouac sous tente dans le Cirque de Mafate. À l’ombre, près d’une source d’eau, le luxe… Pour deux nuits en plus car nous devons attendre que le week-end passe pour de nouveau intervenir dans deux autres écoles à partir de lundi après-midi. Nous avons la chance de s’être fait prêter du matériel de randonnée (sacs, mousses, tentes) et donc encore une fois, nous pouvons nous affranchir de payer ces gîtes hors de prix pour nous. On mange donc du riz, des pâtes, et même des pâtes ou du riz pour varier un peu. Comme je vous l’ai dit, la nourriture coûte excessivement cher dans les épiceries mais nous n’avons pas envie de payer des repas à 25€ par personne dans les gîtes. C’est certes un moyen de subsistance pour les habitants qui tiennent ces petits commerces mais bon, ils abusent un peu quand même sur les prix à 2,50€ la demi baguette de pain congelé, à 4,50€ le paquet de BN, à 4€ la boîte de conserve de mauvais cassoulet ou de saucisses lentilles premier prix de grande surface. Car si je calcule bien, un hélitreuillage à 180€ pour 800 kg de denrées alimentaires, ça fait donc 0,22€ par kg transporté donc 0,03€ pour une demi baguette ce qui fait donc une marge confortable…

Nous prenons encore plus conscience dans cet îlet de la difficulté de l’approvisionnement en eau. De plus en plus de riverains détournent l’eau des sources jusqu’à leur case. Régulièrement il n’y a plus d’eau courante. Aucun réseau d’adduction en eau potable ne dessert Mafate. Seule l’eau de source est consommée. Cela a ailleurs été un gros problème il y a un an lors de l’incendie du Maïdo, ce massif qui surplombe le cirque et l’îlet de Roche Plate. Le rempart qui nous domine était en flammes sur un tiers de sa hauteur en partant du haut. Les avions bombardiers d’eau ont alors déversé des tonnes de produits chimiques pour éviter que le feu ne se propage. Du coup les sources ont été contaminées et l’eau rendue impropre à la consommation pendant trois mois. Les habitants se sont alors fait livrer par la mairie de l’eau potable en hélicoptère pendant cette période.

Cette pénurie en eau potable, ces sources à sec et ce manque de réseau d’adduction est aussi une contrainte pour les randonneurs dans certains îlets du cirque. Ici, à Roche Plate, il n’y a pas de robinet. Et la bouteille est vendue à 3€ dans les boutiques ! Autant vous dire qu’à nous 4 qui consommons pas loin de 10 litres par jour, heureusement qu’on a nos pastilles pour désinfecter l’eau des petites sources qu’on croise. Mais elles sont rares sur certaines portions de nos randonnées. Heureusement, on arrive à remplir chez les personnes qui nous hébergent ou dans les écoles où on passe.

Les relations de voisinage semblent assez difficiles d’une manière générale dans Mafate. Certains habitants nous font part d’une certaine entraide entre voisins, mais globalement, il semble très difficile pour les non Mafatais de naissance de s’intégrer au village même après plusieurs années de vie sur place. Nous sommes aussi surpris du peu d’échange avec les rares locaux qu’on croise dans les sentiers ou derrière un grillage. Même dans les épiceries, le sourire est souvent difficile à obtenir. Peut-être est-ce dû au nombre trop important de randonneurs déambulant dans les villages ? Ça nous change de toutes les rencontres faites ailleurs autour du monde, mais ce n’est pas la première fois qu’on remarque cette attitude dans les lieux où il y a énormément de touristes.

La nuit tombe à 19 heures et c’est donc l’heure où nous allons nous coucher car le réveil sonne dès 6 heures le matin. On a accumulé aussi pas mal de longues soirées dernièrement en Afrique du Sud et depuis notre arrivée sur l’île, alors en plus avec la fatigue des randos quotidiennes, on ne tarde pas à s’endormir.

Bilan de la journée : 9,9 km, 842 mètres de D+, 279 mètres de D-

@ très vite pour la suite de ce voyage en terre inconnue… Mais je suis trop bavard et j’ai trop de photos pour n’en faire qu’un seul article ! Voici le lien vers la suite et le deuxième épisode :

Cliquez ici :  136. Île de La Réunion : du 19 au 24 novembre 2021 : Cirque de Mafate – 2ème partie