1345 km parcourus du 10 au 19 mars 2022

91 914 km parcourus depuis le départ

Jeudi 10 mars 2022 :

« Aujourd’hui, c’était école et route. J’ai regardé Bienvenue chez les Ch’tis. Le soir, on a mangé des hamburgers maison »… Voilà le résumé de Victor dans son carnet. Pas très long pour une fois, alors qu’il remplit souvent une page, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose d’autre à raconter… Nous venons de quitter la région du Klein Karoo hier, pour de nouveau rentrer dans le Grand Karoo, cette région centrale et désertique d’Afrique du Sud. Et le programme des quelques prochaines journées va sensiblement ressembler à celui d’aujourd’hui car une longue liaison d’un millier de kilomètres nous attend pour rejoindre le Drakensberg à l’Est du Lesotho, ce petit pays enclavé dans l’Afrique du Sud.

La cavale reprend donc ce matin en quittant notre bivouac de Willowmore sur un terrain vague entre deux maisons où les deux familles coloureds voisines ont accepté qu’on dorme et avec qui on a échangé quelques mots. On roule des heures à travers l’immensité désertique et aride du Karoo, ce plateau à une altitude d’environ 1500 mètres, où pas grand-chose ne se passe. Juste quelques fermes très isolées les unes des autres. Cette région fait incontestablement partie des coins du monde les moins densément peuplés qu’on ait traversés au même titre que la Patagonie, la Mongolie ou la Namibie. Plusieurs, mais vraiment plusieurs dizaines de kilomètres entre deux villes. Karoo signifie « terre de la soif » en khoisan.

Sur les bons et avisés conseils de nos amis Alex et François, nous roulons jusqu’au centre-ville historique de Graaff-Reinet, surnommée le « joyau du désert du Karoo ». La ville, construite dans une boucle de la Sundays River, est réputée pour son élevage traditionnel de moutons Mérinos donnant la fameuse et luxueuse laine, des chèvres angoras qui donnent du mohair mais également des autruches.

Nous déambulons dans les quelques jolies rues de la quatrième ville la plus ancienne du pays, fondée en 1786. Graaff-Reinet est aussi connue pour compter plus de 200 bâtiments inscrits au patrimoine national dont plusieurs construits par un architecte français. Un mélange d’architecture de style Cape Dutch et de demeures victoriennes. En cette fin d’après-midi, nous trouvons le tout un peu mort. Toutes les boutiques et galeries d’art sont fermées. Beaucoup de maisons aussi, dont une grande partie reconverties en chambres d’hôtes mais à Graaff-Reinet aussi, le tourisme est au plus bas et n’a pas encore repris malgré la réouverture des frontières et l’amélioration des restrictions sanitaires de voyage. C’est donc un peu triste ce soir mais nous apprécions beaucoup les jolies maisons.

Cette ville comme tant d’autres ne fait pas exception à la règle et les Noirs, les Coloureds et les Blancs ont du mal à se mélanger. Au dernier recensement, un peu plus de 26 000 habitants peuplaient la ville, dont 10,49% de Noirs, 76,84% de Coloureds et 11 ,71% de Blancs. Mais ces derniers sont majoritaires (jusqu’à 78%) dans les beaux quartiers, dans les centre-villes. Autant dire qu’hormis le personnel domestique ou les travailleurs dans les rues et les employés des boutiques, on ne voit presque que des Blancs. En revanche, dans les townships construits autour de la ville, la proportion de Coloureds est majoritaire à plus de 91%. Dans le township le plus pauvre de la ville, la proportion de Noirs monte à 80% et celle de Coloureds à 19,3%. Je vous laisse calculer la proportion de Blancs. Voici une vue prise avec un peu de hauteur (demain) sur les différents quartiers de Graaff-Reinet. Les beaux quartiers de Blancs sont bien tracés au cordeau, les rues sont larges, les terrains sont grands. Tout le contraire dans les quartiers noirs ou coloureds. Et encore, dans cette ville, il n’y a pas de bidonvilles (encore plus denses) mais juste des townships (beaucoup moins miséreux que les bidonvilles qu’on voit dans les plus grandes villes).

Ce triste recensement est à l’image de ce qu’on voit dans toute l’Afrique du Sud depuis que nous y sommes. La nation Arc-en-ciel rêvée par l’archevêque Desmond Tutu et décrivant le rêve d’une société sud-africaine où les groupes cohabitent côte à côte en paix, a encore du chemin à faire. Bien que l’Apartheid soit révolu depuis 1991, la population noire et coloured reste en majorité dans les quartiers pauvres voire miséreux. Le pays évolue mais nous trouvons que les couleurs de l’arc-en-ciel ont du mal à se mélanger. Espérons que dans les générations futures, le rêve de Desmond Tutu et de Nelson Mandela ne restera pas un mirage, que les relations entre les différents groupes s’amélioreront et que la réconciliation sera au rendez-vous.

Nous avons installé notre bivouac sur la place de la ville mais bien que calme, je ne sens pas trop l’endroit. A notre retour de balade, Anaïs qui a préféré rester à la Tiny, nous dit avoir reçu la visite d’un voisin du quartier lui disant que juste où nous sommes garés, le lieu est effectivement moins calme la nuit. Il a même proposé qu’on vienne dormir dans sa cour, mais c’est un peu petit pour notre Tiny. Il fait déjà presque nuit et nous allons nous garer non loin, à deux rues de là, sur un large trottoir qui fera très bien l’affaire.

Vendredi 11 mars 2022 :

« Aujourd’hui c’était une super journée. On a commencé par aller dans un parc national. On y a vu des gnous, des zèbres de montagnes du Cap, des damalisques à fronts blancs, des élands, des bubales roux, des singes, des springboks, une autruche, des oryx, un serpentaire, un écureuil. C’était cool, j’ai beaucoup aimé. Ensuite, on est sorti du parc pour aller acheter de la viande puis on est monté sur une montagne et on y a fait un super barbecue avec des frites ! Après, j’ai fait deux parties de Bedwars sur Minecraft et j’ai gagné ! J’ai aussi lu Jules Verne pendant 1h30. Puis, on est allé marcher 2 km au milieu de beaux rochers. J’ai beaucoup parlé avec Anaïs et j’ai vu un serpent et un lézard orange. Le soir, on a un peu roulé et puis j’ai beaucoup joué au diabolo. Et on a mangé des pâtes carbonara ! J’ai aussi joué au Qwirkle avec papa. » Ah ben en voilà une belle journée mon fiston. J’imagine que tu prendras, tout comme ta sœur, beaucoup de plaisir à relire tous ces cahiers que tu écris tous les jours depuis bientôt 3 ans et demi.

Bon, je reprends la plume de ce blog. La journée à donc bien commencé par la visite du Parc National de Camdeboo. L’accès est de nouveau inclus dans le pass annuel (Wild Card) que nous avions acheté l’an dernier et que nous avons largement amorti. Le parc se compose de deux secteurs. Le premier, ce matin, est une zone d’observation des animaux autour du Barrage Nqweba. Superbes paysages.

Comme l’a écrit Victor, nous avons été gâtés par la présence de nombreuses espèces différentes.

Puis, après un petit passage en ville pour remettre du gasoil dans le réservoir qui ne contenait plus qu’un seul litre, nous retournons dans le Parc National de Camdeboo mais à présent dans le secteur de la Vallée de la Désolation.

Superbe panorama sur Graaff-Reinet et sur les plaines sablonneuses du Karoo après avoir grimpé une route très escarpée mais heureusement asphaltée. Nous trouvons une aire de pique-nique parfaite pour faire griller un bon morceau de viande et même déguster du préfou et du camembert, le tout accompagné d’un excellent vin que nous avait offert une famille sud-africaine avant notre départ. Petite sieste récupératrice dans le hamac.

Après cette agréable pause, nous allons nous émerveiller de la beauté saisissante des curieux reliefs formés de colonnes de dolorites érodées. Magique.

Nous prenons la route en fin de journée pour quelques dizaines de kilomètres. Pour la première fois, nous nous retrouvons dans un nuage de sauterelles. Des millions. Incroyable. Elles viennent s’écraser par centaines sur notre Tiny. Je roule avec les essuie-glaces à grande vitesse et avec le lave-glace en continu. Pas trop agréable. Mais certainement un désastre pour les agriculteurs céréaliers et les cultures vivrières quand un nuage de sauterelles arrive.

Nous arrivons, toujours sur les conseils de nos amis réunionnais, à Nieu-Bethesda, un village au milieu de nulle part. Au bout d’une route en cul-de-sac de 25 km. Un air de bout du monde. Les routes sont en terre. Le parking de l’église nous offre un parfait bivouac non loin d’une épave de Chevrolet. Des chevaux errant passent devant nous. Deux mignons écureuils terrestres du Cap aussi.

Quelques passants nous saluent sans entamer de grandes discussions. Nieu-Bethesda est isolée mais assez touristique néanmoins. Là encore, les beaux cottages du centre de ce tout petit village appartiennent à des Blancs qui les ont reconvertis en auberges et en bed § breakfast, en galeries d’art, en pub, en restaurants. Mais ils paraissent tous fermés, faute de touristes. Quelques Noirs ou Coloureds passent, nous saluent de la main, nous offrent un joli sourire mais comme souvent, ils sont un peu plus timides et n’osent pas trop nous approcher, certainement pour ceux qui maitrisent moins l’anglais. Certains mendient aussi, chose que nous ne voyons pas trop d’ordinaire. Ce village étant un peu plus reculé que ceux qu’on a pu voir jusqu’à présent en Afrique du Sud, on retrouve des jeunes enfants responsables de leurs cadets et portant en écharpe sur leur dos leurs petits frères ou petites sœurs. On voit aussi les femmes marchant longtemps pour aller chercher du bois.

Samedi 12 mars 2022 :

Nous partons visiter la Owl House, celle de l’artiste (très) excentrique Helen Martins (1897-1976) qui a transformé sa maison et son atelier en monument original et unique. Elle a imaginé et construit une ménagerie de sculptures en béton d’animaux et d’êtres humains.

L’intérieur de la maison est tout aussi loufoque et un brin décalé. Chaque recoin est recouvert de bouts de verres peints, de textiles, de babioles, témoins d’une personnalité tragique et isolée.

Bon, ce n’est pas un coup de cœur général chez Les Mollalpagas, mis à part pour Audrey qui prend du plaisir à déambuler dans cette maison.

Nous découvrons le village, apprécions les jolies maisons, arpentons les routes en terre dépourvues d’éclairage public et longées par des canaux d’irrigation et découvrons la vie très paisible de ses quelques habitants.

Les maisons sont décorées de répliques des œuvres en béton de l’artiste Helen Martins.

Après l’école, nous poursuivons les enregistrements audios des commentaires de notre film sur la Mongolie que nous allons commencer à diffuser lors de notre passage en France entre mai et juillet. Je vous en reparlerai mais nous avons déjà plusieurs dates de conférences prévues alors famille et amis des départements 17, 28, 37 et 86, ouvrez bientôt vos agendas !

L’endroit est tellement reposant que nous décidons d’y rester une seconde nuit.

Dimanche 13 mars 2022 :

En route de bonne heure ce matin. Il n’est même pas 7h30 que déjà, les 5 cylindres de la Tiny vrombissent. C’est parti pour plus de 800 km de transit vers la région à l’Est du Lesotho. Pas faisable bien entendu en une seule étape. Nous nous donnons trois jours pour cette distance. Quand nous avons de longs trajets, je préfère rouler le matin, pour en être débarrassé l’après-midi, plutôt que de prendre la route après l’école.

Pas grand-chose de spécial mis à part un convoi de jolies Morris Minor qui nous rappellent nos sorties en 2CV il y a quelques décennies…

Nous arrivons au lac du Barrage de Gariep, le plus grand réservoir d’eau d’Afrique du Sud, construit sur le Fleuve Orange. Mis en service en 1971, l’imposant mur de béton est haut de 88 mètres et il est long de plus de 900 mètres. La retenue d’eau mesure 374 km² soit plus de trois fois la taille de Paris intramuros. En ce moment, en raison des fortes pluies qui ont arrosé la région cet été, il est plein à 99,9% ! Autant vous dire que le trop plein déverse des tonnes d’eau à la seconde avec un débit impressionnant. C’est la première fois qu’on voit un barrage déverser autant d’eau.

Bivouac sympa à quelques dizaines de mètres du barrage avec un joli point de vue sur l’étendue d’eau.

On se met à l’école puis encore sur les enregistrements sonores de notre film mais c’est plutôt un échec cet après-midi car on doit sans cesse s’arrêter à cause du bruit d’une voiture qui passe. Tant pis, on s’y remettra une autre fois.

Lundi 14 mars 2022 :

De nouveau de bon matin sur la route en espérant parcourir environ 380 km aujourd’hui. Le mauvais temps est là. Il y a beaucoup de vent et de pluie ralentissant la progression de la Tiny et en plus il y a du relief. La consommation s’en ressent et je ne m’en aperçois pas car la jauge à carburant ne fonctionne plus depuis quelques mois. J’avais fait ressouder le réservoir qui fuyait après les pistes du Kruger et elle a dû prendre un coup de chaud. Arrivés en fin de matinée au terme de notre étape du jour, on s’arrête par précaution remettre du gasoil, estimant que le pompiste va en remettre 45 litres mais finalement, il en remet 62 litres dans notre réservoir de 60 litres… Le prix du gasoil à la pompe a augmenté un tout petit peu ici, et on le paye désormais entre 1,20€ et 1,30€, sans commune mesure avec les hausses démentielles constatées en Europe. On ne s’en plaint pas. Mais ça reste le plus cher qu’on ait payé dans les pays qu’on a pu traverser, hormis en Europe. La moyenne se situant hors Europe aux alentours de 0,70€ le litre avec un record en Iran à 0,02€ le litre !

La route à l’approche de Senekal est plus facile et donc plus agréable car le temps s’est amélioré.

Nous nous garons devant l’église de la ville comme souvent. Pas la peine de chercher un bivouac de rêve, on cherche juste un bivouac pratique. Une heure après, une femme arrive. Je pense qu’elle va nous demander de partir. Mais non, Cécilia me conseille juste de traverser la rue pour m’installer sur un espace vert un peu plus agréable pour que les enfants puissent jouer dehors. On l’avait bien repéré mais ça ressemblait à un espace privé. Effectivement, il l’est et il appartient à l’église réformée mais cette souriante femme est une responsable de la communauté religieuse. Je lui explique qu’on est très bien ici mais non, elle insiste. Je m’exécute. Elle me demande si nous aimons les légumes. Euh, oui… Cécilia me dit qu’elle repassera plus tard. Puis alors que j’ai fait trois mètres avec la Tiny, elle revient et me demande de la suivre chez elle dans son jardin et qu’on sera encore mieux ! Nous arrivons donc chez Cécilia, une belle maison au toit de chaume entourée d’un magnifique parc. Je me gare sur le parking asphalté mais non, elle me demande de me garer au fond du jardin. J’ai beau lui expliquer qu’avec les 5 tonnes de la Tiny, je vais détruire son gazon aussi beau que celui d’un terrain de golf, elle insiste. J’insiste. Elle insiste. J’insiste. Bon OK, il y a un autre accès au jardin par un portail à l’arrière du terrain. En voici un joli bivouac ! Cécilia nous accueille avec un carton de légumes tout fraichement sortis de son potager. Nous lui expliquons qu’on va se faire une bonne soupe avec et qu’on pourra la partager ensemble. Elle nous explique qu’elle aussi va nous cuisiner un bon morceau de viande.

Elle nous propose l’accès à ses douches. Euh non merci on a pris une douche hier. Elle insiste tellement qu’on se dit qu’on doit sentir mauvais. Nous acceptons et tout compte fait, une bonne douche chaude où on peut utiliser plus que deux litres, c’est aussi agréable.

En fin d’après-midi, Cécilia et son mari Yvon nous invitent à boire un Brandy avec eux. Yvon, déjà en pyjama, a quelques soucis de santé et on comprend qu’il se couche tôt. Après avoir bu un deuxième Brandy, nous apportons notre soupe à ce charmant couple et nous rentrons à la Tiny avec un excellent morceau de bœuf bouilli. Encore une chouette rencontre.

Mardi 15 mars 2022 :

Nous quittons nos hôtes qui nous offrent encore ce matin, une quantité énorme de légumes que le jardinier vient juste de cueillir : haricots verts, tomates, oignons, brèdes, courgettes, melon, concombres, poivrons, courges, patates douces… mais aussi des bocaux de confiture de coing, des condiments au vinaigre et même un bocal de spaghettis ! Quel accueil ! Et en plus, elle nous remercie…

Nous prenons la route pour la dernière grosse étape. Nous contournons le Lesotho par le Nord et revenons ainsi dans la région de l’État Libre où nous étions en octobre dernier. Nous arrivons à un joli point de vue surplombant la Réserve naturelle du Barrage de Sterkfontein. Un parking parfait avec une jolie vue, juste à la limite de la province de l’État libre et de celle du KwaZulu-Natal, où nous entrerons demain. Comme très souvent, nous sommes approchés par des curieux qui viennent nous photographier et discuter avec nous. En Afrique du Sud, on a dû faire la une des réseaux sociaux car beaucoup nous disent qu’ils nous ont déjà vus sur Facebook ou Instagram sur différentes publications. Quelques-uns nous disent nous avoir aussi déjà vus à l’autre bout du pays, voire même en Namibie !

Audrey passe un long moment à préparer le parcours et les randos dans la région du Drakensberg où nous venons d’arriver. Ça y est, nous en avons fini avec les heures d’enregistrements audio. Il reste à Anaïs à passer de nombreuses heures de montage sur sa tablette. Je passe du temps de mon côté à finaliser le choix de notre shipping, c’est-à-dire du retour de notre Tiny sur le continent européen prévu à la fin avril. Il faut choisir entre différentes options : compagnie, transitaire, port de destination, escales, souscription d’une assurance… On tient au maximum à jouer la sécurité et donc à éviter les escales dans les ports d’Afrique de l’Ouest, en particulier à Dakar, réputé dans le monde des voyageurs pour être un port où il y aurait souvent des cambriolages dans les véhicules. L’option la moins chère fait justement escale au Sénégal et dans d’autres ports africains. Le port d’Anvers en Belgique est le moins cher. De plus, je le connais déjà pour y être allé deux fois (lors de notre voyage en Amérique du Sud). Mais de par le contexte international lié à la reprise économique post Covid, il est actuellement surchargé comme tous les ports de la Mer du Nord et les cargos restent plusieurs jours à faire des ronds dans l’eau et je crains que notre Tiny ne soit pas une priorité dans le flux des milliers de véhicules que transportent ce genre de navires. De plus, il fait escale en Afrique de l’Ouest. Nouvelle option, tentée récemment déjà par deux autres familles de voyageurs, on peut envoyer son véhicule au port de Vigo en Espagne (juste au Nord du Portugal). C’est l’option que nous choisissons. La traversée est directe au départ de Durban avec seulement deux escales en Afrique du Sud (Port Elisabeth et East London) mais qui ne nous font pas peur. Elle se fera en une vingtaine de jours avec le bateau immatriculé Grand Cosmo, un monstre des mers de 200 mètres de longueur, mais celui-ci en provenance d’Australie vient juste d’arriver au Japon à l’heure qu’il est. Nous laisserons notre Tiny le 17 avril au transitaire et le bateau est censé partir le 21 avril. Il ne nous reste qu’un mois de cavale !! Je finalise donc la réservation et ça nous fera quelque chose en moins dans nos têtes d’avoir pris cette décision. Notre avion étant déjà réservé pour le 28 avril, nous réservons un appartement dans Durban.

Mercredi 16 mars 2022 :

Pas école aujourd’hui et nous décidons de partir faire une belle rando dans le Parc National Royal Natal. Nous quittons la route R74 pour nous enfoncer sur une route en cul-de-sac d’une vingtaine de kilomètres pour nous rendre à l’entrée de ce parc. On avait été déçus l’an dernier de ne pouvoir y randonner car l’accès qu’on avait choisi passait finalement par un hôtel privé et était vraiment trop cher. On tenait absolument à aller randonner au milieu des paysages fabuleux d’un gigantesque amphithéâtre naturel ceint de hauts sommets dépassant les 3000 mètres et marquant la frontière avec le royaume du Lesotho.

Sur cette route, nous retrouvons des petits villages si typiques de l’Afrique qu’on a déjà eu la chance de parcourir. On a l’impression d’avoir changé de pays et on se croirait de nouveau en Zambie ou au Kenya. Les gens n’ont pas de voitures et se déplacent en minibus de transport en commun ou bien marchent des kilomètres sur le bord des routes. Les maisons sont faites de terre ou de briques. Les femmes portent de lourdes charges sur leurs têtes et ont leur bébé accroché à leur dos. Elles sont parées d’habits aux couleurs chatoyantes. Les enfants jouent dans les fossés. Les animaux errent sur la route. Les gens que nous croisons nous lancent des grands sourires, des signes de la main, nous prennent en photo avec leur portable, nous lancent des cris de joie ! Il nous faut slalomer entre les trous sur la route et faire attention aux nombreux dos-d’âne non signalés. La route n’est pas en bon état et semble avoir souffert des dernières pluies. Mais les paysages montagneux sont magnifiques. On adore.

Nous arrivons presqu’au bout de cette route quand tout à coup, trois cailloux peints en jaune sont posés sur la chaussée…

Bon décidément, ce parc national ne veut pas de nous… Deuxième tentative et nouvel échec… Faut-il insister en faisant demi-tour et en prenant un détour de plus de 20 km pour franchir la rivière Tugela qui a emporté la route pour emprunter un autre pont ou bien c’est un signe qui nous dit qu’il ne faut pas persévérer. Petite déception mais on se dit que c’est un signe. Tant pis pour l’amphithéâtre.

Nous descendons un peu plus au Sud et nous quittons de nouveau la route principale pour une nouvelle incursion près de la frontière du Lesotho, cette fois sur une distance de 30 km. On adore les paysages et les hameaux traversés. Ici, pas de Blancs mais que des Noirs. La région est assez touristique et nous ne sommes pas dévisagés. La majorité des expressions des gens que nous croisons est plus qu’enthousiaste et joviale.

Nous arrivons à la porte d’entrée du Parc National du Drakensberg au site de Cathedral Peak. Nous ne devons pas avoir trop le droit mais nous dormons sur un parking un peu caché juste derrière l’entrée, mais avec tout de même l’accord du gardien. Mais ce parking a un accès très pentu, avec du dévers et très étroit. Mais bon, ça passe. Il est en pente mais on ne va pas faire les difficiles. On verra si on arrive à en ressortir demain sans avoir besoin d’être tracté par un 4×4 pour sortir de la boue. La fatigue est là après 4 heures passées au volant ce matin sur des routes un peu usantes et après les plus de 800 km réalisés en trois jours. Après-midi tranquille dans cet espace agréable entouré de verdure avec le bruit des cascades et des rivières.

Le majestueux massif du Drakensberg composé d’une chaîne basaltique de 243 000 hectares est classé par l’UNESCO au Patrimoine Mondial.

Jeudi 17 mars 2022 :

Bon, le mauvais temps est là et nous empêche ce matin de partir randonner. Un petit crachin en continu. Nous sommes à 1400 mètres d’altitude sur notre bivouac et les sommets qui nous entourent sont dans les nuages. Tant pis, la météo annoncée semble meilleure cet après-midi. On reste faire l’école. Nous avons la chance de voir une nouvelle espèce d’animal que nous n’avions encore jamais vue : un guib harnaché qui s’approche de la Tiny. Mais aussi des pintades de Numidie comme partout en Afrique australe.

La pluie cesse de tomber, les reliefs se dégagent un peu. Nous partons marcher en longeant le ruisseau Mhlonhlo mais celui-ci a un bon débit et le passage à gué pour le traverser n’est pas possible. Tant pis, on modifie le parcours et on continue un peu plus loin. Mais le deuxième passage à gué est aussi infranchissable. Décidément, le Drakensberg ne veut pas de nous. Nous devons renoncer à cette belle rando d’une douzaine de kilomètres que nous avions envisagée. Retour sur nos pas et nous décidons de prendre un autre chemin qui sur notre GPS ne coupe pas trop de ruisseaux.

Mais il est en contrebas d’un massif montagneux duquel ruisselle beaucoup d’eau. Le chemin est donc gorgé d’eau et on marche dans la boue. Rien d’agréable. Nous renonçons à randonner cet après-midi et nous rentrons à la Tiny après avoir marché à peine 7 km.

Cependant, nous garderons comme souvenir de cette randonnée le face-à-face avec un troupeau d’une bonne quinzaine d’élands du Cap. Incroyable. Magique. Ils sont là, à une vingtaine de mètres de nous, sans être apeurés. On s’observe mutuellement. Et pourtant, nous ne sommes pas dans un parc entouré de clôtures mais ils sont juste là en pleine liberté.

La sortie étroite du parking qui nécessiterait un 4×4 m’inquiète un peu mais finalement, les enfants tirent sur des branches, Audrey me guide, le châssis de la Tiny se tort dans tous les sens et on arrive à passer cette difficulté qui me stressait un peu depuis hier soir.

Nous reprenons la même et unique route menant là où nous étions avec la crainte que les éboulements ne se soient empirés depuis notre précédent passage mais heureusement, la route fragilisée est encore là malgré les précipitations. C’est l’heure de la sortie d’école et les élèves font des kilomètres à pied pour rentrer chez eux.

Nous bivouaquons… sur le parking de l’église de Winterton. Parfait, ça a l’air calme et il y a même un robinet d’eau. Le luxe. Peut-être que quelqu’un va nous inviter !! Un passant s’approche de nous, intrigué par notre Tiny. Il nous dit qu’il ne faut absolument pas manquer de visiter le musée de la ville dans lequel est exposée une Tiny house très particulière !

Vendredi 18 mars 2022 :

Nous partons donc visiter le petit musée de Winterton. Un peu poussiéreux. Mais la pièce unique que nous sommes venus voir est la voiture de la famille Winston. N’allez pas faire de recherche sur Internet, vous ne trouverez pas grand chose. Étonnant d’ailleurs car il s’agit bien d’un véhicule et d’une aventure extraordinaires. Il faut remonter presqu’un siècle en arrière !

La biographie de John Winston (1873-1950) est impressionnante. Il a voyagé sur différents continents. Ce monsieur était un ingénieur, il a conçu de nombreux appareils électriques et mécaniques pour lesquels il détenait les droits de brevets mondiaux et a écrit plusieurs livres. Aidé de son cousin, il a installé les premières lumières électriques à l’Opéra de Paris et est devenu le premier homme en Afrique à construire en 1907 une machine volante motorisée. Il a toujours et dès son plus jeune âge, beaucoup voyagé, en Amérique, en Asie et en Europe. En Afrique du Sud il s’est battu aux côtés des Boers dans la guerre anglo-boer. Pendant la Première Guerre mondiale, il est parti pour l’Europe, a rejoint la Royal Air Force et a ensuite été détaché auprès de la Royal Hellenic Navy. Ici, il est devenu obsédé par le désir de voyager. C’est à la fin de la Guerre « lorsque l’ignorance, la propagande et les rapports déformés ont créé beaucoup de haine et de méfiance parmi les peuples d’Europe » que John Weston a eu l’idée de montrer à sa propre famille la vraie nature du peuple ». Un peu comme nous, un siècle plus tard !

C’est alors qu’il a acheté à Détroit un camion de marque Commerce Motor Car Company avec un moteur Continental N, fabriqué en 1918 (modèle une tonne) au Michigan. Il l’a conduit sur les routes d’Amérique pour tester sa fiabilité et après l’avoir trouvé satisfaisant, il l’a expédié en Angleterre et y a construit une cellule habitable en bois, une Tiny house, comme la nôtre ! mais il y a un siècle ! Avec sa femme et ses trois enfants, il a voyagé pendant 18 semaines, jusqu’en 1923, de l’Angleterre à la Grèce. Mais déjà, la Tiny house était trop large : « En France et en Italie, les routes étaient si étroites qu’il fallait enlever les cages à oiseaux et les bacs à fleurs des maisons pour laisser passer la voiture, avec parfois un centimètre de chaque côté ». Un peu comme nous, un siècle plus tard ! Il fallut aussi la renforcer pour supporter son poids. Winston raconte aussi qu’il n’y avait pas de garage mécanique ni de station-service à chaque coin de rue. Il explique aussi les difficultés d’approvisionnement en eau et qu’en Grèce, cela coutait moins cher d’acheter du vin !

La famille Weston est retournée avec la voiture, en bateau, en Afrique du Sud. Ils y ont voyagé, toujours avec la voiture. En 1926, il était temps pour les enfants de poursuivre leurs études en Angleterre et John Weston leur a demandé comment ils souhaitaient se rendre à Londres : par voie terrestre, maritime ou aérienne. Le vote unanime de la famille a été par voie terrestre. Un peu comme nous, un siècle plus tard !

En 1927, après une restauration du véhicule, ils ont commencé une traversée de l’Afrique ! Mais au bout de quelques semaines, arrivés en Rhodésie (actuel Zimbabwe), ils se se sont rendus compte que leur véhicule « the Suid Africa » était trop large et trop lourd pour emprunter les ponts et les pistes du bush. Ils sont retournés au point de départ et ont construit un véhicule plus léger, plus petit, appelé « the prairie schooner » (la goélette des prairies). Il a même rendu étanche la Tiny de façon à pouvoir traverser à gué des rivières.

La Tiny house était équipée de réservoir d’eau pour stocker l’eau puisée dans les puits. Des filtres purifiaient l’eau et elle était ensuite bouillie pour la rendre propre à la consommation humaine. Une bibliothèque, des tables pliantes dans le compartiment de conduite permettaient même d’étudier pendant le voyage. Un peu comme nous, un siècle plus tard !

En 1930, ils ont quitté le Cap Agulhas (le point le plus austral d’Afrique) en direction… du Cap Nord (le point le plus au Nord de l’Europe) ! Ils ont traversé toute l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, la Zambie, la Tanzanie, le Kenya, l’Ouganda, le Soudan, l’Égypte, la Palestine, l’Arabie, la Perse, la Turquie puis l’Europe jusqu’à Londres où ils ont finalement arrêté le voyage pour scolariser leurs enfants, 15 mois après avoir quitté le sud du continent africain. Tout simplement incroyable.

La traversée du continent africain fut compliquée, notamment pour traverser les rivières, obligeant à renforcer ou construire des ponts. Également pour emprunter des pistes où les éléphants avaient abattu certains arbres. La navigation se faisait au compas. Les traversées de déserts comme celui de Nubie ou du Sinaï furent aussi compliquées loin de toute source d’eau. Parfois 16 heures de dur travail pour parcourir un mile dans le désert. Weston raconte aussi ses faces à face avec les lions ou les éléphants dans le désert.

Mais déjà, toutes les rencontres avec les peuples indigènes rencontrés en Afrique étaient amicales et aidantes. Un peu comme nous, un siècle plus tard !

Ils n’ont rencontré des hostilités et des bandits qu’en Asie Mineure et en Europe. Un peu comme nous, un siècle plus tard (la seule tentative d’intrusion qu’on a eue en presque 100 000 km a eu lieu en Italie !).

Le véhicule fut ramené en Afrique du Sud par bateau puis restauré dans sa configuration originale, « the Suid Africa ».

Vous pouvez donc vous imaginer qu’on a adoré ce moment passé dans ce musée autour de ce véhicule improbable. On a pu faire tellement de parallèles avec notre cavale bien que les conditions de voyage ne soient évidemment pas les mêmes : la nôtre 90 ans plus tard est tellement plus facile et confortable avec un GPS, des cartes routières détaillées, des ponts et des routes, des panneaux photovoltaïques, l’accès à Internet…

Leur slogan : « Round the world. Our mansion : seven by fourteen feet. Our field : the whole world. Our family : Mankind » à traduire par « Autour du monde. Notre manoir : 7 par 14 pieds. Notre champ : le monde entier. Notre famille : l’humanité ». Un peu comme nous, un siècle plus tard !

Nous prenons la route dans une nouvelle vallée mais celle-ci nous plait moins que celle d’hier qui nous avait menée à Cathedral Peak. Nous ne traversons aucun petit village typique. Pas d’habitation mais juste des grosses fermes, des lodges luxueux, des terrains de golf. D’ailleurs, la vallée porte le nom de Champagne valley

Nous nous garons tout au bout de la route R600 pour aller découvrir les chemins de randonnée du Monks Cowl. Anaïs un peu fatiguée reste au camion et apprend quelques notions de vannerie avec deux femmes de l’ethnie Zulu dans un centre d’artisanat.

C’est parti pour une rando, cette fois avec le beau temps, mais les très hauts sommets sont dans les nuages. Jolis paysages de collines. Premier arrêt aux chutes d’eau de Sterkspruit.

Puis, nous longeons la rivière éponyme, bercés par le bruit de ses rapides et de ses cascades. Le chemin est un peu boueux mais bon, tant pis, on aura les pieds sales.

Après avoir traversé une jolie forêt, nous arrivons aux superbes chutes Nandi Falls. Mais les remous créés par la puissance de la cascade, le courant, les forts embruns ne nous encouragent pas à nous baigner.

Nous ne sommes qu’à 7 km à vol d’oiseau de la frontière du Lesotho. Retour à la Tiny après 9 km et à peine 300 mètres de dénivelé. Mais ça fait du bien quand-même. Et après les 10 km de course à pieds ce matin pour Audrey, ça lui fait une belle journée.

Difficile de trouver un bivouac sauvage dans cette vallée. Retour donc à la ville sur le parking de l’église de Winterton. Nous avions envie de poursuivre la découverte du Drakensberg en allant à Giant’s Castle demain mais la météo est peu engageante pour la semaine à venir et nous ne verrons pas les sommets. Le gros détour n’en vaut pas la peine. Tant pis, on a déjà un peu profité de la région, beaucoup moins qu’on aurait voulu, mais pour une fois, les conditions climatiques n’étaient pas avec nous. Les panoramas du Drakensberg comptent pourtant parmi les plus beaux et les plus emblématiques d’Afrique du Sud mais tant pis et ce sera une bonne occasion pour y revenir dans quelques années pour profiter de l’une des meilleures destinations du continent pour randonner.

Samedi 19 mars 2022 :

Le bivouac n’est pas exceptionnel mais il est calme et ça fait du bien de se poser. Que faire ? Rouler ou rester tranquillement une autre nuit ici ? On hésite. Les enfants, vous voulez faire quoi ? Ben… peu importe… Bon, ça ne nous aide pas à prendre une décision. Quand tout à coup, un gros 4×4 blanc s’arrête. En descend un homme tout souriant et intrigué par notre présence ici deux nuits consécutives. Nous échangeons deux mots et il nous propose de le suivre dans un espace plus agréable, chez lui… On range la Tiny rapidement et nous voici de nouveau invités dans une nouvelle famille. Rhudy, sa femme Marilize et leurs deux jeunes enfants Marnhu et Handre habitent une maison immense et ils nous installent dans leur joli parc. Mais ils doivent s’absenter jusqu’à ce soir. Cependant, ils nous laissent en toute confiance leur maison ouverte et nous demandent de vraiment en profiter, d’allumer la télévision, de profiter des sanitaires et il nous installe même un routeur wifi dans la Tiny ! Mais quelle gentillesse, quelle spontanéité, quel accueil ces Sud-Africains. Vous vous voyez, vous, en France, aller proposer à une famille d’inconnus qui dorment sur le parking de l’église du village de venir vous installer chez vous, et de laisser les clés de votre maison et de partir plusieurs heures ? Et quelle maison ! Le luxe, une surface habitable de plusieurs centaines de mètres carrés.

En fin d’après-midi, nos hôtes reviennent et nous invitent à partager la soirée avec eux autour d’un braai. De notre côté, nous avions aussi cuisiné et nous mettons en commun. Belle soirée en compagnie de cette jolie famille accompagnée de Moira, la maman de Marilize. Vous vous rendez compte, on a compté et c’est la 18ème famille en Afrique du Sud où nous sommes invités à manger !